La dégradation de la France par S&P plombe la zone euro

Par Frank Paul Weber  |   |  765  mots
infographie La Tribune
La perte du triple A par Paris replonge la zone euro dans l'incertitude : le fonds de sauvetage est ainsi fragilisé alors que la Grèce peine à boucler un accord avec ses créanciers.

L'état de grâce n'aura duré que quelques jours. La zone euro qui se félicitait la semaine dernière de la baisse des taux, jusqu'ici élevés, pratiqués sur les marchés financiers pour financer les dettes de l'Italie et de l'Espagne, a été dès vendredi soir renvoyée à ses dures réalités par l'agence de notation Standard & Poor's (S&P).

Sa note attribuée à la dette de neuf Etats membres de l'euro a été abaissée, impliquant un renchérissement des coûts de remboursement de la dette des pays sanctionnés : d'un cran pour la France et l'Autriche (passant ainsi de la meilleure note - le fameux AAA - à AA+) ainsi que pour la Slovaquie, la Slovénie et Malte. Les pays du sud du continent (Italie, Espagne, Portugal et Chypre) ont été encore moins à la fête, étant dévissés de deux crans. Le club des pays de l'euro bénéficiant encore du AAA devient plus restreint : seuls l'Allemagne, les Pays-bas, la Finlande et le grand-duché du Luxembourg en font encore partie. S&P n'a pas non plus touché aux notes de la Belgique, de l'Irlande ou de l'Estonie.

L'annonce de l'agence de notation bouleverse le déjà fragile équilibre européen alors que le spectre d'un défaut de la Grèce, engluée dans ses négociations avec les banques, refait surface. Tous les ingrédients du cocktail explosif européen semblent ainsi à nouveau réunis. Standard & Poor's signale maintenant sans ambages que le principal risque n'est pas tant en soi la hausse des déficits et de la dette publics mais l'absence de croissance économique dans la zone euro.

"Un processus de réformes fondé sur le seul versant de l'austérité budgétaire risque de se vouer lui-même à l'échec, la demande intérieure chutant parallèlement aux inquiétudes croissantes des consommateurs sur la sécurité de leur emploi et de leurs revenus, minant les recettes fiscales des pays", écrit S&P pour se justifier. La peur d'une récession encore plus forte dans la zone euro que celle en cours creusant les déficits, notamment si des banques devaient aussi être recapitalisées par les pouvoirs publics, est la véritable explication du geste de S&P. La rigueur budgétaire est en effet sinon bien enclenchée dans des pays qui enchaînent plans d'austérité sur plans d'austérité, à l'instar de l'Italie et de l'Espagne. Le nouveau Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a vu la note de son pays abaissée de deux crans (de AA- à A) alors qu'il a lancé il y a à peine deux semaines une nouvelle cure d'austérité.

Mesures "insuffisantes"

C'est évidemment la perte par la France du triple A qui change la donne dans le contexte européen. Paris "décroche" ainsi de la locomotive allemande. Cela conforte certes le rôle de premier de la classe euro à Berlin. Mais, à part quelques rares partisans d'une sortie de l'euro, le décrochage français ne réjouit personne outre-Rhin. Le Premier ministre français, François Fillon, a d'ailleurs mis en garde samedi à mots couverts ses homologues allemands sur un éventuel cavalier seul de Berlin : "l'Allemagne sait très bien qu'il ne peut pas y avoir de prospérité durable sans une zone euro en croissance, forte et stable."

L'onde de choc suscitée par la décision de S&P pourrait d'ailleurs indirectement accélérer la mise en oeuvre du traité des 26 (toute l'UE sauf la Grande-Bretagne) décidé lors du sommet UE du 9 décembre. L'actuel fonds de sauvetage européen (le FESF), fragilisé par la perte du triple A français, pourrait notamment être substitué, dès juillet prochain, par le MES. S&P a d'ailleurs critiqué "l'insuffisance" des mesures adoptées le 9 décembre et "la dispute ouverte et continuelle" entre les Européens sur la politique à suivre. Dans l'Hexagone, l'exclusion du club des AAA alimente la campagne électorale pour la présidentielle. Le principal rival du président sortant, François Hollande, a fustigé dès samedi matin "le manque de cohérence [...], de résultats de la stratégie conduite depuis 2007", soulignant que "c'est une politique qui a été dégradée, ce n'est pas la France". Tout en excluant "des décisions massives de réduction de dépenses", François Fillon a, lui, évoqué "des ajustements budgétaires" une fois la croissance connue et "des décisions fortes" après le sommet social de mercredi.