Pourra-t-on échapper à une étatisation de la santé ?

Par Fabien Piliu  |   |  1317  mots
L'hôpital concentre à lui seul 44 % des dépenses de santé.
Soucieux de préserver le modèle social français, le gouvernement est obligé de jouer les équilibristes. Malgré certaines mesures cohérentes, sa stratégie nationale de santé est incapable d'accélérer le retour à l'équilibre de la Sécu qui, en 2014, devrait afficher un déficit de 9,9 milliards d'euros. La panne de la croissance n'arrange rien.

Long, très long est le chemin du retour à l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale. Dans le rouge à hauteur de 13,3 et 12,5 milliards d'euros en 2012 et 2013, le déficit du régime général devrait s'établir à 9,9 milliards d'euros cette année, si les prévisions inscrites dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif (PLFSSR) 2014 s'avèrent justes.

À ce rythme-là, l'équilibre des comptes, l'objectif ultime de l'exécutif depuis qu'il a décidé de ne plus laisser la France vivre à crédit, ne devrait pas être atteint avant la fin de la décennie. Encore faudrait-il que le gouvernement change de logiciel : qu'il ne se contente plus de financer les dépenses courantes par des mesures de rendement dont l'efficacité est parfois difficile à prouver, et dont le nombre croissant contribue à la complexification du paysage fiscal et social ; que la technique du « coup de rabot » trouve ses limites et donc que ce retour à l'équilibre s'appuie sur des réformes structurelles.

La nécessité d'une stratégie de long terme

Bref, il faut que le gouvernement ne procède plus par à-coups, comme ce fut le cas le 19 juin lorsque Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, a esquissé une stratégie nationale de santé qui, bien que pavée de merveilleuses intentions - elle met l'accent sur la prévention, le soutien à l'innovation et la lutte contre les déserts médicaux -, évite soigneusement de modifier un système pourtant défaillant.

L'exécutif en est-il capable ? Alors que l'urgence dicte l'action des gouvernements qui se succèdent, que la santé devra apporter son écot - plus de 10 milliards d'euros - au plan de rigueur de 50 milliards d'euros que le gouvernement a décidé de lancer à l'horizon 2017, élaborer et financer une stratégie de long terme capable de réduire les déficits, tout en préservant le modèle social français bâti en 1945, s'avère complexe. Un modèle qui commence d'ailleurs à se lézarder sous les coups de boutoir imposés par l'austérité. Les députés n'ont-ils pas voté le 2 juillet le gel pour un an des pensions de retraites de plus de 1 200 euros ?

Pourtant, des solutions existent, à condition de supprimer les blocages, les frustrations et les incompréhensions que les errements du passé ont fait naître chez les professionnels, les industriels et les patients.

Publié en juin, le rapport annuel sur les finances publiques de la Cour des comptes rappelait qu'il était « nécessaire » et surtout « possible d'asseoir une stratégie tendant à mobiliser les gisements d'économies considérables que recèle le système de santé, sans compromettre l'égalité d'accès aux soins, ni leur qualité ».

Et les comparaisons internationales montrent que l'Assurance maladie paie souvent très cher des services ou produits que d'autres pays se procurent à coût moindre. Exemple - parmi d'autres - cité dans le rapport : celui des analyses médicales dont le coût de la numération formule sanguine (NFS) serait, selon la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), dix fois plus élevé en France qu'en Allemagne.

« L'indispensable retour à l'équilibre de l'assurance maladie devrait ainsi reposer sur des réformes structurelles conduisant à des économies documentées et chiffrées de façon beaucoup plus fine que celles jusqu'ici présentées dans les lois de financement », avance la Cour, dont les recommandations varient peu au fil des années.

Outre la mise en place d'un véritable contrôle interne - 1,5 million de factures seulement sur 1,1 milliard sont contrôlées par la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), et 14% des fraudes détectées par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) -, la Cour recommande de réformer l'hôpital : il concentre à lui seul 44% des dépenses de santé et ses établissements ont vu leurs comptes repasser dans le rouge en 2013.

La grande colère des médecins libéraux

Comment ? En développant notamment la chirurgie ambulatoire, via l'hospitalisation à domicile et le raccourcissement des séjours en établissement qui pourrait dégager 5 milliards d'euros d'économies.

Selon la Cour, cette pratique « connaît en France un retard persistant et important » et « son potentiel d'économies n'est pas exploité ». Surtout, « l'Assurance maladie paie deux fois : des lits d'hospitalisation conventionnelle remplis seulement aux deux tiers, et des places de chirurgie ambulatoire utilisées deux fois moins qu'à l'étranger pour des actes facturés au même tarif qu'en hospitalisation complète, alors qu'elle est beaucoup moins coûteuse ».

Pour développer la chirurgie ambulatoire, il faudrait, comme l'explique l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), informer les patients et les convaincre de l'efficacité de cette pratique, former les praticiens, réfléchir au partage de responsabilité entre le médecin traitant et l'équipe chirurgicale. Entre autres chantiers à lancer.

Le problème est que le projet de loi sur la santé concocté par Marisol Touraine prend à contre-pied ces recommandations, à la grande colère des médecins libéraux et des hôpitaux privés.

« Le texte souhaite imposer un modèle d'étatisation hospitalo-centré, vers le tout-hôpital, via les agences régionales de santé [ARS], en démantelant au passage la convention médicale nationale et collective pour encadrer les médecins libéraux dans un système rigide, où ils perdraient à la fois leur liberté d'installation et leur liberté d'exercice », explique Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), prêt à en découdre cet automne si le gouvernement ne revoit pas sa copie, notamment sur le tiers payant généralisé jugé inutile, chronophage et coûteux.

La Fédération hospitalière privée (FHP) est sur la même longueur d'ondes.

« Ce n'est pas en renforçant la mainmise de l'État sur le secteur de la santé et en laissant au privé une place de laissé pour compte que l'on va améliorer l'efficience du système pour nos compatriotes et s'attaquer aux vrais enjeux. Le gouvernement se trompe de réforme, alors qu'il faudrait s'attaquer avec courage et responsabilité aux déséquilibres structurels du système de santé et à la réorganisation de l'offre de soins qui occasionnent des milliards d'euros de dépenses de manière inefficace », déclare Lamine Gharbi, le président de la FHP.

Plus de génériques et plus de... concurrence

Le développement des génériques est une autre piste. Si leur part de marché en volume, actuellement de 28% , passait à 75% comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, ce sont entre 2 et 5 milliards d'euros d'économies qui seraient réalisées.

Mais là encore, la tâche du gouvernement est énorme. Il doit éduquer les patients, mais également les prescripteurs, médecins et pharmaciens, tout en renouant le dialogue avec les laboratoires pharmaceutiques qui, fâchés de voir le prix de leurs médicaments princeps relevés à chaque PLFSS, se sont vus reprocher des pratiques d'ententes et des campagnes de dénigrement des génériques. C'est moins facile à faire que de relever la TVA sur les médicaments non remboursés, comme le gouvernement l'a décidé en janvier...

Autre source de conflit à venir : la déréglementation programmée de certaines professions libérales, dont certaines professions de santé parmi lesquelles les médecins, les pharmaciens, les masseurskinésithérapeutes ou encore les dentistes. La CSMF est également vent debout contre cette mesure inspirée par le rapport de l'Inspection générale des Finances (IGF) dévoilé en juillet, et qui devrait être intégrée à la loi sur la croissance et le pouvoir d'achat.

« Ce projet est insultant. Les professionnels de santé ne sont pas des rentiers qui pillent les Français », s'insurge Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération.