S&P prive les Etats-Unis de leur triple A

Par Jérôme Marin, Frank Paul Weber et agences  |   |  1479  mots
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L'agence Standard & Poor's (S&P) a retiré vendredi soir, pour la première fois de son histoire, la note AAA sur la dette à long terme des Etats-Unis. Au-delà de l'impact sur les marchés financiers dès ce lundi, l'abaissement de la note de Washington devrait provoquer un surcoût annuel de 100 milliards de dollars pour les comptes publics américains. Pékin, premier créancier des Etats-Unis, a haussé le ton et exige "la sécurité des actifs chinois en dollars". La Chine réclame "une surveillance internationale sur la question du dollar et une nouvelle monnaie de réserve, stable et sûre".

L'agence de notation, Standard and Poor's (S&P) a abaissé vendredi soir sa note de la dette publique des Etats-Unis, leur ôtant la meilleure note "AAA" pour la première fois de leur histoire, citant les "risques politiques" face aux enjeux du déficit budgétaire (le rapport complet de S&P ici).

La note a été réduite d'un cran à "AA+". S&P a par ailleurs abaissé la perspective à "négative", ce qui signifie que Standard and Poor's pense que la prochaine fois que cette note changera, ce sera pour être abaissée de nouveau.

L'agence a en revanche rassuré sur le sort de la même note, AAA, attribuée notamment encore à la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou le Canada.

"En comparant les Etats-Unis à d'autres pays ayant une note AAA similaires comme le Canada, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, la trajectoire de la dette publique nette américaine diverge des autres [dettes] (...) en 2015 nous prévoyons que leurs ratios de dette publique iront de 30% (le plus bas, pour le Canada) à 83% pour la France, le plus haut ratio, la dette américaine s'élevant à cette date à 79 % du PIB américain", écrivent les analystes de S&P.

"Mais, contrairement aux Etats-Unis, le fardeau de la dette publique de ces autres pays commencera à baisser, soit avant 2015 soit à cette date, selon nos prévisions", précisent-ils.

DES "RISQUES POLITIQUES"

S&P a justifié le déclassement des Etats-Unis par "des risques politiques", c'est-à-dire que le pays ne prenne pas des mesures suffisantes pour réduire son déficit budgétaire. Pour elle, le débat politique sur ces questions n'est pas à la hauteur des problèmes causés par une dette publique de plus de 14.500 milliards de dollars.

A minuit (heure de Washington), la Maison blanche n'avait pas encore commenté officiellement la décision de l'agence.

Barack Obama a toutefois été prévenu à l'avance de la décision de Standard & Poor's et se tient informé des suites de l'annonce, a confié un responsable de l'administration américaine à Reuters.

Le président américain a quitté la Maison blanche pour rejoindre la résidence de Camp David, quelques heures avant la publication de la dégradation de la note, selon la même source.

"Le plan de rééquilibrage du budget sur lequel le Congrès et l'exécutif se sont récemment mis d'accord est insuffisant par rapport à ce qui, de notre point de vue, serait nécessaire pour stabiliser la dynamique à moyen terme de la dette publique", a expliqué l'agence, invoquant la loi dite de "contrôle du budget" votée mardi.

Le président de la Chambre des représentants, le Républicain John Boehner, un des acteurs-clé des récentes négociations sur le relèvement du plafond de la dette publique, a lui réagi rapidement.

"Cette décision de S&P est la dernière conséquence de la dépense incontrôlée qui a eu lieu à Washington depuis des décennies. La frénésie de dépenses a abouti à une incertitude économique détruisant des emplois et menace désormais de répercussions destructrices nos marchés du crédit", a commenté le chef de file des Républicains au Congrès.

"L'administration et les Démocrates au Congrès ont demandé une augmentation de la limite d'endettement sans aucune réduction des dépenses ou des réformes. Les Républicains ont signalé clairement que le peuple américain ne tolèrerait pas cela et se sont battus pour les réductions de dépenses les plus importantes possibles. Avec la loi sur le contrôle budgétaire, nous avons fait une première étape positive vers la réduction de la dette, mais beaucoup plus doit être fait", a ajouté John Boehner, laissant entendre que la polémique politique n'est pas prête de cesser.

Le sénateur démocrate du Nevada, Harry Reid, chef de file de la majorité au Sénat américain, a lui, plus brièvement analysé - dans un tweet - le geste de S&P comme "la réaffirmation du besoin d'une approche équilibrée face à la réduction du déficit qui lie des coupes dans les dépenses à des mesures augmentant les recettes".

Cela illustre la ligne de clivage entre Républicains et Démocrates: ces derniers prônant ainsi des hausses d'impôts, en particulier pour les ménages américains les plus aisés, alors que les Républicains y sont farouchement opposés.

Les Etats-Unis étaient notés AAA par Standard and Poor's depuis la création de cette agence en 1941.

Les deux autres grandes agences, Moody's et Fitch, n'ont, elles, pas abaissé leur note, toujours la meilleure, des Etats-Unis à la suite de l'accord sur le relèvement du plafond de la dette.

PEKIN DEJA MECONTENT DE LA GESTION AMERICAINE

L'agence de notation chinoise, Dagong, avait elle aussi abaissé sa note de la dette des Etats-Unis de A+ à A avec une perspective négative.

D'ailleurs les premiers commentaires sur la décision de S&P venant de l'Empire du Milieu sont particulièrement virulents.

"La Chine, premier créancier de la seule superpuissance mondiale, est dorénavant dans son droit d'exiger des Etats-Unis qu'ils affrontent le problème de leur dette structurelle et assure la sécurité des actifs chinois en dollars", rapporte l'agence officielle Chine nouvelle dans un commentaire.

"Il faut mettre en place une surveillance internationale sur la question du dollar américain et une nouvelle monnaie de réserve, stable et sûre, peut aussi être une option pour éviter qu'une catastrophe soit provoquée par un seul pays", exige Chine nouvelle.

Un porte-parole du département du Trésor a critiqué l'analyse réalisée par S&P, indiquant qu'elle contient une erreur de 2.000 milliards de dollars.

LES BONS DU TRESOR AMERICAINS, TOUJOURS DES VALEURS REFUGES ?

"Cette décision de S&P ne devrait pas vraiment surprendre les marchés, mais elle intervient à un moment où le sentiment du marché est fragile après la baisse des valeurs boursières de cette semaine", indique Ajay Rajadhyaksha, un dirigeant de Barclays Capital à New York. "Ce qui importe vraiment est de savoir si les marchés sont aussi prêts à "déclasser" le marché obligataire américain. Comme la semaine écoulée l'a montré, les bons du Trésor américain restent l'actif valeur refuge", nuance-t-il cependant.

Au-delà de l'impact possible sur les marchés financiers dès ce lundi, l'abaissement de la note attribuée par S&P devrait aussi pénaliser l'économie américaine via la hausse du coût des prêts immobiliers, des prêts pour les achats de voitures et d'autres types de prêts liés aux taux d'intérêt payé sur les bons du Trésor.

Les analystes de JPMorgan Chase & Co. estiment qu'une baisse de la note américaine devrait causer un surcoût annuel de 100 milliards de dollars de coûts d'emprunt au budget fédéral américain.

Les Etats-Unis ont dû payer l'an dernier pour 414 milliards de dollars d'intérêts sur leur dette publique, selon le Trésor, soit 2,7% de leur PIB.

"Même en supposant qu'au moins 2.100 milliards de dollars de réductions de dépenses prévues dans la loi [de relèvement du plafond de la dette, NDLR] soient réalisées, nous confirmons notre point de vue que le fardeau de la dette publique nette américaine (soit de toutes les collectivités publiques à l'exclusion des actifs financiers liquides) va probablement continuer à augmenter", écrivent les analystes de S&P dans leur rapport.

"Nous prévoyons que la dette publique augmentera de 74% du PIB à fin 2011 à 79% en 2015 et 85% en 2021", précisent-ils.

L'agence avait indiqué le mois dernier qu'un accord sur la dette prévoyant moins de 4.000 milliards de dollars de réduction de la dette mettrait en péril la note AAA des Etats-Unis.

"Il n'y avait encore qu'une petite part de terrain d'entente entre les négociateurs et nous ne pensons pas que cet accord change vraiment l'équation" de la dette, avait déclaré David Beers, responsable de notations de dette souveraine chez S&P dans une interview à Bloomberg Television.

La baisse de la note des Etats-Unis devrait déboucher sur une hausse des coûts d'emprunt du pays en augmentant les rendements du Trésor de 60 points de base à 70 points de base à "moyen terme", avait estimé l'économiste de JPMorgan, Terry Belton, en juillet.

"Cet impact sur les taux du Trésor est important (...) c'est 100 milliards de dollars dépensés en plus par an pour ces taux d'intérêt plus élevés et cet argent sera du coup retiré à d'autres biens et services", mettait en garde l'économiste de JPMorgan.