Les clés pour - enfin - comprendre la mystérieuse "règle d'or"

Par Jean-Christophe Chanut et Romaric Godin  |   |  2136  mots
La Tribune Infographie / SSAULNIER
En France, dans le débat sur la maîtrise des finances publiques, la majorité cherche à piéger la gauche, accusée de laxisme. Décryptage d'un dispositif complexe qui diffère d'un pays à l'autre.

À 150 jours du premier tour de l'élection présidentielle, rien ne vaut un bon vieux thème bien clivant. C'est le cas avec la règle d'or budgétaire, prévoyant que le déficit n'excède pas 0,5 % du PIB. La droite, unanime, défend son principe et cherche à mettre en difficulté une gauche plus dubitative sur l'intérêt d'une telle mesure. Nicolas Sarkozy, le président-pas-encore-candidat, a tout de même reconnu qu'une modification constitutionnelle pour imposer l'équilibre budgétaire ne pourrait intervenir qu'après l'élection présidentielle. Hervé Morin, candidat déclaré du Nouveau Centre, et François Bayrou (MoDem) défendent également l'idée de la règle d'or. Quant au Premier ministre, François Fillon, il a, mardi encore, fustigé la position du PS sur son refus de voter la règle d'or, alors qu'une telle réforme constitutionnelle a été « approuvée par la plupart des partis socialistes européens, notamment les socialistes allemands »... Oubliant tout de même de préciser que la règle d'or, en effet votée outre-Rhin par le SPD en 2009, ne s'appliquerait qu'en 2016 et que, en cas de besoin, des exceptions à cette règle seraient admises. Par ailleurs, le Premier ministre n'a « pas exclu » de faire adopter début 2012 un budget rectificatif pour « mettre en oeuvre » l'accord européen de Bruxelles du 9 décembre. Il n'en fallait pas plus pour que le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon pronostique déjà un troisième plan de rigueur...

Côté socialiste, on cherche absolument à éviter le piège tendu. D'où un véritable tir de barrage. « La règle d'or, ce sera après la présidentielle », a lancé François Hollande qui refuse de répondre à l'appel « d'unité nationale », notamment préconisé par le ministre de l'Économie, François Baroin. Le candidat socialiste défend depuis plusieurs mois l'idée de faire voter une loi de programmation des finances publiques destinée à revenir à l'équilibre des comptes publics à l'horizon 2017. De fait, pour le député de Corrèze comme pour la majorité des socialistes, s'il doit y avoir adoption d'une règle d'or, ce ne peut être qu'en début de mandature... pas à la fin.

Le risque d'une croissance molle

Ce que résume bien Bernard Cazeneuve, député de la Manche et porte-parole de François Hollande dans un entretien au quotidien « Sud Ouest » : « Quand on veut une règle d'or, il ne faut pas avoir une politique économique et sociale en carton pâte (...). Aujourd'hui, les plus grands détracteurs de son [Nicolas Sarkozy] bilan sont les faits économiques. Les faits rattrapent le discours et condamnent le discours. » Jean-Marc Ayrault, chef de file des députés PS, a enfoncé le clou, considérant que « la première règle d'or, c'est le traité de Maastricht (...) pas plus de 3 % de déficit budgétaire et pas plus de 60 % de la richesse nationale pour la dette ». Et d'ajouter que c'est Nicolas Sarkozy qui « a décidé de sortir des 3 % et d'augmenter la dette de 500 milliards d'euros ». Même Manuel Valls, désormais directeur de la communication de François Hollande, recommande de ne pas tomber « dans le piège d'un pouvoir et d'une droite qui, sans imagination, sans capacité de peser dans le débat, cherchent à faire diversion ». En septembre, alors candidat à la primaire citoyenne, le même défendait la règle d'or...

Pour contrer l'offensive de la droite, le PS va donc marteler dans les prochaines semaines que l'adoption de la règle d'or, mettant à mal les dépenses de l'État, pourrait venir aggraver le mal dont souffre l'Europe : une croissance molle ou pis, la récession.

Jean-Christophe Chanut

6 questions pour - enfin - comprendre - la "règle d'or"

1. D'où vient la règle d'or ?

Le principe d'une limite constitutionnelle à l'endettement public est né en Suisse, dans le petit canton oriental de Saint-Gall, en 1929. Pendant longtemps, pourtant, le très rigide principe de ce canton, qui interdit tout déficit public, n'a guère inspiré les grands Etats. Certes, la Pologne a, en 1997, repris cette idée dans sa Constitution. Mais c'est surtout la décision de la Confédération suisse d'adopter en 2003 un « frein à l'endettement » qui a attiré l'attention européenne. Après la crise de 2008, la « grande coalition » allemande a adopté une règle d'or lointainement inspirée de l'exemple suisse afin de compenser les effets des plans de relance de l'économie adoptés début 2009. Votée en juillet de la même année par le Bundestag et le Bundesrat, les deux chambres du Parlement allemand, cette mesure est devenue une référence européenne lorsque a éclaté en 2010 la crise de la dette. Au point que le sommet de Bruxelles de vendredi dernier a décidé d'en faire un futur principe européen.

2. Combien y en a-t-il ?

A chacun sa règle, serait-on tenté d'affirmer. Alors qu'à Saint-Gall, on refuse simplement tout déficit, l'Etat fédéral suisse a préféré adopter le principe d'un « multiplicateur conjoncturel » des dépenses publiques. Concrètement, la croissance maximale des dépenses de la Confédération est limitée en fonction de la situation économique du pays. Aucun objectif de déficit ou d'endettement n'est donc fixé. A l'inverse, l'Allemagne a établi une limite au seul « déficit structurel », autrement dit, au déficit issu du fonctionnement normal de l'Etat en établissant néanmoins une différence entre l'Etat fédéral qui continuera à pouvoir s'endetter chaque année à hauteur de 0,35 % du PIB et les Länder, les Etats fédérés, qui, eux, n'auront plus droit à aucun déficit. En Pologne et en Hongrie, on a préféré instaurer une limite maximale à l'endettement public rapporté au PIB (respectivement 60 % et 50 %). En Bulgarie, cette limite d'endettement de 40 % du PIB est associée à une limitation à 2 % du PIB du déficit public. En Espagne, la règle d'or n'est pas associée à une limite de déficit constitutionnellement définie. Ce sont des lois qui la fixent à 0,26 % du PIB pour l'Etat central et 0,14 % pour les collectivités locales.

3. Comment l'appliquer ?

La mise en place des mesures constitutionnelles de limite de l'endettement est un processus long et difficile. Il faut d'abord intégrer à la Constitution cette limite, une fois qu'elle a été définie. Le processus peut parfois être périlleux lorsqu'il n'existe pas de consensus dans le pays pour l'adopter. C'est le cas de la France, où le Sénat, passé à gauche, bloque l'adoption de la mesure et celui de l'Autriche, où le refus, voici deux semaines, de toutes les oppositions, de gauche comme de droite, a empêché la réforme de rassembler les deux tiers des voix au Parlement nécessaires à la modification de la Constitution. Mais une fois adoptée, la « règle d'or » peut mettre bien du temps à être réellement mise en oeuvre tant les réalités économiques peuvent être éloignées, lors de l'adoption, des ambitions visées par la limite constitutionnelle. En Allemagne, l'Etat fédéral s'est ainsi donné six ans pour parvenir à satisfaire les exigences du « frein à l'endettement ». Et pour les Länder, la période d'adaptation dure dix ans. L'Espagne s'est également donnée jusqu'en 2020 pour remplir les critères de sa « règle d'or ».

Cette mise en conformité avec les critères de la règle d'or a, du reste, un coût. Social et macroéconomique, d'abord : il faut souvent en passer par des plans de rigueur sévères. Le ministre fédéral allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a, après un an d'hésitation, fait adopter en 2010 un plan de rigueur sur 4 ans de 80 milliards d'euros pour parvenir à faire rentrer le budget fédéral dans les clous constitutionnels. Et il est, outre-Rhin, vivement critiqué pour sa réticence à réduire les dépenses structurelles de l'Etat fédéral, ce qui, en cas de fort ralentissement économique, mettrait en péril cet objectif. Un coût budgétaire parfois beaucoup plus direct ensuite : plusieurs petits Länder allemands surendettés dont les budgets sont en déficit chronique auront bien du mal à rétablir l'équilibre de leurs finances publiques en 2020. L'Etat fédéral a donc prévu de distribuer pour les aider 7,2 milliards d'euros entre 2010 et 2019. Mais il n'est pas certain que cela soit suffisant. Ainsi la ville-État de Brême, le plus petit Land allemand, affiche une dette de 16 milliards d'euros dont la seule charge absorbe le quart de ses recettes. Ses dépenses dépassent de près de 30 % ses recettes. Malgré des plans de rigueur qui prévoient la réduction de moitié des dépenses, l'objectif d'équilibre de ses dépenses semble encore lointain.

4. Quelles tolérances en cas de ralentissement économique ?

Certaines règles d'or sont extrêmement rigides. Dans le canton de Saint-Gall, les gouvernements doivent utiliser les réserves constituées grâce aux excédents budgétaires des années fastes pour faire face aux périodes plus difficiles. Les modèles polonais ou bulgares ne prévoient pas non plus d'adaptations à la situation macroéconomique. En théorie, le principe du « frein à l'endettement » s'appuie cependant sur le principe keynésien du resserrement budgétaire en période d'expansion et du desserrement en période de ralentissement. Ainsi, le modèle suisse, comme le modèle allemand, prévoient des dispositions particulières en cas de difficultés économiques. Outre-Rhin, le déficit « structurel » seul est concerné par la limite constitutionnelle, ce qui autorise des dépenses de relance ponctuelles. Il est également prévu que ce déficit structurel puisse dépasser les 0,35 % du PIB. Dans ce cas, ces déficits supplémentaires sont inscrits sur un « compte de contrôle » qui, lorsqu'il atteint 1 % du PIB, doit être amorti « en accord avec la situation conjoncturelle ». Ce compte de contrôle ne doit pas dépasser 1,5 % du PIB. La Suisse a aussi adopté le principe de ce « compte de contrôle », lorsque la croissance des dépenses publiques a dépassé celle du « multiplicateur ». Jusqu'en 2010, la Confédération pouvait disposer d'une liberté complète sur les « dépenses extraordinaires ». Mais des limites ont également été fixées à ces dépenses.

5. Quel recours en cas d'écarts à la règle ?

Un des arguments des dirigeants européens en faveur des règles d'or était la capacité de contrôle des cours constitutionnelles nationales sur les budgets. Pourtant, très concrètement, les mécanismes de sanctions sont, dans les mesures qui existent aujourd'hui, assez limités. En Suisse, le recours devant un tribunal fédéral n'est pas explicitement prévu. En Allemagne, un « conseil de stabilité » a été créé pour avertir les Länder et l'Etat fédéral en amont des possibles dérapages budgétaires et pour mettre en place, en cas de dépassement, des mesures d'amortissement. Mais il n'est pas non plus fait état explicitement de sanctions. En cas de non-respect de la règle, il faudra donc avoir recours à la Cour constitutionnelle qui pourra toujours annuler le budget concerné. L'ennui, c'est que les conséquences d'une telle décision seraient considérables et il serait bien difficile de corriger un budget annulé. D'autant que la Cour prend souvent des décisions plusieurs mois, voire plusieurs années après les dépôts de plainte. De ce point de vue, le Pacte de stabilité et de croissance du traité de Maastricht, avec ses sanctions explicites, était plus rigide. À condition, évidemment, qu'on les applique, ce qui n'a pas été le cas. Du coup, on voit mal comment les règles nationales seraient mieux respectées.

6. Quelle réelle efficacité ?

Le bilan du « frein à l'endettement » suisse est plutôt convaincant. Entre 2005 et 2010, la dette de la Confédération est passée de 130 à 111 milliards de francs suisses (de 105 à 90 milliards d'euros). Rapporté au PIB, cela conduit à un recul de l'endettement de 53 % à 40 %, alors que, parallèlement, la dette cumulée des pays de la zone euro a augmenté de 70 à 85 % du PIB. Pour autant, le Centre d'études européennes (CEP) de Fribourg en Brisgau, estime que « la simple adoption d'une règle d'or » ne « conduit pas obligatoirement à une politique budgétaire responsable ». Selon cette étude, seule « la conviction politique de la nécessité de l'assainissement budgétaire » assure en effet sa mise en oeuvre. Autrement dit, la règle d'or n'est pas la solution miracle présentée régulièrement par Nicolas Sarkozy. C'est uniquement un outil.

Romaric Godin

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