Le grand imbroglio de la tour Triangle

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  790  mots
Nathalie Kosciusko-Morizet pressentant quelque traitrise dans son camp avait décidé que chaque élu UMP montrerait son bulletin en sortant de l'isoloir avant de le mettre dans l'enveloppe.
La Tour Triangle n’existe plus, selon Nathalie Kosciusko Morizet qui a trouvé une majorité contre le projet. Elle est toujours là, rétorque Anne Hidalgo, pour laquelle le vote au conseil de Paris a été totalement illégal. La Maire va en justice, un autre vote aura vraisemblablement lieu. Sans pressions cette fois, espère Anne Hidalgo, pour que la majorité favorable à la tour se révèle enfin.

A 11 h 57, un élu UMP, un conseiller de Paris important et influent, rédige un SMS : «Si le vote a vraiment lieu à bulletin secret, Hidalgo l'emporte.» Traduction : il y a suffisamment d'élus UMP qui s'apprêtent à manger les consignes de vote de NKM pour soutenir la maire. A 12 h 34, un des très proches de NKM adresse un SMS plus prudent, mais pas confiant dans son propre groupe: «On est à 50/50.»  Dans son coin, tournant en rond, nerveux, Jean-Louis Missika, en charge du projet pour la maire, sait, lui, que, si rien ne dérape, il peut encore faire adopter la tour Triangle à bulletin secret.

Et puis, d'un coup, tout part en vrille. Nathalie Kosciusko-Morizet, pressentant quelque traitrise dans son camp, avait en effet, dans les premières minutes de la séance du conseil, décidé que chaque élu UMP montrerait son bulletin en sortant de l'isoloir avant de le mettre dans l'enveloppe. Manière de montrer l'unité anti-Hidalgo de l'UMP et de coincer les éventuels félons. Dès le début de vote, l'atmosphère s'électrise. D'autant plus que ça râle sec dans les travées. Rachida Dati, par exemple, s'aperçoit que les procurations des rares absents UMP ont été données à des UMP qui ne respecteront pas les consignes des absents. Au moins deux, dont celle de Pierre Lellouche, favorable à la tour Triangle et qui a, contre son gré, voté contre. Chaque voix compte à l'UMP !

Un vote transformé en manifestation

Du coup, les écolos à l'unisson de l'UMP montrent aussi leurs bulletins. Certains essaient bien de leur expliquer que c'est illégal, mais rien n'y fait. Et les quatre assesseurs, les plus jeunes et les plus inexpérimentés du Conseil de Paris, incapables d'arrêter la mascarade y participent carrément! Sous cette pression, des élus UMP favorables à la tour ont-ils changé leur vote ? Des élus du 16e arrondissement par exemple ? Anne Hidalgo ou Jean-Louis Missika l'ont en tout cas pensé.

Et lorsque le résultat tombe (78 pour la tour, 83 contre), la Maire de Paris a une étrange réaction : plutôt que de proclamer le résultat, elle digresse longuement sur la nullité du vote, sur l'interdiction de faire la publicité à son vote pendant un scrutin à bulletin secret, elle prend quasiment le préfet à témoin et annonce qu'elle se tourne immédiatement vers la justice, vers le tribunal administratif, pour le faire annuler. Elle évoque même des sanctions pénales pour les élus qui ont montré leur bulletin. Puis elle donne le résultat. Pataquès immédiat. L'UMP hurle, le PS soutient la maire et les écolos ne savent plus où ils sont.

Depuis quand la maire dit elle la loi?

A 14 heures, le conseil de Paris se retrouve donc dans une situation juridiquement incompréhensible. Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, la tour Triangle est morte et enterrée. Pour Anne Hidalgo, la loi n'a pas été respectée et la tour Triangle est encore potentiellement vivante faute de décision. «Je considère que je n'ai aucune décision à présenter dans un sens ou dans l'autre à Unibail Rodamco [le promoteur de la tour, Ndlr], explique-t-elle dans les couloirs. L'attitude de Nathalie Kosciusko-Morizet est totalement inadmissible. Elle a exercé toutes les pressions possibles sur ses élus. Elle savait que certains, et non des moindres, étaient venus nous dire qu'ils voulaient un vote à bulletin secret pour voter suivant leur conscience et pas en fonction des consignes de NKM. Je considère que ce vote n'est  pas valable. Elle savait parfaitement que ce qu'elle faisait était illégal. Je le lui a dit. »

Et Jean-Louis Missika rajoute : «Son conseiller, l'élu du 9e, Jean-Baptiste de Froment est conseiller d'Etat. Il connaît la loi.» Jean-François Legaret, le maire UMP du 1er arrondissement, tempête lui de son côté : « Depuis quand la maire de Paris dit-elle la loi ? La tour Triangle est rejetée, c'est indiscutable. On verra plus tard ce que le tribunal dit, mais juridiquement la tour est morte. »

Un deuxième vote aura vraisemblablement lieu

Un UMP « pro tour » regrette la réaction vive de la maire : « Elle aurait dû se contenter d'annoncer le résultat. Et se tourner après vers la justice. Nathalie Kosciusko-Morizet braque beaucoup de monde chez nous avec sa stratégie pour mettre Hidalgo en minorité quoiqu'il arrive, mais Anne Hidalgo ne sait pas calmer le jeu.»

La suite ? A la vue du carnaval du vote, le tribunal donnera vraisemblablement raison à la maire. Mais, avec un deuxième vote, une fois les esprits calmés, la tour passera-t-elle ? Nul n'en a aucune idée. Mais tout le monde sait que, le 17 novembre, cette tour avait une majorité. Et qu'elle n'a pas pu s'exprimer.