Comment la géographie du vote épouse (presque) la carte de la France économique

Par Sylvain Rolland et Marina Torre  |   |  1203  mots
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Comment se traduisent les disparités du tissu économique local dans l'isoloir ? Comment les habitants des bastions industriels, de la France rurale ou des grandes villes où dominent les services, ont-ils voté ? Éléments de réponses avec ce tour de France des votes au premier tour de l'élection présidentielle.

A part le Gard, seul département où Marine Le Pen arrive en tête au premier tour, l'élection du 22 avril fait ressortir deux visages de la France. D'un côté, l'Est de la France ainsi qu'un axe partant du Cotentin jusqu'à l'Alsace, exception faite de la région parisienne, est favorable à Nicolas Sarkozy. De l'autre, une France "rose", qui place François Hollande devant son rival. Le candidat socialiste se classe premier dans 56 départements métropolitains, soit plus de deux fois plus que Ségolène Royal en 2007 quand 23 départements avaient placé en tête la candidate socialiste au premier tour. Nicolas Sarkozy, de son côté, sort vainqueur dans 39 départements. Autrement dit, une bonne trentaine de départements ont basculé. Mais derrière ces généralités se cachent d'importantes disparités selon le tissu économique local comme le montre la répartition des votes selon les régions. Selon la carte du chômage établie par l'Insee d'après des données du troisième trimestre 2011, certains zones ayant massivement voté pour Marine Le Pen sont aussi celles qui connaissent les taux de demandeurs d'emploi les plus élevés.
 

Le vote FN accentué dans les terres industrielles

Si, en 2007, Nicolas Sarkozy avait su capter une partie du vote "populaire", victime du déclin de l'industrie, la crise et les fermetures successives de sites industriels ont changé la donne en 2012. Ainsi, le FN consolide ses positions dans les localitéssinistrées. Ce mouvement est surtout flagrant dans le Nord et l'Est. Dans les départements du Pas-de-Calais, de l'Aisne et des Ardennes, Marine Le Pen arrive ainsi deuxième derrière François Hollande.  Outre le bastion FN de Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, d'autres zones dans le Nord ont massivement voté en faveur de la candidate du parti d'extrême droite.

En Picardie, qui comptait 10,7% de chômeurs en mars 2012, selon l'Insee, elle réalise l'un de ses meilleurs score avec 25% des voix. Même tendance dans l'Oise (25,1%), le département des "Conti", ces employés de l'usine Continental de Clairoix, qui, pour protester contre la fermeture de la ligne de production, s'en étaient pris à la préfecture de Compiègne le 21 avril 2009.

28,15% pour Marine Le Pen à Gandrange

La candidate frontiste se place également deuxième en Alsace, derrière Nicolas Sarkozy. Si Nicolas Sarkozy est arrivé en tête dans le département de la Moselle, il a perdu des points dans cette zone fortement touchée par la crise. La Lorraine est d'ailleurs la septième région la plus touchée par le chômage avec 9,8% de demandeurs d'emploi en mars 2012.  A Gandrange, où l'usine ArcelorMittal a fermé en 2009 malgré les promesses de sauvetage de Nicolas Sarkozy, la percée de la candidate frontiste est spectaculaire. Avec 28,15% des voix, elle se classe en deuxième position et réalise plusieurs performances : elle fait beaucoup mieux que son père en 2007 (16,18%), double Nicolas Sarkozy (19% contre 25,5 en 2007) et talonne François Hollande (29,69%). 

A cinq kilomètres de là, à Florange, où ArcelorMittal a mis en sommeil en octobre 2011 le dernier haut-fourneau lorrain encore en activité, la tendance est la même. François Hollande termine en tête avec 32,30% des voix, tandis que Marine Le Pen gagne 10 points par rapport à 2007 (25,69%) et distance Nicolas Sarkozy (19,01%).

Enfin, à Fessenheim, où François Hollande a promis de fermer la centrale nucléaire, Nicolas Sarkozy (33,55% des voix) et Marine Le Pen (24,85%) devancent sans surprise et très largement le candidat socialiste (12,48%).

 

Les ruraux plébiscitent Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy

Bretagne mise à part, les ruraux sourient toujours à la droite et l'extrême droite. Même si beaucoup sont déçus du sarkozisme, comme le souligne une étude sur les intentions de vote des agriculteurs, peu ont confiance en la gauche pour résoudre leurs problèmes. Comme auprès des ouvriers, Marine Le Pen progresse en milieu rural, ce qui lui permet de gagner du terrain dans des régions de gauche, comme en Midi-Pyrénées ou en Poitou-Charentes.

En Charente-Maritime, la candidate de l'extrême droite dépasse les 30% dans de petites communes rurales du sud du département. Cette poussée en milieu rural se retrouve ailleurs, par exemple dans la région Centre. Et c'est aussi le cas dans le Sud-Ouest. Si la zone est largement dominée par une vague rose, la situation commune par commune est beaucoup plus contrastée. Dans le Lot-et-Garonne, par exemple, où dominent productions céréalières, produits frais et élevage, Marine Le Pen arrive régulièrement en deuxième, voire en première position.

Dans le Sud-Est, Nicolas Sarkozy arrive en tête, mais là encore, de petites communes rurales font exception. L'ancrage du Front National y est traditionnellement fort, mais Marine Le Pen y enregistre des scores beaucoup plus élevés que son père. Une trentaine de municipalités du Var, par exemple, l'ont également placée en tête. Avec 24,8% des voix dans le département, elle sort en deuxième position derrière Nicolas Sarkozy 34,8%. Même tendance dans le Vaucluse, où les électeurs de Cavaillon ont voté à 31,4% en faveur de la candidate frontiste (en 2007, le candidat FN s'y était classé troisième au premier tour).

La situation est beaucoup plus contrastée  dans les Bouches-du-Rhônes, où des communes plaçant Jean-Luc Mélenchon en tête voisinent avec d'autres qui privilégient Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Les zones au Nord du département, plutôt rurales, ont préféré les candidats de droite, voire d'extrême-droite.

La France des villes et des services plus favorable à Hollande

Côté villes, François Hollande se place en tête dans une majorité de grandes agglomérations. Celles-ci, dominées par les services, n'ont pourtant pas été épargnées par la crise et subissent en particulier des problèmes de logement.

Paris, Marseille, Strasbourg, Reims mais aussi le Havre basculent à gauche. A l'exception de la capitale, ces villes connaissent aussi une percée du Front National où la candidate arrive troisième avec plus de 11% des voix à chaque fois. Cette montée est particulièrement notable à Marseille où les électeurs sont 21,22% à avoir choisi Marine Le Pen. Son père avait obtenu 13,43% dans la cité Phocéenne en 2007. A noter également pour Marseille : seules 4.181 voix y séparent les deux concurrents du second tour.

Le match se révèle encore plus serré à Lyon où Nicolas Sarkozy ne devance François Hollande que de 682 voix. Nicolas Sarkozy conserve par ailleurs certains de ses bastions comme Nice et Toulon, mais avec un score moins élevé qu'en 2007. Le président-candidat passe ainsi de 41,83% des voix en 2007 à34,65% dans la première et perd près de 6 points de pourcentage dans la seconde. Dans les deux villes, Marine Le Pen se classe deuxième avec plus de 23% des voix.

Enfin, dernier fait notable: à Lyon comme à Paris, Marine Le Pen ne se place qu'en cinquième position derrière Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou. De même, à Lille, Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, et Montpellier, qui restent acquis au PS, la candidate du FN enregistre des scores inférieurs qu'au niveau national.