Retraites : le gouvernement se donne trois semaines

Par Jean-Christophe Chanut et Fabien Piliu  |   |  1200  mots
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Selon le Premier ministre, le décret abaissant à 60 ans l'âge de départ à la retraite pour les personnes ayant commencé à travaillé à 18 ans et ayant 41 années de cotisation sera connu d'ici trois semaines. Finalement, les périodes "validées" mais "non cotisées" pourraient être prises en compte en tout ou partie dans le calcul des annuités. Par ailleurs, Jean-Marc Ayrault va recevoir les partenaires sociaux le 29 mai pour préparer la grande conférence sociale.

Ce devait être une réforme rapide ; ça devient compliqué. Ce devait être une réforme technique ; ça devient politique... C'était surtout l'une des promesses fortes du candidat Hollande. C'est donc l'une des priorités les plus urgentes du gouvernement... En bonne logique, car les symboles comptent pendant les 100 premiers jours d'un nouveau quinquennat. Quoi qu'il en soit, le décret prévoyant le retour à la retraite à 60 ans pour une partie des Français ayant commencé à travailler dès l'âge de 18 ans et ayant cotisé 41 annuités sera prêt "d'ici trois semaines", selon les termes du Premier ministre. Mais non sans difficulté... Comment expliquer cette complexité ?

Le dispositif "carrière longue"

Au préalable, le futur décret devait en fait simplement étendre aux personnes ayant débuté une carrière à 18 ans le dispositif "carrière longue", initié en 2003 et repris dans la réforme de 2010, qui permet déjà aux salariés ayant commencé à travailler à 17 ans, voire plus tôt, de continuer de partir à 60 ans. Or ce dispositif "carrière longue" précise que les 41 annuités nécessaires, pour exercer son droit au départ, s'entendent comme des période "travaillées et cotisées" auxquelles s'ajoutent, éventuellement, les périodes de service militaire (dans la limite de 4 trimestres), de maladie et de maternité (dans la limite de quatre trimestres également). En revanche, les périodes "validées" mais non "cotisées", par exemple celles passées au chômage, ne sont pas comptabilisées.

Or, ce périmètre jugé trop restrictif ne convient pas aux syndicats, CGT et FO en tête, qui demandent au gouvernement que la "réforme de la réforme"  tienne compte de tout ou partie des périodes simplement "validées". A l'inverse, l'UMP et le Medef prônent la plus grande prudence pour des raisons de coûts. Il reste donc au gouvernement à trancher.

Les trimestres "validés" pourraient finalement être comptabilisés dans une certaine mesure

A cet égard, mercredi, lors du Conseil des ministres, le chef du gouvernement a annoncé que le fameux décret serait publié entre les deux tours des élections législatives. Préparé par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, il pourrait concerner, selon les estimations du gouvernement, environ 100.000 personnes. Mais, surtout, comme l'a précisé la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem, "les période de chômage seront prises en compte dans le calcul des trimestres". Déjà, le 18 mai, Marisol Touraine avait expliqué que  "les congés maternité seraient évidemment comptabilisés (...) et les périodes de maladie, dans certaines limites". Les choses commencent donc à se préciser. Les syndicats semblent avoir été - partiellement - entendus. Il ne s'agit plus d'une simple extension du dispositif "carrière longue » aux personnes ayant commencé à travailler à 18 ans mais d'une réforme un peu plus ambitieuse, puisque les paramètres de calcul des annuités vont être modifiés. Reste à connaître l'ampleur de ces modifications : combien de trimestres de chômage pourront être pris en compte ? Idem pour les maternités, on ne sait pas encore à combien, in fine, va être portée la limite actuelle de 4 trimestres...

Le coût du dispositif et son financement

La réponse pourrait venir du coût du dispositif estimé à cinq milliards d'euros en vitesse de croisière par le candidat Hollande durant la campagne. Mercredi matin, sur RTL, Jean-Marc Ayrault a rappelé que le coût de cette mesure, évalué à 1 milliard d'euros par an, était d'ores et déjà financé par une hausse de 0,1 point des cotisations sociales salariales et patronales chaque année durant cinq ans.  Soit, au total, un point de cotisation à l'issue du quinquennat. Actuellement, la cotisation vieillesse s'élève à 16,65% du salaire brut déplafonné, dont 6,75% à la charge du salarié et 9,9% à la charge de l'employeur. Certes, mais non sans raison, Laurence Parisot, la présidente du Medef, s'inquiète déjà du surcoût d'une telle mesure pour les régimes de retraite complémentaire Agirc (cadres) et Arrco qui devront s'aligner automatiquement... Selon le Medef, le coût pour ces régimes serait de 2 milliards d'euros par an à partir de 2017.

Quant à connaître qui seraient les bénéficiaires. Selon le décret du 30 décembre 2010 reconduisant les "carrières longues", il doit s'agir des seuls assurés du régime général, des régimes alignés (salariés agricoles, artisans, commerçants), des travailleurs non salariés agricoles, des professions libérales, des avocats et du régime social des ministres du culte... Les fonctionnaires ne sont donc pas concernés.

S'agissant de la polémique naissante, lancée par l'UMP, sur la nécessité de consulter le Parlement afin d'instruire cette réforme, à ce stade, juridiquement, elle est sans fondement. Pour l'instant, les dispositions en vigueur qui seraient éventuellement modifiées ont été édictées par des décrets publiés en 2003 et 2010. Au nom du parallélisme des formes, il revient à un autre décret de les changer... Pas à la loi. En revanche, à terme, comme le gouvernement en a manifesté l'intention, si c'est le c?ur de la loi de 2010 qui est appelé à évoluer, alors le passage devant le Parlement deviendra obligatoire.

D'autres sujets sociaux à venir

En tout état de cause, la publication de ce décret ne serait que l'acte 1 du vaste chantier que le gouvernement compte mener à bien dans le domaine social. Une grande conférence sociale sur l'emploi, la formation, les salaires, le Smic, les conditions de travail et les retraites sera organisée avant le 14 juillet. Elle pourrait durer plusieurs jours.

Au regard des enjeux, et pour éviter les tensions avec les partenaires sociaux, le gouvernement compte procéder avec une extrême prudence. Le 29 mai, entouré de Michel Sapin, le ministre du Travail, de Marisol Touraine aux Affaires sociales et de Marylise Lebranchu à la Fonction publique, le Premier ministre recevra à tour de rôle les cinq centrales syndicales représentatives (CGT, CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC) et les trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA). Dans un second temps, toujours pour déminer le terrain, sera organisée une "conférence de la méthode", réunissant l'ensemble des partenaires sociaux.

Le sujet délicat de la pénibilité sera notamment au menu. Une fois encore, la dernière réforme des retraites devrait être modifiée. Le texte actuel prévoit la priser en compte des conséquences de l'invalidité sur des critères individuels. Un certificat médical prouvant une invalidité supérieure ou égale à 10% liée à une usure professionnelle constatée permet à un salarié de partir à la retraite dès 60 ans, avec une pension sans décote. Même s'il n'a pas tous ses trimestres. Dans les cas d'invalidité estimée entre 10% et 20%, c'est une commission qui décide ou non d'accorder le départ anticipé. La CGT et la CFDT souhaitent que le système soit modifié afin qu'il soit moins individualisé et que ce soit la durée d'exposition à la pénibilité des salariés assujettis à des travaux pénibles qui ouvre le droit à la retraite anticipée. Une mesure à laquelle s'oppose très vertement le patronat en raison de son coût.