“Je ne vois pas la situation bretonne avoir un impact sur le reste de la France"

Par Propos recueillis par Marina Torre  |   |  802  mots
Béatrice Giblin est géographe, elle a dirigé l'Institut français de géopolitique à l'université Paris VIII.
La colère des “Bonnets rouges“ allumera-t-elle des étincelles dans le reste de la France ? Pour Béatrice Giblin, géopolitologue spécialiste des régions, c’est exclu, dans la mesure où cette révolte se caractérise par une forte composante régionale difficile à transposer ailleurs.

La fièvre des bonnets rouges gagne-t-elle vraiment le reste de la France. Après les événements spectaculaires du week-end en Bretagne, les sifflets qui ont accueilli le président de la république le 11 novembre, quelques incidents dans d'autres régions certains médias et commentateurs ont cru observer une extension de la contestation sociale au reste de la France. Une analyse que conteste Béatrice Giblin, directrice d'études à l'Institut français de géopolitique et auteure d'une "Géopolitique des régions" (Fayard). 

La Tribune - Le mouvement des "bonnets rouges" peut-il essaimer durablement sur le reste du territoire?

Béatrice Giblin - Je ne crois pas. Des mouvements épars peuvent émerger mais sans équivalent. C'est un contexte bien singulier que celui de la Bretagne. On a une composante régionaliste importante dans ce mouvement. Ce n'est pas un hasard si la ville de Quimper, ville d'une "Bretagne bretonnante", a été choisie plutôt que Rennes pour les manifestations.

Par ailleurs, les problèmes du secteur agroalimentaire ne tombent pas du ciel. Ils s'expliquent notamment par la baisse des subventions européennes qui se chiffrent en centaines de millions d'euros, même s'il y a aussi une responsabilité patronale dans ce type de crise. Le mouvement régionaliste a pu surfer là-dessus. Cette alchimie, on ne la retrouvera pas ailleurs.

Outre l'écotaxe, ces mouvements se sont cristallisés sur des plans sociaux (Gad, Doux etc). Pourtant, ce n'est pas en Bretagne mais en Île de France, dans la région Rhône-Alpes et dans le Nord Pas-de-Calais que se concentrent la majorité des plans sociaux. Pourquoi la contestation sociale n'y a-t-elle pas éclaté avec la même vigueur ?

Justement, cette composante régionale n'existe pas. Le Nord-Pas-de-Calais est touché depuis de longues années mais là population y est fortement syndicalisée depuis de nombreuses années. Très encadrée, elle est plus respectueuse de la hiérarchie et de l'autorité qu'en Bretagne. La tradition ouvrière bretonne est relativement récente, la région n'a pas connu la révolution industrielle, elle a toujours été plus rurale. Elle a bénéficié à la fin des années 1970 d'une politique de l'État pour la développer avec l'installation d'universités, d'équipements routiers, d'une industrie des Telecom près de Lannion etc. L'encadrement ouvrier n'y est pas aussi fort que dans le Nord. Dans les mines, on obéit. Ne serait-ce que pour éviter de mettre tout le monde en danger.

D'autres éléments sont à prendre en compte pour expliquer la spécificité de ce mouvement. D'abord, toutes les classes sont confondues. C'était déjà le cas à la fin des années 1950 avec la création du Comité d'études et de liaison des intérêts bretons qui réunissait élus, chefs d'entreprises, syndicalistes etc. pour défendre les intérêts bretons à Paris. Ensuite, il y a une certaine mauvaise conscience française à propos de la paysannerie qui conduit à fermer les yeux sur des comportements qui seraient inacceptables ailleurs. Les jeunes de banlieue, on les traite de mauvais Français, on ne le dira jamais des Bretons. Il existe aussi un "malaise" dans le Nord ou en Auvergne. Mais le "malaise breton", visiblement, cela fonctionne bien.

Comment cette contestation née en Bretagne se traduira-t-elle politiquement ?

Par de l'abstention et un glissement vers les extrêmes. Bien entendu, les élections municipales ne sont pas comparables avec les autres - puisque l'on vote d'abord pour une personne qui a fait (ou non) des choses pour sa commune. De ce point de vue, pour les élus socialistes de la région, cela ne sera pas forcément facile, mais ça passera. La Bretagne est devenue socialiste dans les années 1970 et à l'époque la gauche défendait le mouvement régionaliste par opposition au Gaullisme. Il est possible que sur le littoral, les gens se retrouvent dans le discours sécuritaire de l'extrême droite. Et rappelons que Le Pen vient de la Trinité-sur-Mer.

Au niveau national, c'est la même chose, la situation de chaque commune compte beaucoup. Puisqu'il s'agit des premières élections après la présidentielle, il y aura cependant un vote-sanction. Mais ce n'est pas forcément la situation de la Bretagne qui l'expliquera. Il y a aussi le chômage, le ras-le-bol fiscal… 

La contestation bretonne sera donc vite oubliée ? Pourtant, son extension même à d'autres catégories comme celle des artisans est évoquée…

Je ne vois pas la situation en Bretagne avoir un impact sur le reste de la France. Et les artisans avaient prévu de manifester bien avant ! Tout comme les écoles primaires. Contrairement aux raccourcis que l'on peut entendre en ce moment, le mouvement breton n'est pas à l'origine de tout.