La crise frappe avant tout les jeunes

Par Propos recueillis par Sophie Péters  |   |  381  mots
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L'analyse de Louis Chauvel, sociologue, professeur à Sciences Po, invité à Columbia University, spécialiste des fractures générationnelles.

"Le phénomène de l'"over-qualification", que l'on appelle souvent "déclassement" en France, tend à devenir mondial, même s'il est plus marqué objectivement dans certains pays et plus conscient dans d'autres. Jusqu'à présent, on a vécu avec le constat que face à la crise, il vaut mieux être diplômé que pas du tout. Mais le malheur des "sans diplôme" ne fait plus le bonheur des diplômés qui subissent à leur tour la dégradation générale de la situation.

En réalité, l'OCDE peine à repérer la tendance, car il faut croiser les résultats nationaux par classes d'âge. Clairement, depuis 2008, la crise a frappé avant tout les jeunes...comme d'habitude. Aux Etats-Unis, et ce n'est pas un cas unique au monde, les jeunes ont plus souvent raté leur entrée dans la vie adulte, et les seniors travaillent plus longtemps pour se constituer des droits à retraite meilleurs, leur épargne ayant fondu.

On détecte ainsi Outre-Atlantique l'émergence d'une "Generation Limbo" (se prononce comme "bimbo") une "génération des limbes" de "graduates", de "colleges", même de la "Ivy league" qui ne trouvent pas d'autres jobs que celui de "bar manager" ou de "MacDo specialists"... Les vieux pays occidentaux connaissent bien ce phénomène, mais on le retrouve également au Japon avec les "Parasaito Shinguru" (célibataires parasites vivant au crochet des parents) voire en Chine avec les "ant tribes", la "tribu des fourmis", en stages à répétition pour des niveaux de revenus ne permettant pas de vivre dans la Chine urbaine d'aujourd'hui.

Il émerge donc un phénomène mondial, d'une génération sacrifiée qui faute d'emplois décents à la sortie de l'université, vont former une masse de travailleurs qualifiés frustrés.

Que faire ?, disait Lénine. Plutôt que de multiplier sans mesure la masse des titulaires de grades universitaires, il faut avant tout soigner les transitions vers le monde du travail. Les sociétés qui absorbent le mieux la crise sont celles où il existe des emplois à la fin des études secondaires et qui permettent aux gens de 20, 30 ou 40 ans de revenir à l'université compléter leurs connaissances et acquérir des masters. C'est le contraire de ce que l'on fait en France."