Emplois fictifs : Jacques Chirac jugé coupable

Par latribune.fr, avec Reuters  |   |  1261  mots
Copyright Reuters
Point d'orgue de deux décennies "d'affaires" de la Ville de Paris, le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement ce jeudi dans le procès des emplois fictifs. Estimant Jacques Chirac coupable dans les deux volets de l'affaire, les juges ont condamné l'ex-chef de l'Etat à deux ans de prison avec sursis. L'ancien président n'a pas fait appel.

Jacques Chirac a été jugé coupable de "détournement de fonds publics" et d'"abus de confiance" dans le volet parisien de l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, affaire pour laquelle il était poursuivi. Ce n'est pas tout, il est également jugé coupable de "prise illégale d'intérêt" dans le 2ème volet de cette même affaire.

Le parquet avait requis sa relaxe lors de son procès en septembre dernier, où il était absent pour raisons de santé et représenté par ses avocats. Mais le tribunal correctionnel de Paris n'a pas suivi ce réquisitoire. Le jugement inclut une condamnation à deux ans de prison avec sursis.  Poursuivi pour "détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d'intérêt" pour 28 emplois présumés fictifs de "chargés de mission" à son cabinet de maire de Paris entre 1992 et 1995, Jacques Chirac, encourait en théorie jusqu'à dix ans de prison.

L'ancien chef de l'Etat, âgé de 79 ans, a la possibilité de faire appel de cette décision. 

Après douze ans d'immunité pénale à l'Elysée suivis d'années d'atermoiements judiciaires, il avait été autorisé en septembre à ne pas se présenter à son procès grâce à un certificat médical parlant de "troubles sévères de la mémoire" et "d'importantes erreurs de jugement et de raisonnement".

Dans cette procédure tardive, compte tenu des problèmes de santé et du statut de retraité de l'ancien maire de Paris, l'enjeu du jugement résidait d'abord dans une éventuelle déclaration de culpabilité, avec le cas échéant une peine symbolique avec sursis, voire une dispense de peine.

Ce point était cependant essentiel pour toutes les parties. C'est l'image dans l'Histoire de celui qui fut plusieurs fois ministre à partir des années 1960, deux fois Premier ministre (1974-1976 et 1986-1988) et douze ans chef de l'Etat (1995-2007) qui risque d'être à jamais ternie, ont dit ses avocats dans leurs plaidoiries fin septembre.

"Si vous condamnez, vous direz que la France a été dirigée pendant 12 ans par un petit comptable indélicat. En reconnaissant la grandeur de l'action politique, avec ses petitesses, vous rendrez service à la démocratie", a dit Me Georges Kiejman.

Dans un message écrit lu au tribunal, Jacques Chirac s'est dit innocent : "Il n'y a ni système ni enrichissement personnel, je n'ai rien fait qui soit contraire à la probité et l'honneur. J'affirme n'avoir commis aucune faute, ni pénale, ni morale."

L'opposition socialiste, peu virulente à l'égard de l'ex chef de l'Etat

Tout semble aller dans le sens de la défense. Lié au pouvoir exécutif, le parquet a avancé des arguments de droit pour requérir une relaxe pour Jacques Chirac et ses neuf co-prévenus, deux ex-directeurs de cabinet et des proches.

L'actuel maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë a retiré avant l'audience la partie civile de la Ville en échange d'un remboursement de 2,2 millions d'euros, dont 500.000 euros acquittés par Jacques Chirac et le reste par l'UMP.

L'opposition socialiste s'est montrée peu virulente contre son ex-adversaire, que les sondages créditent aujourd'hui d'une forte popularité dans l'opinion et dont l'âge incite la classe politique à faire preuve de retenue.

Seule voix discordante, celle de l'association anti-corruption Anticor, partie civile, s'est élevée au procès pour dénoncer ce qu'elle a qualifié de "système frauduleux" mis en place par Jacques Chirac pendant ses trois mandats comme maire de Paris (1977-1995).

L'instruction conduite par la juge Xavière Simeoni a conclu en effet à l'existence de ce système de détournement de fonds.

L'audience, malgré l'absence de Jacques Chirac ou à cause d'elle, ne lui a pas été favorable. Son rôle personnel est apparu étayé par le dossier et par plusieurs mises en cause à l'audience par Michel Roussin, son ancien directeur de cabinet.

Les pseudo-spécialistes des Africains, des Chinois ou de l'agriculture, les épouses de dignitaires RPR, le garde du corps du dirigeant syndical Marc Blondel, les amis, les "petites mains" des associations électorales ou de partis proches n'ont pas servi les Parisiens mais perçu des fonds publics par la volonté de Jacques Chirac, ont dit les témoins.

Ce dossier, selon Anticor, ne peut être dissocié d'autres procès ayant frappé les proches de Jacques Chirac pendant son passage à l'Elysée et qui ont démontré l'existence d'une corruption massive et même de fraude électorale.

Ce procès marque  un tournant. La gauche et le centre estiment en effet qu'il faut réformer le statut d'immunité pénale totale du chef de l'Etat, qui aboutit à leurs yeux à un privilège judiciaire.

Eva Joly, la première à réagir

L'ex-magistrate Eva Joly, candidate Europe Ecologie Les Verts (EELV) à la présidentielle, s'est aussitôt félicitée dans un communiqué de ce que "justice soit faite".  "C'est moins la sanction que la condamnation qui est aujourd'hui centrale. Nul citoyen ne doit être au-dessus des lois si nous voulons redonner confiance dans la justice et la démocratie. Dans une République exemplaire, c'est le devoir des femmes et des hommes politiques que d'en finir avec ces pratiques malsaines", affirme-t-elle.

Il y a quelques semaines, Eva Joly  et des députés EELV ont déposé une proposition de loi visant à réformer le statut pénal du chef de l'Etat. L'Assemblée l'a rejetée le 6 décembre dernier.

"La justice est passée et elle devait passer, pour que ne s'installe pas un sentiment d'impunité", a déclaré le candidat socialiste à la présidentielle François Hollande à Bondy (Seine-Saint-Denis) en marge d'une visite sur le thème de la formation des enseignants soulignant qu'il fallait éviter désormais "qu'un ancien président de la République soit poursuivi bien au-delà des faits qui ont pu un moment être reprochés". "Enfin, j'ai une pensée pour l'homme, Jacques Chirac, qui connaît en plus des ennuis de santé", a ajouté le député de Corrèze, département d'élection de Jacques Chirac.

Pour Christian Jacob, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale "Jacques Chirac a fait le choix de se comporter comme il s'est toujours comporté, c'est-à-dire en chef, en disant "j'assume l'entière responsabilité des faits" et en protégeant ainsi en quelque sorte ses collaborateurs, ce qui est tout à son honneur", a-t-il déclaré  sur France 2. "Je suis affecté et triste de cette condamnation (...). Il souhaitait être jugé et être jugé comme un citoyen normal et assumer l'entièreté de ses responsabilités. Moi je pense qu'on aurait pu s'éviter ce procès mais ça n'était pas le souhait de Jacques Chirac", a-t-il ajouté.

 "C'est une triste nouvelle", estime Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac. "Ce jugement me paraît être d'une grande sévérité et il est surprenant" (...)"Je suis franchement surpris parce qu'il y a quelque chose d'un peu anachronique: on juge aujourd'hui des situations d'une autre époque, entre-temps de nombreuses lois ont changé la donne", a-t-il souligné.

Pas d'appel

L'ancien président de la République a fait savoir dans un communiqué qu'il ne ferait pas appel de sa condamnation. Toutefois, "sur le fond, il conteste catégoriquement ce jugement".

Jacques Chirac justifie sa décision de ne pas faire appel par le fait qu'il n'avait "plus hélas toutes les forces nécessaires pour mener par (lui-même), face à de nouveaux juges, le combat pour la vérité". Mais il ajoute : "Je l'affirme avec honneur : aucune faute ne saurait m'être reprochée".