"Les Marocains vivent une révolution par le haut, qui ne ressemble à aucune autre"

Par Propos recueillis par Sylvain Rolland  |   |  716  mots
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Alors que les Marocains doivent adopter, ce vendredi par référendum, le projet de révision de la Constitution proposé par le roi Mohammed VI, la spécialiste du Maghreb Mansouria Mokhefi, directrice du programme Moyen-Orient/Maghreb à l'Institut français des relations internationales (IFRI), revient sur les enjeux du scrutin.

Ce vendredi, les Marocains sont appelés aux urnes pour approuver le projet de réforme de la constitution proposée le 17 juin par le roi Mohammed VI, qui vise à rééquilibrer les pouvoirs au profit du Premier ministre. Le "oui" semble en mesure de l'emporter...
L'immense majorité de la population considère que ce projet de réforme constitutionnelle répond aux aspirations d'ouverture et de partage du pouvoir. Dans la rue, beaucoup estiment que le roi a su prendre en compte les revendications de son peuple, et ce dès le 9 mars, le jour où il a annoncé la préparation de cette réforme. Le "oui" va donc certainement l'emporter à une large majorité, probablement entre 70% et 80% des voix. Les Marocains veulent le changement, mais avec leur roi, car ils sont très attachés à la monarchie. Ils sont fiers que le roi prenne l'initiative des réformes, tout en ayant conscience que l'évolution vers une monarchie plus démocratique est un long processus. Ils savent aussi que ce processus est enclenché et qu'il va se poursuivre. Du coup, l'enjeu du scrutin n'est pas tellement le résultat mais la participation, qui va révéler l'implication des Marocains et le soutien qu'ils portent à leur roi.

La campagne s'est caractérisée par une forte mobilisation, aussi bien des partisans du "oui" que du "non". Pourquoi ?
En effet, les Marocains se sont saisis de cette question. Il y a eu beaucoup de manifestations, dans un premier temps organisées par des opposants [le mouvement de jeunes du "20 Février", des partis de gauche et, depuis vendredi dernier, le mouvement islamiste Justice et bienfaisance, l'un des plus importants au Maroc, ndlr] puis de la part des partisans du "oui". Mais dans l'ensemble, le "oui" a davantage mobilisé que le "non" ou ceux qui prônent l'abstention.

Néanmoins, une partie de l'opinion n'est pas du tout satisfaite par les réformes proposées. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, beaucoup de contestataires ne sont pas politisés. Ces personnes ont des exigences véritablement démocratiques et considèrent que les concessions du roi ne sont pas suffisantes, car il se réserve des prérogatives politiques et religieuses. Ils déplorent la corruption et le manque de transparence. Par contre, ils prônent un maintien de la monarchie, mais avec un roi qui ne gouvernerait pas et qui cesserait une fois pour toutes de concentrer les pouvoirs entre ses mains. Ils veulent un gouvernement indépendant qui décide seul de la gestion politique, économique et juridique du pays. On en est loin.

Pourquoi ce mouvement perd-il du terrain à mesure qu'approche le référendum ?
Parce que la grande majorité de la population estime que le roi a fait de vraies concessions. Contrairement à la Tunisie ou à l'Egypte, les Marocains ne rejettent pas le pouvoir, ils aiment leur roi ! Ils considèrent que Mohammed VI a pris la mesure à la fois du printemps arabe et du désir de réformes. Le sentiment dominant est plutôt l'espoir, et la fierté de vivre une révolution par le haut, qui ne ressemble à aucune autre dans le monde arabe. Même si les évènements en Tunisie et en Egypte ont précipité les revendications et accéléré le processus de réformes, les Marocains veulent une révolution sans morts. Le rejet de la violence au Maroc est le socle du soutien de la population au roi.

Pensez-vous que ces concessions sont une étape vers l'instauration d'une véritable démocratie parlementaire ?
Je ne pense pas, car les ouvertures sont réelles et significatives, et la grande majorité de la population s'en contente. Certaines réformes, comme la reconnaissance de toutes les identités marocaines et de la langue berbère, sont de grandes avancées. Il faut se rappeler que le père de Mohammed VI avait instauré une véritable chape de plomb sur le pays. Donc les Marocains mesurent le chemin parcouru depuis l'arrivée au pouvoir, en 1999, de Mohammed VI. Surtout que le roi a été propulsé sur le trône sans expérience de la chose politique. L'opinion marocaine n'attendait pas grand-chose de lui. Or, il est en train de montrer qu'il sait écouter les revendications de sa population.