Fleur Pellerin/Véronique Morali : « L'avenir de l'économie passe par les entrepreneuses »

Par Propos recueillis par Isabelle Lefort  |   |  1090  mots
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L'une est ministre déléguée aux PME, à l'Innovation et à l'économie numérique, l'autre est chef d'entreprise, à la tête de Fimalac Développement, de Terrafemina TFCo, de Forces Femmes et du Women's Forum. Ensemble, elles expliquent pourquoi il faut accompagner les entreprises dirigées par des femmes.

LA TRIBUNE - Selon le palmarès de Women Equity, entre 2007 et 2010, les PME françaises ont enregistré une contraction moyenne de 4,4% de leur activité, alors que celles dirigées par des femmes ne sont qu'à -0,6%. Les femmes sont donc plus performantes que les hommes. Seraient-elles une solution face à la crise ?
FLEUR PELLERIN - Il y a six ans déjà, une étude « Women Matter » de McKinsey&Company démontrait que les entreprises où les femmes sont présentes dans les instances dirigeantes réussissaient mieux. Aujourd'hui, toutes les études le confirment. Pourtant, les femmes sont toujours sous- représentées parmi les créateurs et les dirigeants d'entreprise. Les chiffres stagnent depuis 20 ans. Elles restent sous- représentées dans les Comex, les sociétés d'assurance, les entreprises du secteur financier.
VERONIQUE MORALI - C'est le constat des paradoxes. D'un côté, les femmes surperforment, d'un autre elles rencontrent plus de difficultés pour trouver des sources de financement en raison d'une défiance pas toujours rationnelle des banquiers.

Concrètement, quelle politique développez-vous pour soutenir les femmes?
F. P. - Nous travaillons sur les mentalités. Il faut mener des actions de sensibilisation auprès des agents des banques et lever les freins psychologiques à l'octroi des crédits. Nous développons, avec l'association 100.000 Entrepreneurs, fondée par Philippe Qayat, des actions de sensibilisation à l'école primaire, dans l'enseignement secondaire et supérieur, pour que les jeunes filles puissent se projeter en créatrices d'entreprise potentielles, au travers de rôles modèles féminins positifs. Tout ce qui permet aux femmes de partager leur expérience, d'échanger des bonnes pratiques, comme les Pionnières Days et les assises de l'entrepreneuriat, vont dans le bon sens. Avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, nous souhaitons orienter les projecteurs sur ces exemples de réussite de parcours féminins.

Dans les accompagnements aux entreprises, existe-t-il des questions spécifiques aux femmes ?
V. M. - Les basiques en termes d'organisation et de gestion des entreprises, de recherche de financement, sont les mêmes pour tous. La prise en compte du principe de réalité, de ce qu'est créé, gérer et développer son entreprise est le même. C'est la même exigence. Mais, au-delà de l'acte fondateur, l'important est de pérenniser et de développer l'entreprise. Il faut accompagner les créateurs d'entreprise, en particulier les créatrices, dans la durée.
F. P. - Certains outils sont « genrés », d'autres ne le sont pas, comme le fait d'accompagner un projet d'entreprise et de faire en sorte qu'il puisse dépasser le cap des cinq ans - une entreprise sur deux meurt dans les cinq ans - qu'elle ait été initiée par un homme ou par une femme. Les chiffres le révèlent : les femmes représentent 30% des créateurs d'entreprise, dont 40% sont des auto entreprises, soit la moitié des 550.000 créations d'entreprise annuelles. Le taux de précarité est plus fort chez les femmes.

Certains domaines résistent particulièrement à l'ascension des femmes, le num!rique en particulier...
V. M. -
Aux Etats-Unis, on a vu des nominations emblèmatiques de femmes à la tête d'entreprises des secteurs médias et télécoms, comme chez Yahoo et IBM. Sans parler de Sheryl Sandberg chez Facebook. Certes, ces femmes n'ont pas créé ces entreprises, mais on leur en a confié les rênes pour les diriger, voire les redresser. Les femmes au Brésil, aux Etats Unis, en France, s'engagent petit à petit dans ce secteur, même si on les trouve encore plutôt dans les services ou le commerce.
F. P. - La création de start-up innovantes était surtout le fait de personnes ayant fait des études d'ingénieur. Les filles !tant sous-représentées dans les filières scientifiques, un effet de levier conduit à ce qu'elles soient un peu sous-représentées dans cet univers-là. Cela change. Ca va venir.

Concrètement, comment faire en sorte que l'on compte plus de femmes dans les instances dirigeantes ?
F.P. -
La loi Copé-Zimmermann a plus ou moins réglé la question pour les conseils d'administration, mais pas pour le recrutement, d'où la sous-représentation des femmes dans les comités exécutifs. Les chasseurs de têtes commissionnés par les entreprises ont des cahiers des charges qui sont autant de missions impossibles. Il faut réfléchir à tous les verrous mentaux. La réflexion menée par Viviane de Beaufort, professeure à l'ESSEC, sur la formation des femmes à la participation à un conseil d'administration, me paraît très pragmatique.
V. M. - Pour y parvenir, les réseaux de femmes constituent un des leviers pour engager des actions volontaristes dans ce domaine. Depuis 2 ans, ces réseaux se sont structurés ; ce sont de vraies communautés agissantes, des forces de proposition pour les entreprises, presque de nouveaux corps intermédiaires qui dialoguent avec les organisations syndicales et suivent la promotion et la visibilité des femmes, tout en !tant utiles aux entreprises. Dans le cadre de Terrafemina TFCo, j'accompagne 12 réseaux d'entreprises multisectoriels organisés en « métaréseaux » pour donner la vision des femmes sur l'entreprise d'après-crise, sur un « new business deal ».

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Quel financement pour les PME féminines ?

Seulement 4% des opérations de capital-investissement ont été réalisées en 2012 sur des entreprises dirigées par des femmes en France, alors qu'elles représentent de 11 à 18% des PME (18% des 20-49 salariés, 11% des 100-249 salariés, source APCE). Selon le second baromètre annuel publié par Women Equity en partenariat avec CFnews, media en ligne du corporate finance, cette sous-représentation s'aggrave depuis 2010, alors que le nombre total des opérations s'accroît sur la période. Pourtant, les trois index Women Equity successifs (40000 PME de 4 à 100 M d'euros analysées par périodes de trois ans) témoignent d'une surperformance des PME dirigées par des femmes en termes de croissance du CA et de profitabilité (taille moyenne des PME de 14 M d'euros de CA tant pour l'échantillon féminin que masculin). « Nous ne pouvons que déplorer la situation de financement auxquelles ces entreprises font face malgré leurs performances. Le mode opératoire actuel de l'industrie du capital-investissement ne semble pas en mesure de résorber spontanément ces écarts, raison pour laquelle un acteur dédié a été constitué, Women Equity Partners », d!clare Dunya Bouhacene, présidente de Women Equity.
Pour en savoir plus www.women-equity.org, www.cfnews.net