Mais qui sont ces euros étrangers qui envahissent nos poches... ?

Par Philippe Mabille  |   |  838  mots
Copyright Reuters (Crédits : <small>DR</small>)
L'Ined publie une étude sur dix ans de diffusion des « euros étrangers » en France. Où il est démontré que la diffusion des pièces de la monnaie européenne est un bon indicateur de l'ouverture des échanges et des frontières. Un tiers des pièces en circulation sont d'origine étrangères, essentiellement des pays frontaliers.

Videz vos poches et retournez vos pièces de monnaie côté face. Combien de pièces frappées du sceau de la semeuse, signe reconnaissable d'une origine française ? Et combien de pièces originaires d'un autre pays de la zone euro et lesquelles ? Depuis dix ans, et l'introduction de l'euro fiduciaire, l'Institut national des études démographiques procède à un tel sondage, auprès d'un échantillon représentatif de la population française. Soit au total 16 enquêtes de ce type depuis mars 2002, avec plus de 20000 répondants et 300000 pièces examinées en notant scrupuleusement leur valeur et leur « nationalité ». Jusqu'à la dernière, celle de mars 2011, publiée cette semaine (www.ined.fr) et qui permet de suivre le mélange des pièces d'euros à la fois dans le temps et sur le territoire. Retrouvez cette étude sur le site de l'Ined.

En ces temps où l'on ne parle que de « frontières », de remise en cause de l'espace Schengen (certes plus large que celui des 17 de l'euro) et de débat sur l'immigration, cette étude de l'Ined sur la circulation des euros tombe à point nommé pour alimenter la réflexion sur l'ouverture des échanges en Europe. Ces euros étrangers qui envahissent nos poches représentaient en décembre 2011 un tiers (34% contre 5% en mars 2002) des pièces de monnaie en circulation, révélant une accélération du brassage des euros et des populations. La photographie des euros étrangers montre qu'il y a eu au cours de ces dix ans une diffusion continue des pièces d'origine étrangère. Un Français sur quatre possédait une pièce étrangère en mars 2002 ; nous sommes désormais près de neuf sur dix dans ce cas. L'Ined note que nous sommes encore loin du « mélange parfait » qui voudrait que plus de quatre pièces sur cinq soient frappées dans un autre pays (la France ayant émis, à Pessac, un cinquième des euros). « Même si l'on ne tient pas compte de l'entrée de nouveaux pays dans la zone euro, il est clair que le mélange n'a pas été aussi rapide que le prévoyaient physiciens et mathématiciens », relèvent les auteurs de l'étude (Claude Grasland, France Guérin-Pace, Marion Le Texier et Bénédicte Garnier). D'autres pays sont plus en avance, notamment le Bénélux qui apparaît comme la zone de mélange la plus intense. Aux Pays-Bas, trois pièces sur quatre sont d'origine étrangère et les pièces allemandes sont même plus nombreuses que les néerlandaises, devant les belges, françaises, espagnoles et italiennes. En France, deux types de propagation ont été repérées par l'Ined : l'une rapide, mais à courte distance, localisée dans les zones frontalières et l'autre plus lente, mais à plus longue distance. Dans les zones frontalières, où le mélange est intense, les allers-retours sont nombreux et la diffusion dans le reste du territoire est lent. En revanche, les mobilités professionnelles et touristiques à longue distance sont plus efficaces, mais étant le fait des élites sociales, correspondent à des déplacements moins nombreux et des échanges de pièces moins fréquents. Ainsi, dans l'Ouest, trois pièces sur quatre demeurent françaises, alors que le mélange frôle les 50% à l'Est et au Sud Est.

Curieusement, les pièces ne circulent pas au même rythme selon leur valeur. Les pièces de 50 centimes, 1 et 2 euros sont déjà en majorité étrangères. Plus on descend en valeur, moins le mélange est important, ce qui correspond à la réalité des paiements et à l'abandon progressif de l'usage des pièces de 1 et 2 centimes, comme c'est déjà le cas en Finlande et aux Pays-Bas. Par pays, les pièces les plus présentes en France fin 2011 sont dans l'ordre décroissant l'Espagne et l'Allemagne, à peu près à égalité un peu en dessous de 30%, puis la Belgique, l'Italie et les Pays-Bas. Les pièces les plus rares en France sont celles originaires de Grèce et de Finlande. Les quatre grands pays frontaliers totalisent 80% des pièces étrangères observées en France et leur répartition est assez stable dans le temps. A l'avenir, le poids démographique de l'Allemagne et de l'Italie devrait cependant conduire à une augmentation de la proportion de pièces en provenance de ces pays. A terme, le classement des pièces étrangères devrait se rapprocher de celui de la population des pays émetteurs. La France du Nord-Est est d'ores et déjà dominée par la présence des euros allemands et celle du Sud-Ouest par celle des euros espagnols. Une forme d'allégorie à la crise de la dette qui voit s'opposer le bon euro du nord et le mauvais euro du sud. Entre les euro-marks et les euros-pesetas pour acheter sa baguette, faudra-t-il un jour choisir ? Soyons clairs : jusqu'à preuve du contraire, un euro vaudra toujours un euro. Pas besoin donc de thésauriser vos euro-francs.