« Stigmatiser ainsi les retraités, c'est un vrai scandale »

Par propos recueillis par Sophie Péters  |   |  760  mots
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La sociologue Anne-Marie Guillemard* s'insurge contre le rapport de la cour des comptes qui épingle les avantages fiscaux et sociaux dont bénéficient les retraités.

Les avantages fiscaux et sociaux dont bénéficient les retraités sont dans le collimateur des magistrats. La Cour des comptes note que « contrairement à une idée reçue, les retraités sont dans une situation financière plus favorable que les actifs ». Leurs revenus sont, selon elle, désormais légèrement plus élevés et leur patrimoine beaucoup plus. Etes-vous d'accord avec cette analyse ?

Aligner le taux de CSG des pensions les plus élevés sur celui des salaires, pourquoi pas. Mais pour le reste (supprimer l'abattement fiscal de 10% sur les pensions et soumettre à l'impôt les majorations de pensions dont bénéficient les parents de trois enfants), on se trompe de débat et de sujet.
S'il est vrai que le revenu des retraites a rattrapé celui des actifs depuis 2003, suite aux différentes réformes menées depuis 1993, il faut aussi souligner que ces réformes ont fait baisser le niveau des pensions et de fait, le niveau de vie des retraités. C'est un phénomène qui touche l'ensemble de l'Europe, y compris l'Allemagne. Sur l'aspect patrimonial, Il est vrai aussi qu'ils en ont un peu plus que les actifs...évidemment puisqu'il provient de ce qu'ils ont acquis durant leur travail. Alors oui, ils sont pour certains propriétaires de leur logement mais cela ne leur procure pas un niveau de vie très supérieur au quotidien. Et cela ne concerne pas la majorité des retraités dont les situations sont extrêmement disparates. J'y vois la marque d'une idéologie sur ces « retraités riches » à l'heure où la réalité nous montre beaucoup de petites retraites qui ne sont pas à taux plein dans un pays où nous avons la plus longue contribution exigée, soit 41,5 ans. Avec ces propositions, on ne vise que la soutenabilité financière et on perd de vue la soutenabilité sociale.

Qu'entendez-vous par « soutenabilité sociale » ?

On parle de fiscalité mais on ne parle pas du vrai problème, celui de la croissance. Or les retraités sont l'un des moteurs de la consommation, donc de la croissance. Ils ne sont pas soumis à l'instabilité du chômage et sont plutôt constants dans leurs dépenses.
Plus grave encore, on va s'attaquer à une population qui constitue un soutien de famille. Les plus aisés et même les moins, sont les pivots de la solidarité intra-familiale. Ils s'occupent non seulement de leurs enfants et petits enfants mais aussi parfois de leurs très vieux parents. On va encore appauvrir les retraités et éroder la confiance dans le système de retraite par répartition. Il y a beaucoup de retraités en situation de faiblesse. Et aucun syndicat pour les défendre. Stigmatiser ainsi les retraités, c'est tout simplement scandaleux.

Pourquoi ?

Parce qu'on oublie leur immense contribution à la vie sociale. Avec la généralisation du travail des femmes, ce sont eux qui ont repris les rênes du bénévolat. C'est affolant de taper ainsi sur les retraités au lieu de montrer et de mesurer ce qu'ils apportent à la vie sociale par leurs comportements altruistes. La plupart des associations reposent sur les retraités. A l'heure où il faut faire jouer toutes les solidarités sociales, l'Etat ferait mieux de les soutenir et de les dynamiser, en commençant déjà par les valoriser, au lieu de jeter l'opprobe sur « ces retraités trop riches ». Je suis plutôt de gauche et je ne comprends pas cette logique du « diviser pour mieux régner ». François Hollande a été élu sur l'idée de la cohésion sociale et celle de se serrer les coudes. A un moment crucial où il est urgent de jouer sur les solidarités nationales, les mesures doivent être soucieuses d'équité. Après Sarkozy et les étrangers, Hollande s'attaque aux riches et aux retraités. On fragmente la population sans aucune vision d'équité.

Comment rétablir les équilibres ?

Par une réforme de la fiscalité globale dans laquelle chacun est amené à faire un effort proportionnel à ses revenus. Et non en s'attaquant aux niches les unes après les autres. Les retraités apportent énormément à la population de ce pays. Il faudrait enfin songer à les mettre en valeur.

*Professeur des Universités, membre de l'Institut Universitaire de France et de l'Académie Européenne des Sciences et chercheur du Centre d'Etude des Mouvements Sociaux, Anne-Marie Guillemard est une spécialiste des comparaisons internationales portant sur la protection sociale, les systèmes de retraite et l'emploi.