L'appétit des entreprises chinoises pour l'Europe de plus en plus aiguisé

Par Virginie Mangin à Pékin, et Robert Jules  |   |  820  mots
Le commissaire au commerce, Karel de Guch /Copyright Reuters
L'Europe en crise a besoin d'attirer les investissements. Ceux des entreprises chinoises y augmentent comme le confirment deux rapports publiés ce jeudi. Bruxelles voudrait un accord de réciprocité sur l'investissement pour ouvrir davantage le marché chinois aux entreprises européennes.

"Nous avons besoin d'argent", concédait jeudi à Bruxelles le commissaire européen au Commerce Karel de Gucht, lors d'une communication sur les investissements chinois sur le continent. "D'une part, les Etats-membres opérent des privatisations pour répondre à la crise et ont besoin d'investisseurs pour acheter. D'autre part, l'afflux de capital est le fondement pour relancer la croissance économique", a-t-il déclaré.

L'Europe ne représente que 2% des IDE en Chine

La Chine, elle, cherche de plus en plus à investir à l'étranger, mais sa part ne représente que 3,5% du total des investissements directs étrangers (IDE) contre 21 % pour les Etats-Unis en Europe. A contrario, l'Europe ne pèse que pour 2% des IDE en Chine contre presque 30% aux Etats-Unis.

Pour remédier à cette situation, Karl De Gucht a rappelé la nécessité de parvenir à un ambitieux accord sur les investissements. La Chine et l'Union européenne (UE) ont décidé en février de travailler sur un tel document qui permettra notamment de regrouper tous les accords bilatéraux existant dans plusieurs secteurs.

Pékin à la traîne du G20

L'enjeu consiste notamment à ouvrir davantage les marchés respectifs à chacune des parties. Un sujet polémique car Pékin est régulièrement accusée de ne pas mettre en cohérence ses paroles et ses actes. Ainsi, l'OCDE a classé la Chine comme le pays qui impose le plus de restrictions aux investissements sur son sol parmi les pays membres du G20, pointant notamment l'exigence imposée à de nombreuses compagnies de faire un transfert de technologie pour pouvoir avoir accés au marché chinois.

L'enjeu est d'autant plus important pour la Chine que ses entreprises cherchent à se dévolopper hors de leurs marchés, notamment dans l'Union européenne.

« L'Europe est entrain de faire l'expérience d'un changement structurel des investissements chinois à l'étranger. Ils ont triplé de 2006 à 2009 puis triplé à nouveau jusqu'en 2011 », indique le Rhodium Group qui, associé à la banque d'investissement chinoise CICC, publie un rapport sur ce thème.

France, Grande-Bretagne et Allemagne, pays les plus prisés

Soutenus par une politique publique pro-active - prêts bancaires à des conditions attractives -, les investissements chinois en Europe auraient atteint 7,4 milliards d'euros en 2011 et devraient s'établir chaque année de 20 à 30 milliards d'euros d'ici une décennie. Les destinations préférées des entreprises chinoises sont la France, le Royaume-uni et l'Allemagne particulièrement reconnus pour leur savoir-faire dans le transport, l'environnement, le luxe ou les biens de consommation.

Il est très difficile de chiffrer précisément ces investissements à l'étranger, les données officielles concordant rarement. Nombre de ces opérations passent par Hong Kong, Singapore ou des paradis fiscaux et ne sont donc pas enregistrées comme chinoises. Cependant il semble certain que de plus en plus d'entreprises chinoises sont à l'affut de bien européens comme en témoigne plusieurs acquisitions récentes : Sany a acheté l'allemand Putzmeister, Fung Brands a acquis Sonia Rykiel.

Acquérir une marque ou un savoir-faire

« L'intérêt actuel pour l'Europe n'est pas tant lié aux valorisations en baisse mais davantage au fait que les entreprises chinoises veulent acquérir une marque ou un savoir-faire », explique André Loesekrug-Pietri, fondateur d'ACapital un fonds de capital investissement ,qui publie un indice trimestriel des investissements chinois à l'étranger. Selon lui, leur montant pourrait atteindre 800 milliards de dollars entre 2011-2016.

Le dernier indice ACapital, publié ce jeudi, montre que l'Europe attire désormais 83 % des investissements, hors-ressources naturelles. Pour la première fois, ces investissements sont en majorité des participations minoritaires. Un changement de stratégie que les analystes attribuent à l'échec de plusieurs tentatives d'importantes acquisitions telle celle de l'achat d'Unocal par CNOOC en 2005.

« Il y a eu des déceptions à la suite de plusieurs investissements importants. Une participation minoritaire permet ainsi de garder l'équipe dirigeante en place et de se cantonner à développer la marque en Chine », explique André Loesekrug-Pietri.

Des emplois générés en Europe

Contrairement aux idées reçues et à une certaine méfiance du public, les deux études jugent positive cette nouvelle source d'investissements vers l'Europe qui comme tout autre investissement étranger devrait générer des emplois sur place - déjà 450.000, selon le Rhodium Group - et permettre un meilleur accès au marché chinois.

« Certaines marques épaulées par des groupes chinois peuvent ainsi avoir une nouvelle vie en Asie », souligne André Loesekrug-Pietri, qui précise que de nombreuses synergies sont possibles par exemple dans le domaine du luxe.

Risque d'espionnage industriel

Cependant, le Rhodium Group met en garde contre les effets négatifs que pourraient avoir un boom des investissements chinois en Europe comme l'espionnage industriel ou une course pour attirer les investissements qui remettrait en cause les acquis sociaux européens.

« La Chine ne cache pas son ambition de déplacer le centre du pouvoir international vers elle-même aux dépens très probablement de l'Europe », selon le rapport.