Santé : ce à quoi les Britanniques ont échappé

Par Eric Albert, à Londres  |   |  583  mots
Le premier ministre britannique David Cameron (à droite) et Nick Clegg le numéro du 2 du gouvernement britannique en discussion avec un patient au Guys Hospital de Londres. Copyright Reuters
La réforme britannique de la santé a été en grande partie enterrée ce mardi. L'ouverture au secteur privé, en particulier, est diluée et les médecins pourront choisir ou non de prendre le contrôle de leur budget.

C'est fou ce qu'il se passe quand un homme politique se met à écouter. Après dix semaines de "pause" pour un "exercice d'écoute", le gouvernement britannique a décidé de fortement diluer sa réforme de la santé. David Cameron, Premier ministre britannique, a bien tenté de retourner l'argument, affirmant que les changements sont la preuve de son ouverture d'esprit et de sa capacité d'écoute, mais il faut pourtant se rendre à l'évidence: la grande réforme du NHS (National Health Service, le service de santé britannique) n'aura pas vraiment lieu (lire le communiqué de Downing Street en anglais).

Le demi-tour partiel lui coûte pourtant cher politiquement. David Cameron, qui a promis de ne pas réduire le budget de la santé (le seul ministère à échapper à la grande cure d'austérité du pays), jouait gros sur cette réforme, en tentant de s'attaquer au mamouth qu'est le NHS, très cher au coeur des Britanniques.
Il proposait deux vastes changements. Le premier était de donner la gestion du budget du NHS aux médecins; le second était d'accélérer l'ouverture au service privé.

Les deux idées étaient révolutionnaires pour le NHS, un système de santé entièrement gratuit (les Britanniques n'ont pas un centime à débourser en allant voir le médecin) mais très bureaucratique et lent. Actuellement, le budget est géré par des organismes administratifs pour chaque grande région du pays. Le confier aux médecins relevait d'une idée simple : ce sont eux qui connaissent les vrais besoins de leurs patients. De plus, cela devait permettre de supprimer une couche administrative. Mais certains médecins répliquent qu'ils n'ont ni le temps, ni la compétence, ni même l'envie de gérer un budget. Surtout, ils ne veulent pas se retrouver dans la position de consciemment refuser de prescrire un médicament, ou de réduire la durée des visites, pour des raisons budgétaires. Selon eux, gérer le budget et soigner les patients est un conflit d'intérêts permanent.

Quant à l'ouverture à la concurrence du secteur privé, elle existe partiellement depuis les années Blair. Mais il était question de fortement l'étendre. Le personnel du NHS craignait en particulier que le secteur privé ne s'occupe que des cas les plus simples, où un bénéfice peut être dégagé, laissant au secteur public les patients le plus durs. Au passage, cela aurait renforcé l'apparente mauvaise "productivité" du NHS, tout en réduisant ses ressources, détournées par le privé.

David Cameron a donc tranché ce mardi. Le transfert des budgets aux médecins aura lieu, mais la date butoir de 2013 est retirée. Les médecins qui ne seront pas "prêts" à cette date pourront continuer à repousser l'échéance. Autrement dit, cette partie de la réforme dépendra du succès qu'elle a auprès des médecins.
Mais la vraie concession concerne l'ouverture à la concurrence. Le principal rôle du régulateur médical, Monitor, ne sera plus de renforcer la concurrence, mais d'améliorer le choix des patients. Une façon comme une autre de diluer l'idée originelle...

Politiquement enfin, cette réforme en partie avortée est une petite victoire pour les libéraux-démocrates, les partenaires juniors de la coalition. Après leur grave défaite électorale le mois dernier, ils pourront s'accrocher à cette bouée de secours comme la preuve de leur "utilité" au pouvoir.