Heures supplémentaires : faut-il rouvrir le débat sur la défiscalisation ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1152  mots
71% des Français favorables au retour de la "défiscalisation des heures sup"
Dans un sondage CSA, 71% des Français se disent favorables à la proposition de Nicolas Sarkozy de réintroduire la défiscalisation des "heures sup". Le gouvernement Valls a pourtant compensé cette suppression - pour les salariés aux plus bas revenus - en supprimant la première tranche d'imposition à l'impôt sur le revenu.

Manifestement, Nicolas Sarkozy a du mal à convaincre les Français avec ses propositions en matière économique et sociale... A l'exception du retour à la défiscalisation des heures supplémentaires. C'est du moins ce qui ressort d'un sondage CSA réalisé auprès de 1012 personnes pour le compte du quotidien Les Echos, l'Institut Montaigne et Radio Classique.

Dans son édition du 2 mars, le quotidien Le Figaro publiait un long entretien de Nicolas Sarkozy où l'ancien chef d'Etat exposait ses propositions économiques « alternatives » à la politique menée par le gouvernement de Manuel Valls. On y retrouvait beaucoup de « recettes » de l'ancien président suggérées lors de ses campagnes électorales de 2007 et 2012.

Ainsi, Nicolas Sarkozy proposait de rétablir le double mécanisme de défiscalisation et d'exonération de cotisations sociales de sécurité sociale des heures supplémentaires qui fût en vigueur entre 2007 et 2012, après le vote de la loi « Tepa » de 2007.

Il préconisait aussi de laisser à chaque entreprise le soin de fixer par accord l'essentiel des règles du droit du travail, une suppression de l'ISF, le retour au non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite en étendant cette disposition aux fonctionnaires territoriaux, élever à 63 ans l'âge de la retraite, etc.

Une Majorité opposée au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux

D'après le sondage CSA, aucune des mesures de Nicolas Sarkozy n'emporte l'adhésion réelle des Français. Sauf une : le retour à la défiscalisation des « heures sup ». Elle recueille 71% d'opinions favorables, contre 22% de jugements défavorables. Bien entendu, les plus favorables à ce rétablissement sont les actifs (77%) et même les personnes plutôt proches du Parti Socialiste sont pour (60%). Évidemment, les proches de l'UMP la plébiscitent (83%), tout comme ceux proches du FN (83%).

Les Français sont en revanche bien plus divisés sur le passage de l'âge légal de départ à la retraite à 63 ans (58% d'avis défavorables contre 40% d'avis favorables) et majoritairement opposés (63%) au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Enfin, 65% des Français se disent opposés à la suppression de l'ISF (contre 29%). A noter que cette mesure est rejetée aussi bien par les sympathisants de l'UMP (55%) et de l'UDI (52%), que par ceux du FN (61%) ou de la gauche (77%).
Bref, Nicolas Sarkozy ne semble pas séduire avec ses propositions... sauf donc sur la défiscalisation des « heures sup ». Mais comment, à première vue, pourrait-il en être autrement. C'est la seule de ses mesures qui est susceptible de donner du pouvoir d'achat aux Français dans une période morose où les augmentations salariales se font rares.

D'ailleurs, la suppression de la défiscalisation fin 2012, une fois François Hollande arrivé à l'Elysée, avait été mal vécue par des Français qui y ont vu là une façon de rogner leur pouvoir d'achat. Surtout qu'ils étaient nombreux à en profiter. Ainsi, en 2010, à l'apogée de la mesure, 8,6 millions de foyers fiscaux ont déclaré des revenus d'heures supplémentaires, soit 23,5% des foyers fiscaux. Sur ce total, les deux tiers (5,7 millions) étaient imposables et un tiers (2,9 millions) non imposable. Parmi les foyers imposables, 35% avaient un foyer fiscal annuel inférieur à 17.161 euros.
A l'époque, les syndicats, notamment Force ouvrière (FO), s'étaient émus de la disparition brutale de la mesure pénalisante pour les foyers modestes. Ils préconisaient une sorte de compensation de remplacement, via par exemple une décote fiscale.

Un coût très élevé pour les finances publiques


Malgré quelques voix dans son propre camp - comme celle de Thierry Mandon, député PS de l'Essonne à l'époque et devenu ministre depuis - en faveur d'un geste sur les « heures sup », le président François Hollande avait dit « niet » le 15 septembre 2013 lors de son intervention sur TF1. Pour le président, comme d'ailleurs pour son ministre du Travail de l'époque Michel Sapin, ceci n'aurait aucun sens, alors que la France connaît des records en matière de chômage et que les finances publiques connaissent un tour de vis sans précédent.

De fait, s'agissant de l'emploi, il est certain que le recours facilité aux heures supplémentaires n'incite pas les entreprises à embaucher. Or, le taux de chômage atteint 10% et devrait encore progresser... Concernant les finances publiques, il faut aussi avoir à l'esprit que la mesure Sarkozy, selon des calculs de l'Institut Montaigne, avait un coût très élevé pour les finances publiques. Le coût des exonérations de charges sociales sur les heures sup s'élevait à 3,1 milliards d'euros en 2011 dont 2,4 milliards pour les exonérations salariales et 700 millions pour les exonérations patronales. Quant au coût de la défiscalisation des heures sup au titre de l'impôt sur le revenu, il s'élevait, lui, à 1,4 milliard d'euros. Au total, donc, la mesure Tepa « coûtait » à l'Etat (et donc au contribuable) et à la Sécurité sociale environ 4,5 milliards d'euros en année pleine.

Pas question donc d'imaginer un retour à la situation antérieure. D'autant plus que, d'une certaine façon, le gouvernement a déjà fait un geste qui est venu compenser pour une partie des contribuables la fin de la défiscalisation. Mais la mesure n'a pas été présentée sous cette forme par Manuel Valls... Ce qu'il aurait sans doute dû faire, politiquement parlant.

Une mesure compensatoire

 Dans le cadre du pacte de responsabilité, la loi de finances pour 2015 a en effet supprimé la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu, au taux de 5,5%. La nouvelle tranche débute désormais à 9.690 euros (au lieu de 6.011), au taux de 14%. La décote est renforcée et son plafond relevé à 1.135 euros pour les célibataires et à 1.870 euros pour les couples. Cette suppression de la première tranche du barème (qui s'appliquera donc la première fois pour les revenus perçus en 2014) est donc venue compenser en partie la suppression de la « mesure Sarkozy » puisque, répétons-le, parmi les foyers imposables qui bénéficiaient de la défiscalisation des « heures sup », 35% avaient un foyer fiscal annuel inférieur à 17.161 euros.


Sans parler que, déjà, à la mi 2014, dans une loi de finances rectificative, il avait été décidé une réduction d'impôt (de 350 euros pour un célibataire et de 700 euros pour un couple) pour les personnes gagnant moins de 1.250 euros nets par mois en 2013. Selon le gouvernement, cela signifiait, par exemple, que pour un couple de salariés payés au Smic, effectuant chacun 12 heures supplémentaires par mois, il n'y avait plus d'impôt sur le revenu alors qu'il était jusqu'ici d'environ 350 euros.

In fine, pour les ménages salariés modestes, la suppression de la défiscalisation des « heures sup » a été compensée. Mais dans le tumulte provoqué par le débat sur le pacte de responsabilité et le « ras-le-bol fiscal » la mesure est passée inaperçue.