Pacte de responsabilité : le "Oui, mais" de Pierre Gattaz

Par Philippe Mabille  |   |  895  mots
Sous la pression de l'Elysée et de ses pairs, le président du Medef esquisse un virage sur l'aile à propos du pacte de responsabilité et accepte de prendre des "engagements de moyens" mais pas de "résultats" pour des emplois en échange d'une baisse des charges des entreprises. Une rencontre avec les syndicats est prévue le 28 février.

De retour des Etats-Unis où il a accompagné la visite d'Etat de François Hollande, à Washington puis à San Francisco, le président du Medef n'a pas tardé à découvrir les dégâts médiatiques de son "couac" sur les "contreparties" exigées par la gauche en échange des allégements de charges patronales.

Après avoir réaffirmé depuis les Etats-Unis qu'il n'y aurait pas "d'objectifs chiffrés" sur l'emploi, Pierre Gattaz a fait mine de faire machine arrière, suite à un sérieux recadrage avec l'Elysée qui lui a reproché cette sortie médiatique contradictoire avec l'objectif du voyage : montrer le visage d'une "équipe de France de l'économie" unie et cohérente. Le président du Medef, sous la double pression de la gauche qui a haussé le ton contre le Medef, mais aussi celle de ses pairs patrons, notamment les responsables de l'Afep, qui poussent à un accord avec le gouvernement, a donc complètement changé de discours... sur la forme. Il s'est ainsi fait applaudir à San Francisco devant la communauté française à la demande de... François Hollande, pour avoir indiqué que le Medef soutenait sans ambiguïté la démarche du pacte de responsabilité et sans reprendre le mot qui fâche de "contreparties", acceptait sa part en promettant des engagements "de mobilisation, d'objectifs et de moyens", pour créer des emplois. La nuance compte, mais le ton change.

De retour à Paris, Pierre Gattaz a enfoncé le clou en publiant sur le site du Medef, Medef TV, une vidéo empreinte de gravité et de solennité pour réaffirmer cet "engagement" et rappeler la position de son organisation. Fourbi de son désormais célèbre pin's "1 million d'emplois en cinq ans", le patron du Medef, dit découvrir "avec surprise les interprétations erronées" autour de ses déclarations et déclare accepter de passer "des mots aux actes" avec des objectifs "ambitieux".

 

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Source MEDEFtv

Le rendez-vous du 28 février

Des actes. Pierre Gattaz en propose un premier en invitant les partenaires sociaux à un premier échange le 28 février. Et un deuxième en promettant pour le courant mars "de documenter ces objectifs avec des chiffres à partager" qui seront autant "d'estimations" de ce qu'il est possible de faire, dans les différentes branches professionnelles. Mais, attention, prévient le patron des patrons : "recréer de l'emploi dans notre pays prendra des années, dépendra de la cohérence des mesures prises et demandera de la constance dans l'effort"...

Le gouvernement est prévenu. Les objectifs ne seront tenables que si tout est fait pour rétablir la compétitivité des entreprises par une baisse des charges sociales et de la fiscalité financée par une baisse de la dépense publique. "Il faut combler l'écart de 116 milliards d'euros qui nous sépare" de l'Allemagne et baisser "de 60 milliards d'euros les impôts et les charges des entreprises d'ici 2017", réclame le président du Medef.

Pas d'engagement juridique

Finalement, Pierre Gattaz a donc changé de discours, mais pas le fond de sa pensée. "Les soi-disantes contreparties" seront un "engagement de moyens" dans la "confiance", mais pas "des engagements de résultats dans un mode de défiance". Voilà François Hollande et la majorité prévenus : "les entreprises ne pourront jamais prendre d'engagement juridique de résultats dans un environnement instable et mondialisé". Pour Pierre Gattaz, "il faut cesser la démarche de contrainte-contrôle-sanction" et passer à celle combinant "incitation-simplification-confiance" : car "si le pacte de responsabilité se traduit par 50 pages de plus au code du travail et 150 de plus au code des impôts, nous aurons manqué totalement l'objectif et notre pays ne se relèvera pas".

Cette intervention du président du Medef, qu'il adresse aux Français à qui il veut tenir un "discours de vérité", autant qu'aux présidents des fédérations patronales et aux syndicats montre que le pacte de stabilité progresse dans les esprits. Si elle divise la gauche et perturbe la droite, elle est d'ailleurs largement soutenue par l'opinion.

Le patronat aussi est divisé sur les attraits du pacte

Mais comme le diable, la réussite du pacte se cache dans les détails. Car pour l'heure, on ne sait rien de la forme que prendront les futurs allégements de charges. Le Crédit d'impôt compétitivité emploi sera-t-il maintenu voire amplifié ? Ou remplacé par une suppression des cotisations patronales à la branche famille ? Comment se conjuguera-t-il par ailleurs avec les autres allégements de charges Aubry-Fillon pour les salaires allant de 1 à 1,6 smic ? Tous ces points restent dans l'ombre et complique sérieusement l'accouchement du pacte. Ces inconnues divisent aussi fortement le Medef entre les branches industrielles qui réclament des allégements ciblés allant jusqu'à 3,5 smic, et celles des services, comme la distribution, qui craignent d'être perdantes à ce jeu de bonneteau social. C'est sans doute dans ces tensions internes au patronat que se trouve l'explication de l'intervention de Pierre Gattaz, contraint à faire la couture entre un patronat pluriel, des syndicats qui hésitent à part la CFDT à conclure un accord, une gauche de la gauche qui conteste la logique même de ce qu'elle appelle "un cadeau" au patronat et un président de la République qui joue le sort de son quinquennat sur ce pari audacieux.