Les Français tentés par le protectionnisme

Par Sylvain Rolland  |   |  666  mots
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Selon un sondage Ifop, 65% des Français se prononcent pour le relèvement des barrières douanières sur les produits en provenance des pays émergents. De plus en plus révoltés et résignés par la situation économique et sociale, ils sont massivement partisans d'un protectionnisme européen.

Le libre-échange, bouc émissaire de la crise ? Alors que seuls les partis situés aux extrêmes de l'échiquier politique français revendiquent clairement la mise en place d'un protectionnisme économique, un sondage publié jeudi par Ifop révèle que plus de deux Français sur trois (70%) sont opposés à la faiblesse des taxes sur les produits provenant des pays émergents que la Chine ou l'Inde.

Dans cette enquête d'opinion réalisée du 17 au 19 mai 2011, sur 1012 personnes représentatives selon la méthode des quotas, et financé par l'association d'économistes "Manifeste pour un débat sur le libre-échange", 65% des sondés souhaitent ainsi augmenter les droits de douane sur les marchandises importés des pays émergents.

48% de "révoltés"

"Révoltés" à 48% et "résignés" à 30% face à la situation économique et sociale de la France, les sondés sont 84% à penser que l'ouverture des frontières françaises et européennes aux marchandises étrangères pénalise l'emploi, et 78% à estimer que cette ouverture affecte le niveau des salaires. Des chiffres plus alarmistes que ceux du sondage Ipsos sur l'état d'esprit des Français réalisé en septembre 2010. En neuf mois, les "résignés" sont passé de 21% à 30%, les "révoltés" de 45% à 48%, et les "confiants" de 18% à 13%. "La sortie de crise qu'on entend partout n'est pas perçue comme telle par l'homme de la rue, surtout s'il est situé en bas de l'échelle sociale", explique Jérôme Fourquet, en charge du sondage pour l'institut Ifop. Même réduit, le fossé entre les classes populaires et les classes plus aisées se maintient. 64% des ouvriers et 52% des employés se déclarent "révoltés", contre 36% des cadres supérieurs.

Les sympathisants PS et UMP plus protectionnistes que ceux du FN

"L'identification des méfaits du libre-échange sur l'économie française apparaît à une grande majorité de Français et dépasse les cadres politiques", analyse l'économiste Jacques Sapir, un fervent partisan du protectionnisme. En effet, 71% des sympathisants PS et 74% de ceux de l'UMP sont favorables à l'augmentation des barrières douanières... contre seulement 61% des sympathisants du Front national.

L'Union européenne (UE) apparaît également comme la meilleure réponse à la mondialisation : 80% des sondés estiment que l'UE est le niveau d'action le plus pertinent pour relever les droits de douane. Même les sympathisants FN plébiscitent l'Europe sur ce sujet, à 57%. 43% d'entre eux préfèrent augmenter les droits de douane aux frontières de la France, contre seulement 10% chez les sympathisants PS et UMP.

Lever le tabou du protectionnisme

Pour l'économiste Emmanuel Todd, ce sondage est l'occasion de "lever le tabou" du protectionnisme. "Le libre-échangisme est devenu un dogme indiscutable de l'économie libérale, comme si le remettre en question revenait à faire un pas en arrière", déplore-t-il. Avec une poignée d'autres économistes français, Emmanuel Todd fait partie des "démondialistes", un groupe qui prône un protectionnisme raisonné, mais s'oppose sur ses modalités. "La doctrine de la démondialisation est une branche de la pensée libérale et ne signifie absolument pas une fermeture et un repli économique et social sur les frontières nationales comme le préconise Marine Le Pen"», précise-t-il.

Philippe Murer, professeur de finances à la Sorbonne et à l'initiative de ce sondage, estime que la société française doit se saisir du débat sur le protectionnisme. "On ne peut pas laisser au seul Front national ces questions, car le sondage montre que l'ensemble des Français se les posent. D'autant plus que le protectionnisme n'est pas labellisé Marine Le Pen, puisque le Front de Gauche, Arnaud Montebourg ou le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan se revendiquent également protectionnistes", plaide-t-il.

Pour sa part, l'économiste Hervé Juvin se réjouit que ce démondialisme s'invite à la primaire du PS par l'intermédiaire d'Arnaud Montebourg. "La haine de la nation, c'est l'internationalisme des imbéciles", lâche-t-il, volontiers polémiste.