"Les gouvernements sont censés nous représenter, pas nous espionner" E. Snowden (téléconférence, Paris)

Par latribune.fr, avec ARTE  |   |  943  mots
L'ex-consultant de la NSA (l'agence de sécurité américaine), qui a obtenu l'asile en Russie, participera depuis Moscou à un débat intitulé "Surveillance des données et respect de la vie privée", organisé à la Gaîté Lyrique à Paris.
[REPLAY] A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, l'Américain Edward Snowden, qui avait révélé l'ampleur de la surveillance d'internet par les États-Unis, a donné, ce mercredi 10 décembre, sa première téléconférence publique en France.

L'événement est organisé par Amnesty International au théâtre de la Gaîté Lyrique, à Paris, avec le soutien du Monde, de Mediapart et d'ARTE, qui diffusera l'intégralité des débats dans ce dossier.

L'ex-consultant de l'Agence de sécurité américaine (NSA), qui a obtenu l'asile en Russie, participera depuis Moscou à un débat intitulé "Surveillance des données et respect de la vie privée". Cette journée du 10 décembre est également le point d'orgue de l'opération "10 jours pour signer" - la campagne annuelle d'Amnesty pour la Défense des droits de l'homme, programmée du 3 au 12 décembre.

A cette occasion, l'organisation invite les citoyens à signer des pétitions en faveur de personnes dont les droits sont bafoués: "12 situations emblématiques de personnes menacées" choisies par l'ONG et que le public est invité à soutenir. Retrouvez dans le dossier d'ARTE des interviews et une sélection des lanceurs d'alerte les plus emblématiques.

 _______

>>> VERBATIM :

Interviewé par Nicolas Demorand pour France Inter, Edward Snowden a évoqué sa sécurité personnelle, son point de vue sur les avancées en matière de protection des données privées, ainsi que sur la publication du rapport de la CIA concernant la torture. En voici les principales remarques, sélectionnées par La Tribune tout au long de sa téléconférence qui s'est déroulée de 17h à 17h45:

  • Sécurité personnelle

"Actuellement, je vais plutôt bien et je suis en sécurité. Je continue de travailler aujourd'hui activement à la protection des données sur Internet. Je suis en contact constant avec des activistes."

  • La prise de conscience

"Ce qui est en train de faire changer la structure du renseignement américain, c'est l'opinion publique mondiale. J'ai vu une étude faite récemment au Canada qui montre que 60% des utilisateurs d'Internet ont entendu parler de la révolution de l'an dernier et se sont engagés à mieux se protéger sur le net.

En révélant les informations sur la surveillance à grande échelle, je ne voulais pas changer le monde et le fonctionnement de mon gouvernement, mais leur montrer qu'ils étaient censés nous représenter, pas nous espionner. Car nous sommes devenus des «sujets » du gouvernement."

"Quand les gens commencent à comprendre l'impact de cet espionnage, on peut envisager un début d'évolution politique. Ils deviennent plus citriques contre les programmes proposés par leur gouvernement. Notre rôle, via les plateformes en ligne, est d'expliquer et de montrer le coût de ces programmes pour notre société. Les gens ne vont pas accepter un monde où tout ce qu'on fait est jugé comme bon ou mauvais."

  • Les programmes "d'espionnage"

"Le problème n'est pas que le gouvernement veuille combattre le terrorisme, mais c'est d'inventer des systèmes d'espionnage pour toute la population et non pas pour des individus en particulier. Les systèmes de communication des terroristes ont d'ailleurs évolué depuis 2001, la surveillance de masse ne se justifie donc plus. Les renseignements collectent en grande quantité nos informations et communications personnelles auxquelles ils appliquent des algorithmes à une échelle industrielle. Puis on utilise des pans de vie privé pour discréditer des suspects en public. Même si les intentions sont bonnes, après des années de recul, on voit que les résultats sont toujours désastreux."

  • Le rapport de la CIA sur la torture

"J'ai travaillé à la CIA. Et même si je n'étais pas en lien avec ce programme, des rumeurs couraient dessus. Aujourd'hui, je ne peux pas m'empêcher d'être triste et révolté contre ces crimes inexcusables. Ce qui est dangereux, c'est que cette torture était devenue une norme, malgré la loi internationale et américaine. Si les Etats-Unis autorisent ses officiers à torturer, quel signal cela va-t-il envoyer dans des pays moins « démocratiques »! On ne peut pas s'appliquer à nous-mêmes des exceptions. Des individus sont morts sous la torture, on ne peut pas avancer si on ne condamne pas ces crimes."

  • Révéler pour stopper

"Pourquoi, malgré les oppositions d'officiers de la CIA à ces tortures, le programme ne s'est-il pas arrêté? Le problème est là. Ces officiers choqués ont envoyé des rapports officiels disant que ces méthodes étaient inefficaces et dangereuses. Mais ils n'ont pas eu d'écho. Ce programme ne s'est arrêté que lorsque les journaux ont révélé l'affaire au grand public. Ce n'est qu'en sortant ce programme du secret que la torture a été stoppée."

  • Le cas de la France

"Je n'ai pas de scoop sur la France. C'est le rôle de la presse. Ce que je peux dire, c'est que la surveillance de masse s'applique dans tous les pays modernes. En France, on a eu l'exemple d'Orange qui donnait des infos sur les communications de Français à la DGSE. C'est très dangereux. Même si ça a de la valeur, est-ce moralement bien de violer le droit de plusieurs milliers de citoyens ? C'est une question qu'il faut se poser."

  • L'Europe en avance sur la protection des données?

"Des choses bougent en Europe sur la "data" protection. Mais le plus important est d'avoir des standards internationaux, des règles mondiales sur ce qui est autorisé ou pas. Après 10 ans d'expérience de l'espionnage de masse, on voit que ça n'a pas empêché les bombes, les morts et les attentats, et ça a coûté des millions de dollars, et une partie de notre vie privée. Il ne faut pas appliquer des règles militaires pour la sécurité, mais des règles citoyennes."