Salaires des patrons : 5000 euros dans une petite entreprise, 3 millions pour le CAC 40

Par Anne Eveno, Pierre-Angel Gay, Agnès Laurent et Fabien Piliu  |   |  1275  mots
Infographie La Tribune
De l'enquête de l'Insee réalisée pour la CGPME à celle d'ATH sur les grosses PME cotées, jusqu'à celle de Proxinvest sur les entreprises du CAC 40, il ressort que les disparités des salaires des patrons français sont criantes.

Les patrons français touchent-ils des salaires astronomiques comme le pense souvent l'opinion publique ? Pas tous et loin de là. C'est ce qui ressort de différentes études qui paraissent ces dernières heures.

Ainsi, voilà des chiffres qui permettent de relativiser les questions portant sur la rémunération des chefs d'entreprise », explique Jean-François Roubaud, le président de la CGPME. En effet, loin de celles perçues par les dirigeants des grands groupes, les rémunérations des dirigeants d'entreprises de moins de 250 salariés se situent à des niveaux bien plus modestes. Selon l'enquête annuelle de l'Insee pour le compte de la CGPME publiée en exclusivité par « La Tribune », les rémunérations des dirigeants de PME ont augmenté de 5,3 % entre 2007 et 2008 à 61.300 euros nets annuels, soit 5.108 euros par mois (voir graphique ci-contre). Le cabinet de conseil Proxinvest, dont « La Tribune » dévoilera les derniers chiffres ce mercredi, évaluait à 1,2 million d'euros la rémunération globale moyenne des équipes dirigeantes des entreprises cotées au SBF 120 en 2008 et à 1,7 million celle touchée par les dirigeants du CAC 40.

C'est dans le secteur financier que les rémunérations étaient les plus élevées. Ainsi, dans les établissements de 20 salariés, la rémunération annuelle moyenne atteignait 100.800 euros, 194.700 euros dans les entreprises dont les effectifs varient entre 20 et 49 salariés, et grimpait à 278.100 euros dans les PME de 50 personnes et plus. Toutes tailles confondues, la rémunération moyenne dans ce secteur était de 115.900 euros

A titre de comparaison, toujours toutes tailles confondues, les rémunérations des chefs d'entreprise s'élevaient à 36.800 euros dans les transports et à 46.500 euros dans la construction, soit 3.066 et 3.875 euros mensuels en moyenne. Dans le commerce, les dirigeants ont perçu en moyenne 40.800 euros dans le commerce, correspondant à 3.400 euros mensuels. Dans les services, de très nettes différences existaient selon les secteurs. Entre ceux de l'information et de la communication (79.800 euros par an en moyenne), les activités scientifiques et techniques (86.500 euros) et l'hébergement et restauration (26.100 euros), la différence est énorme. Dans ce secteur, les entrepreneurs ont donc touché 2.175 euros par mois en 2008.

Sinistralité

Passée de 168.000 à 160.000 sur la période, la baisse de 4,5 % du nombre d'entreprises est l'autre enseignement important de cette enquête. La sinistralité est particulièrement forte dans l'immobilier (21 % sur la période), les transports (15 %) dans l'industrie et l'énergie (10 %), le commerce (7,4 %) et, dans une moindre mesure, la construction (1,2 %). Dans la finance, le nombre de PME est resté stable.

Cette baisse du nombre d'entreprises est la conséquence logique de l'entrée en récession de l'économie française en 2008, marqué par trois baisses trimestrielles successives de l'activité à partir d'avril. Compte tenu de la chute de 2,5 % du PIB en 2009, la prochaine enquête de l'Insee et de la CGPME devrait sans nul doute constater une nouvelle baisse du nombre d'entreprises. Et des rémunérations également ? « C'est à craindre, beaucoup de dirigeants ne se sont pas payés pour ne pas fragiliser leur entreprise », redoute Jean-François Roubaud. Réponse dans un an.

455.000 euros en moyenne

De leur côté, les dirigeants de sociétés cotées hors CAC 40 ont reçu une rémunération annuelle en 2009 de 455.000 euros en moyenne, selon une étude dévoilée lundi par ATH, une association regroupant des cabinets d'audit et de conseil. Derrière cette moyenne se cachent d'importantes disparités liées à la taille des entreprises. Ainsi, dans le compartiment A (capitalisation boursière supérieure à 1 milliard d'euros), les mandataires sociaux ont touché une rémunération totale de 791.000 euros alors que leurs alter ego des compartiments B (entre 150 millions d'euros et un milliard de capitalisation) et C (capitalisation de moins de 150 millions d'euros) n'ont perçu respectivement que 359.000 et 233.000 euros.

Reste que la première catégorie de dirigeants a été la plus affectée par la crise. La rémunération moyenne dans le compartiment A a, en effet, reculé de 19 % par rapport à 2008. En cause ? La très forte baisse de leur rémunération variable, passée de 408.000 euros en 2008 à 232.000 en 2009. Ces mêmes dirigeants ont enregistré une chute drastique de la valorisation des actions ou des options qui leur avaient été accordées, l'estimation moyenne étant de 423.000 euros en 2009, contre 896.000 un an plus tôt.

Les mandataires sociaux d'entreprises plus modestes ont été davantage préservés des aléas conjoncturels. Dans le compartiment B, la baisse de la rémunération globale a été moins marquée (7 %) et entraînée par celle de la part variable (? 10 %, 89.000 euros en moyenne en 2009, contre 99.000 euros en 2008). Quant aux dirigeants de sociétés du compartiment C, ils ont vu leurs revenus totaux progresser de 3 % sur un an.

Évolution positive

Effet des polémiques autour des golden parachutes versés à certains dirigeants du CAC 40 en pleine crise ou conséquence du code de bonne conduite Afep-Medef, la pratique en matière d'indemnités de départ des dirigeants a profondément évolué en 2009. 24 % des mandataires sociaux du panel ATH bénéficient d'un golden parachute, soit deux fois moins qu'en 2008. Et désormais, les montants entrent pour la quasi-totalité dans les clous du code Afep-Medef, avec de 6 à 28 mois de salaire quand le plafond fixé par les organisations patronales est de 24 mois. En revanche, les entreprises n'avaient pas, en 2009, intégré les nouvelles contraintes imaginées par le gouvernement pour encadrer les retraites chapeaux. Nul doute que le bilan 2010 fera apparaître des modifications de comportement liées à une taxation accrue.

- 20% pour les patrons du CAC

Les patrons du CAC 40 ont eux aussi vu leurs traitements diminuer en 2009 : - 20% selon l'étude annuelle du cabinet Proxinvest. Ils ont touché en moyenne 3,1 millions d'euros.

Celui qui arrive en tête de ce classement est, surprise, Carlos Ghosn, le patron de l'Alliance Renault - Nissan avec 9,2 millions d'euros. Et selon Proxinvest, il aurait "dissimulé" à ses actionnaires huit millions d'euros de rémunération.

L'analyse de Pierre-Angel Gay, directeur adjoint de la rédaction de La Tribune

Parler des patrons en général a de moins en moins de sens. Ces dernières années, il avait déjà fallu se rendre à l'évidence : les gains des patrons de petites PME n'avaient rien à voir avec ceux des dirigeants de grosses sociétés cotées, même hors CAC 40. L'enquête Insee et l'étude ATH publiées lundi sont venues confirmer ce grand écart, entre les 61.300 euros annuels nets perçus en moyenne par les premiers (chiffres 2008) et les 455.000 euros des seconds (chiffres 2009), même si ces derniers ont vu leur part variable reculer sensiblement l'an dernier. Et il n'est nul besoin d'attendre la publication, mardi, de l'étude de Proxinvest sur les émoluments des patrons du CAC 40, pour savoir que ceux-ci mettront tout le monde, échec et mat. Non, ce qui frappe, ce qui devient chaque année plus évident, c'est l'émiettement des rémunérations au sein même de chacune de ces grandes catégories.

Peut-on mettre dans le même sac deux petits entrepreneurs employant chacun moins de vingt salariés, mais gagnant pour l'un 100.000 euros nets annuels s'il est dans la finance, et pour l'autre le quart à peine s'il officie dans l'hébergement et la restauration ? Comment ne pas voir les importantes disparités existant entre les rémunérations des mandataires sociaux de grosses PME cotées ? L'écart est de un à plus de trois, selon que l'entreprise capitalise plus de 1 milliard d'euros ou moins de 150 millions. Cette dispersion devrait s'accentuer lorsque les auto-entrepreneurs, que personne ne songe encore à assimiler au monde patronal, auront vraiment conquis droit de cité. Il va falloir s'y habituer.