Le prix du paquet de cigarettes à 20 euros ?

Par Fabien Piliu  |   |  976  mots
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Ce serait probablement envisageable si la politique de la Santé était totalement menée par le ministère de la Santé. Or, dans ce domaine, c'est le ministère du Budget qui garde la main. Le prix du paquet de cigarettes augmentera de 6% à compter du 1er octobre. Une hausse qui permet de maintenir, voire d'augmenter les recettes fiscales de l'Etat qui s'élèvent en moyenne à 13 milliards par an. Le coût du tabagisme est estimé à 60 milliards d'euros par an pour l'Etat.

Dans un monde idéal, un gouvernement responsable privilégierait le long terme, plutôt que le court terme. Dans le même monde, il laisserait au ministère de la Santé l?ensemble des questions de santé publique et en particulier le tabagisme. « Pour lutter contre ce fléau, le gouvernement doit augmenter fortement les prix, mettre en place une politique efficace de remboursement des thérapies de sevrage tabagique, en réfléchissant à une possible implication des complémentaires santé, informer encore et toujours la population sur les risques que prennent les fumeurs et investir dans la recherche. Il doit agir sur tous ces leviers simultanément, le plus puissant étant une hausse brutale d?au moins 10% des prix via une politique fiscale ambitieuse et harmonisée au niveau européen », explique Vincent Genet, Directeur de la Division Santé d?Alcimed, une société de conseil et d?aide à la décision. Selon l?Insee, 30% des citoyens âgés entre 18 et 75 ans sont fumeurs, occasionnels ou non.

Une hausse de 6% à compter du 1er octobre

Rigueur oblige, le gouvernement, comme les gouvernements précédents, ne fait pas ces choix. Si le volet dépenses du projet de de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) est plutôt maitrisé par le ministère de la Santé, le volet recettes est entre les mains de Bercy. Et, au regard de l?état actuel des finances publiques, Jérome Cahuzac, le ministre du Budget a le dernier mot. Résultat, ce vendredi, il a annoncé une hausse de 6% du prix du paquet de cigarettes à compter du 1er octobre, ce qui représente un coût d?environ 40 centimes par paquet pour les fumeurs. De cette façon, il ne tue pas la poule aux ?ufs d?or. Les recettes fiscales pesant sur le tabac, qui représentent en moyenne 13 milliards d'euros par an, continueront de progresser, en raison de l?augmentation du taux et de la résistance attendue de la consommation.

Certes, sur ces 13 milliards, 3 milliards servent au financement de la lutte contre le tabagisme. « Mais c?est un montant bien inférieur aux 60 milliards par an que représente le coût du tabagisme sur les finances publiques », compare Vincent Genet. Un chiffre avancé par l'Office français de prévention du tabagisme, (Ofdt) dans une étude publiée en 2005. Selon une étude de l?Insee publiée en 2005, le coût du tabagisme coûte 772 euros par an par habitant.

Pas de soutien pour les fumeurs

Pourtant, comme le démontre une étude de la Haute autorité de la Santé (HAS) datée en 2007, la prévention a un réel effet sur la consommation de tabac. Pourtant, rien n?est prévu pour soutenir les fumeurs. Le sevrage tabagique, les consultations chez les tabacologues ne sont pas pris en charge par l?assurance-maladie. Seul un forfait de 50 euros par an par personne est à la disposition de ceux qui veulent arrêter de fumer.

Bien sûr, Marisol Touraine, la ministre de la Santé n?est pas totalement absente des débats. Elle a sauvé les apparences ces derniers jours en se déclarant en faveur d?un relèvement du prix du paquet de cigarettes.  « Or, on sait qu?il n?y a que des hausses brutales et répétées des tarifs qui permettent de faire chuter la consommation, notamment chez les plus jeunes qui ne sont pas encore totalement sous l?emprise du tabac. En France, la dernière hausse significative des prix date de 2004 [+39% en trois ans]. Elle avait entraîné un net recul des ventes », rappelle Thibaud Durand, responsable de mission chez Alcimed.

Un problème de perception du tabagisme

Cette domination de Bercy sur la rue de Grenelle s?explique également par le fait que le tabagisme n?est toujours pas considéré en haut lieu comme une pathologie mais comme un simple comportement, bien qu?il soit la première cause de mortalité évitable en France. Et encore moins comme une addiction qui doit être traitée comme telle. Selon une étude réalisée en 2005 par l?université canadienne de l?Ontario, 90% des fumeurs souhaiteraient décrocher mais n?y arrivent pas.

« Pourtant, à condition d?avoir une stratégie de long terme et de ne pas limiter son horizon au seul quinquennat, le gouvernement aurait tout à gagner à établir une véritable politique de lutte contre la tabagisme qui entraîne directement ou indirectement des affections de longue durée (ALD) dans 100% des cas. Il y a peu de pathologies aussi rentables à soigner », précise Thibaud Durand.

Que fait l?industrie pharmaceutique ?

Alors que l?industrie du tabac et les buralistes s'organisent avec force pour faire valoir leurs intérêts au plus haut niveau de l?Etat, au Parlement et dans les cabinets ministériels, l?industrie pharmaceutique est plutôt stoïque. Pourquoi ? Si l?Etat décide de rembourser une partie des produits permettant le sevrage tabagique, il devra fixer le prix de ces médicaments impactant de ce fait leurs marges. Pour les mêmes raisons, les pharmaciens ne seraient pas très partisans de cette solution.

Dans ce bras de fer entre le ministère du Budget et celui de la santé, l?Elysée et Matignon ont évidemment leur mot à dire. Le sommet de l?Etat pourrait-il prendre le risque de faire chuter immédiatement sa cote de popularité en se mettant une bonne partie des Français et des Françaises à dos ou préférera-t-il adopter une stratégie capable d?améliorer à moyen-long terme à la fois la santé publique et les comptes de l?Etat ? Le projet de loi de finances et financement de la Sécurité sociale seront présentés dans quelques semaines. On saura alors si le monde idéal est pour demain.