"Avec la Grèce, il ne faut pas rééditer une faillite du type Lehman Brothers"

Par Propos recueillis par Yann-Antony Noghès, à Bruxelles  |   |  1325  mots
Copyright Reuters
Dans un entretien exclusif à La Tribune, le ministre belge des Finances, Didier Reynders, alerte sur une possible contagion d'un défaut grec, même à la France, et explique la situation en Belgique. Il revient sur le rôle de la BCE et des agences de notation.

Quelles seraient les conséquences d'un défaut de la Grèce ?

 

 

 

Didier Reynders: On a déjà connu un « stress test » grandeur nature en 2008 avec la faillite de la banque Lehman Brothers. Cela a entraîné un manque de confiance total entre les acteurs du monde financier. Il ne faut donc pas rééditer une faillite de ce type, d'autant qu'elle pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l'ensemble de la zone euro. Si la Grèce était le premier pays à faire défaut, les regards se tourneraient ensuite vers d'autres pays comme l'Irlande, le Portugal, l'Espagne, l'Italie, peut-être la Belgique mais aussi la France, quand on voit son niveau de déficit et d'endettement. On ne sait pas où s'arrêterait la contagion...

Comprenez-vous ceux qui ont des réticences à intervenir à nouveau pour aider la Grèce ?

Il faut rappeler à certains politiques dans le nord de l'Europe que l'euro est un bénéfice extraordinaire pour les pays exportateurs avant tout, comme l'Allemagne, le Benelux et la Scandinavie. Quand vous allez à Athènes, vous voyez dans les rues des Mercedes et des Audi. Lorsque vous vendez des produits dans un pays, vous devez assumer un risque, les fameuses « liabilities ». L'Allemagne exporte énormément et le cas grec est finalement assez marginal à côté de ce que l'on a connu sur les marchés financiers. La Grèce, le Portugal et l'Irlande réunis pèsent à peine 6 % du PIB de la zone euro. Lorsqu'ils s'agissait de soutenir nos banques, on n'a pas hésité. On a parlé de garanties en « trillion » d'euros, un mot qui n'était même pas connu à l'époque! Et puis aujourd'hui, pour des sommes beaucoup moins importantes pour sauver la zone monétaire elle-même, les réticences sont beaucoup plus grandes... Je ne comprends pas très bien.

Ce qui irrite les Allemands, c'est le sentiment de devoir donner aux Grecs une sorte de prime de mauvaise gestion...

Je partage totalement l'analyse de beaucoup d'Allemands : c'est d'abord à la Grèce de faire des efforts. Mais si c'est pour l'asphyxier, cela n'a aucun sens ! Le but n'est pas que le pays meurt guéri. Si on continue de demander à la Grèce de revenir dans une meilleure situation dans les deux ans on n'en sortira jamais. Il faut lui laisser le nombre d'années suffisant pour réellement mener son plan de réforme : 4, 5, voire 7 ans. Il y a des changements profonds à réaliser dans le pays. Les Grecs en sont capables mais la pression européenne doit être très forte.

Pourquoi serait-ce une erreur de contraindre les créanciers privés de participer à l'aide à la Grèce?

Je partage le souci de faire participer les banques, les compagnies d'assurance et les fonds de pension à l'effort mais de manière volontaire. On peut faire pression sur eux car les Etats sont actionnaires dans beaucoup d'institutions financières mais il ne faut pas aller jusqu'à leur imposer leur participation. Faire payer les banques, c'est faire payer les épargnants qui ont leur argent dans ces banques. En clair : tout le monde. Or, si on les force, ce sera difficile de retourner les voir et demander de l'argent pour les financements futurs. Ensuite, ce serait dramatique d'aller enrichir à nouveau les spéculateurs et de pénaliser les partenaires financiers institutionnels qui jouent le jeu en prêtant de l'argent et en le gardant jusqu'à maturité

Pour les premiers plans d'aide, on avait expliqué aux contribuables que ces prêts rapporteraient de l'argent grâce aux intérêts. Pourrez-vous encore avancer cet argument alors qu'il y a un risque que la Grèce ne rembourse pas?

Nous sommes partenaires du FMI depuis sa création et nous n'avons jamais perdu, même dans les pays en développement, un franc ou un euro. Nous avons toujours récupéré notre mise. Ce que je ne dis pas, c'est que nous allons en plus demander une rémunération importante sur les prêts à la Grèce. Je n'ai pas envie de demander à la population grecque de rémunérer fortement la population belge pour son aide, sinon ce n'est plus de la solidarité.

Comment sortir la Grèce de cette situation et ainsi nous mettre à l'abri ?

Dès l'entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001 on savait ses statistiques fausses. Je présidais l'Union européenne à cette époque. Les Européens sont donc pour partie responsables de la situation. Je sens bien qu'aujourd'hui en France, en Allemagne, en Belgique, à peu près tout le monde se dit que ce serait bien de prendre des décisions à la place de la Grèce. Cela ne pose problème à personne. En revanche, en 2005, lorsque l'on a connu des problèmes de déficits en France et en Allemagne... on a introduit de la flexibilité.
Il faut un minimum de règles communes dans la zone euro. Pour l'instant, le seul instrument commun, c'est la Banque centrale européenne (BCE) à qui on fait presque jouer un rôle budgétaire. La BCE a très bien géré la crise financière, elle a pris ses responsabilités. Mais on lui demande actuellement de prendre un peu trop de responsabilités. La solution budgétaire grecque doit venir de Grèce. La privatisation, c'est déjà la participation du secteur privé. Mais il faut aussi que l'Europe intervienne, qu'elle mette en place les instruments budgétaires adéquats. On demande à Jean-Claude Trichet d'aller un peu plus loin parce que les politiques n'arrivent pas à prendre les décisions.

Etes-vous serein sur la situation de la Belgique ?

Tout à fait serein, jamais, mais optimiste oui ! Notre dette a culminé à plus de 140% du PIB en 1993, aujourd'hui elle est inférieure à 100 % de notre PIB. Nous avons mis 20 ans mais nous l'avons réduite! Pendant la même période, la France et l'Allemagne ont augmenté leur dette de 40 points de PIB... Nos fondamentaux sont bons : nous avons un des déficits les plus bas d'Europe, la tendance budgétaire est tout à fait positive. Ce volet là ne m'inquiète pas. Il y a un problème à l'autre extrémité c'est l'avenir du pays, il faudra réformer institutionnellement le pays. Il y a un vrai débat idéologique sur les pensions, la santé, le chômage. Je comprends l'inquiétude des marchés, et je ne reproche pas aux agences de notation de nous dire « vous devriez faire comme ça ».

Pourtant, vous n'avez pas toujours donné le sentiment de comprendre les appréciations des agences de notation...

Je suis heureux qu'elles interviennent sur les marchés, il faut que quelqu'un donne un avis sur ce qui se passe. Mais il faut aussi analyser les conséquences car parfois, l'avis des agences de notation accélère un mouvement. Si c'est à bon escient, tant mieux. Mais si c'est à tort, il faut quand même se demander quelle est leur vraie responsabilité. Nous avons pris des décisions, l'agence de supervision ESMA va pouvoir jouer un rôle et on va pouvoir avoir des sanctions.

La Belgique se prépare à lever d'ici au 1er juillet le secret bancaire sur les comptes d'épargne ouverts par 250 000 étrangers, dont 100 000 français. La Belgique perd-là un avantage fiscal par rapport à des pays comme le Luxembourg...

Il faut que l'on harmonise au moins une base en matière fiscale, sinon les gens font du shopping fiscal. Le Luxembourg devrait évoluer de plus en plus vers la levée de son secret. Là-bas, c'est un secret à garantie pénale et le banquier qui dévoile le secret bancaire est passible de poursuites pénales, ce qui n'a jamais existé en Belgique. C'est intenable, on ne peut pas, en Europe, vouloir à ce point préserver des lieux de secret. Comment peut-on imaginer que dans une zone monétaire, nous n'ayons pas des règles communes, dont celle-là, sur la fiscalité ?