Gaz, exilés fiscaux...ce que la Russie veut imposer à Chypre

Par Adeline Raynal  |   |  620  mots
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Les négociations entre russes et chypriotes sur une éventuelle prolongation d'un prêt de 2,5 milliards d'euros sont en cours. Face à un pays en grandes difficultés financières, la Russie de Poutine est en mesure de poser ses conditions en contrepartie d'un soutien financier. Trois d'entre elles retiennent particulièrement l'attention.

"Il n'y a pas eu de décision à ce jour" concernant une éventuelle prorogation du prêt de 2,5 milliards d'euros accordé à Chypre par la Russie, affirmait une source gouvernementale russe lundi 18 mars. Les Russes hésitent, et veulent probablement surtout des contreparties à une telle aide financière pour participer à la recapitalisation des banques chypriotes.

En 2011, Chypre avait effectivement bénéficié d'un premier prêt russe de 2,5 milliards d'euros au taux de 4,5% annuel. Le pays espère aujourd'hui repousser son remboursement, qui doit débuter en 2016. En outre, le 5 juillet 2012, Chypre a déposé une deuxième demande, d'un montant de 5 milliards d'euros. La Russie ne s'est pas encore officiellement prononcée sur ce point. A présent, face au ministre des Finances de Chypre - qui était d'ailleurs à Moscou à ce sujet depuis mardi soir et toute la journée de mercredi - les négociateurs russes pourraient bien être en train d'essayer d'obtenir des garanties sur trois points.

Poutine veut une liste des exilés fiscaux

D'une part, il faut savoir que selon les estimations, entre 25 et 50% des dépôts bancaires de Chypre sont d'origine russe. Selon l'agence de notation Moody's, les entreprises et les banques russes auraient 31 milliards de dollars (soit 24 milliards d'euros) sur des comptes chypriotes. Ce sont surtout des particuliers très riches (oligarques ou non) qui choisissent d'orienter leur épargne vers les banques chypriotes, car ils échappent ainsi à l'imposition en Russie et ont davantage confiance en le système bancaire chypriote que russe. "Les russes n'ont pas vraiment confiance en la souplesse de leur propre système financier" explique Philippe Migault, directeur de Recherches à l'IRIS. Mais comme cette évasion fiscale représente un manque à gagner considérable pour l'Etat russe, Vladimir Poutine a appelé à mettre fin à la fuite des capitaux russes(l' "offshorisation"), comme il l'a expliqué lors d'un discours adressé à la nation russe en décembre 2012. "Il semble qu'une véritable offensive soit engagée contre l'immoralité en matière économique et financière" notait à l'époque le chercheur Philippe Migault. Pour cela, il a besoin de savoir qui détient un compte à Chypre. Fin 2012, l'île méditerranéenne avait refusé de fournir une liste de détenteurs russes de comptes bancaires sur son sol. Aujourd'hui, la Russie revient en position de force, Chypre ayant besoin d'argent frais pour sortir de l'asphyxie financière. L'obtention de cette fameuse liste pourrait donc s'avérer être l'un des points de négociation entre russes et chypriotes.

Pouvoir exploiter des gisements gaziers au large de Chypre

Autre espérance de la part des russes : se voir attribué l'exploitation de lots gaziers au large de Chypre. Cette demande n'est pas nouvelle. L'an dernier, Gazprombank avait participé à un appel d'offres pour l'exploitation de ces ressources en hydrocarbures off shore de Chypre. Mais ne les avait pas obtenues. "La Russie a des visées énergétiques sur Chypre et sur la Grèce, ces deux pays en faillite" explique Alexandra Latsa, analyste et chroniqueur pour l'agence RIA-Novosti, installé à Moscou.
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Enfin dernière demande probable de la part des Russes : se voir réserver la possibilité de disposer d'un port afin d'ouvrir une base militaire sur l'île, dans le but de servir des intérêts géopolitiques. Visiblement, la Russie espère renforcer sa présence dans cette partie de la Méditerranée, dont l'équilibre géopolitique évolue au vu des événements en Lybie puis en Syrie. En effet, il est possible que la Russie soit contrainte d'abandonner sa base navale de Tartous (en Syrie) et pourrait voir, selon des sources diplomatiques, une alternative intéressante en Chypre.