Les "faucons" de la Fed fondent sur Bernanke

Par Eric Chalmet et Julien Beauvieux  |   |  947  mots
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Les dissidents du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale tirent la sonnette d'alarme. La banque centrale se trompe en voulant stimuler la croissance, pour pallier la paralysie de Washington.

En ordre dispersé mais avec une rare férocité, les « faucons » de la Réserve fédérale (Fed) multiplient leurs attaques contre Ben Bernanke. Selon eux, la banque centrale des Etats-Unis n'aurait jamais dû prévenir la semaine dernière les marchés, alors en pleine déconfiture, que son taux directeur resterait à son niveau actuel - une fourchette de variation comprise entre 0% et 0,25% - « au moins jusqu'à la mi-2013 ».

Après quelques jours de mutisme, les trois membres du Comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed qui s'étaient opposés à cette décision le 9 août dernier sont sortis de leur réserve. Ils auraient préféré que son communiqué ne dévoile pas de calendrier spécifique sur l'avenir des taux d'intérêts, en maintenant simplement l'engagement, en vigueur depuis mars 2009, de « bas taux d'intérêts pour une période prolongée ».

La première salve a été tirée vendredi dernier par Narayana Kocherlakota. Le président de la Fed de Minneapolis a déclaré que les « banquiers centraux ne peuvent à eux seuls régler les problèmes économiques ». Un verdict qui intervient alors qu'un nombre croissant d'opérateurs de marché jugent que les dissensions sont telles entre la Maison-Blanche et le Congrès, et au sein même du Capitole, que seule la Fed est susceptible de voler au secours d'une économie américaine en panne de croissance. En s'engageant à maintenir ses taux proches de 0%, voire en relançant l'usage désormais très controversé de la planche à billet.

La Fed incapable de faciliter la mobilité géographique

Mais Narayana Kocherlakota remarque que la Fed ne peut rien pour faciliter la mobilité géographique des travailleurs américains vers les régions et les secteurs les plus dynamiques. Le marasme de l'immobilier - secteur qui tirait la croissance au milieu des années 2000 - a pour effet pervers de peser sur les transactions immobilières, et donc sur la capacité d'adaptation des travailleurs américains.

Acte 2 : Richard Fisher et Charles Plosser, respectivement présidents des Fed de Dallas et de Philadelphie, passent à l'offensive. Mercredi, le premier a déclaré lors d'un forum qu'à son sens, « ce qui réfrène notre économie n'est pas la politique monétaire mais la mauvaise gestion budgétaire à Washington ». Pis « il n'est pas sage de s'engager à faire plus que [stabiliser la taille du bilan de la Fed et garantir des taux à un bas niveau pour une période prolongée], (...) quand les liquidités déjà abondantes et à bon marché que nous avons rendues disponibles restent en jachère », explique-t-il en notant que les banques et les entreprises disposent déjà de respectivement 1.600 et 1.000 milliards de dollars de fonds inutilisés.

Ne pas "protéger les traders sur le marché boursier"

D'une manière générale, la Fed ne devrait pas intervenir dans le but de « protéger des traders sur le marché boursier ou des investisseurs », estime Richard Fisher. « Les entreprises ne peuvent tout simplement pas adapter leur stratégie ou leur budget aux incertitudes fiscales et réglementaires », auxquelles les contraint la capitale fédérale, juge-t-il. « Aucun nouvel assouplissement monétaire ne peut se substituer au besoin de clarification [que les agents économiques] », avertit encore Richard Fisher.

« En fait, [un nouvel assouplissement monétaire] ne peut qu'aggraver la situation », estime-t-il. « Mettez-vous dans la peau d'un entrepreneur ». « Je n'ai pas à m'inquiéter de mon coût d'emprunt pour encore deux ans. Etant donné que je ne sais pas comment je serais impacté par les décisions que prendra le Congrès, mais que je sais que le crédit restera bon marché jusqu'à la nouvelle élection, quelle incitation ai-je à investir et dépenser maintenant ? »

Alors que depuis décembre 2008, le taux directeur de la Fed se situe à un plus bas historique, Charles Plosser a pour sa part estimé ce mercredi sur Bloomberg Radio qu'il « y a un grand débat [à l'heure actuelle] sur les outils de politique monétaire », et que l'opinion « doit reconnaître [leurs limites] ». Selon lui, la décision de la Fed « a créé la confusion » car elle n'est pas « une promesse » sur le maintien des taux, qui « remonteront bien avant 2013 ». « Que ce soit au sein ou en dehors de la Fed, je crois que c'est une erreur pour les responsables [politiques et économiques] de considérer que si la politique budgétaire est paralysée, la banque centrale doit agir », a martelé Charles Plosser, pour qui la Fed a surtout « besoin de préserver son indépendance ».

Ben Bernanke "traître" à la patrie

Les propos de Kocherlakota, Fisher et Plosser interviennent alors que Ben Bernanke a été violemment pris à parti lundi par Rick Perry, gouverneur du Texas et candidat à l'investiture républicaine pour la présidentielle de 2012. Avant même que le président de la Fed ne s'exprime sur la nécessité - ou pas - de lancer une troisième vague d'assouplissement quantitatif (QE3), Perry a déclaré que « faire tourner la planche à billet entre maintenant et les élections » pourrait être assimilé à un « acte de trahison ». Des propos qui ne font pas l'unanimité dans le camp républicain. Il est inacceptable « d'accuser le président de la Réserve fédérale de trahison envers son pays », a rétorqué sur Fox News Karl Rove, l'architecte des victoires électorales de George W. Bush au Texas, puis au niveau national.

Ben Bernanke a beau être réputé indépendant et avoir le cuir dur, son discours très attendu de Jackson Hole le 26 août sera prononcé dans un climat extrêmement tendu, à l'intérieur comme en dehors des salles de marché.