Le couple franco-allemand perd en crédibilité

Par latribune.fr  |   |  784  mots
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Même si Berlin se montre rassurant, la dégradation de la notation française risque de renforcer l'intransigeance de l'Allemagne dans les négociations en vue d'une future «Union pour la stabilité». Une analyse de notre partenaire suisse Le Temps.

François Fillon a devancé l'appel. Réagissant à la décision de Standard and Poor's d'abaisser la note de l'Hexagone de AAA à AA+ avec perspective négative, le premier ministre français s'est d'emblée adressé vendredi soir à Berlin. «Je ne pense pas que cette décision changera la relation entre la France et l'Allemagne, d'abord parce que celle-ci est structurelle, ensuite parce que les destins de nos deux pays sont liés», a-t-il déclaré, tandis que Nicolas Sarkozy appelait dimanche ses concitoyens «à faire preuve de courage et de sang-froid».

Problème: l'impact de cette dégradation, au niveau européen et surtout en Allemagne, est assuré de se faire très vite sentir. «Les experts allemands répètent depuis des mois à Angela Merkel que la France est le problème, reconnaissait au cours du week-end un diplomate communautaire. La perte du triple A français, en affaiblissant Nicolas Sarkozy à la veille de la présidentielle, ne peut donc qu'inciter la chancelière à camper sur sa ligne de défense.» A preuve: celle-ci a exhorté samedi ses partenaires européens à ne pas chercher «à atténuer çà et là» le projet de traité d'Union pour la stabilité dont une nouvelle version est attendue en fin de semaine, avant un nouveau sommet crucial des chefs d'Etat ou de gouvernement le 30 janvier à Bruxelles. «Sans la caution du triple A, Nicolas Sarkozy se retrouve en position beaucoup plus délicate pour négocier avec l'Allemagne, installée dans le fauteuil de pilotage européen», commentait samedi le Financial Times.

Dans les coulisses de la Commission européenne, trois inquiétudes pointent. La première porte sur la Banque centrale européenne (BCE), sur laquelle Nicolas Sarkozy s'efforce depuis des semaines - tout en martelant «l'indépendance de l'institution» - d'obtenir des concessions d'Angela Merkel, résolument hostile à voir l'institut d'émission se transformer en prêteur de dernier ressort aux Etats de la zone euro. Le fait que la perte du triple A français, en vigueur depuis 1975, soit intervenue un jour après les remarques plutôt encourageantes du président de la BCE, Mario Draghi, sur la «normalisation» des marchés financiers européens enrage les conseillers du président français. Les émissions de dette sur les marchés réalisées depuis le début de l'année par la France, l'Italie et l'Espagne plaidaient au contraire, selon eux, pour laisser telles quelles les notations souveraines: «L'accent mis par Standard and Poor's sur l'insuffisance des réformes hexagonales est un argument en or pour tous les opposants à une intervention de la BCE», s'inquiète-t-on à Bruxelles.

Seconde inquiétude: l'approfondissement attendu de la fracture, au sein de la zone euro, entre les partisans de la rigueur envers et contre tout, emmenés par l'Allemagne, et les défenseurs d'une relance. «En clair, le destin des 17?pays de la zone euro n'a plus grand-chose en commun», explique l'économiste portugais Sandro Mendonca, dont le pays, noté BB, a désormais une dette souveraine «spéculative». «Que va apporter au Portugal le traité sur l'Union pour la stabilité? Pourquoi les Portugais l'accepteraient-ils alors que leurs efforts budgétaires ne leur rapportent rien?» Or cette interrogation, à quelques semaines de la présidentielle, vaut aussi pour la France, deuxième économie de la zone euro: au Parlement européen, les eurodéputés socialistes s'apprêtent cette semaine à plaider pour le rejet du texte actuellement négocié, comme l'a demandé François Hollande. Nicolas Sarkozy peut-il, dans ces conditions, continuer d'apparaître pieds et poings liés à Angela Merkel? «Sitôt le AAA perdu, la promesse d'une rigueur «à l'allemande» ne vaudra plus rien», prédisait en décembre l'économiste et eurodéputé PS Liem Hoang Ngoc.

Dernier écueil pour l'actuel couple franco-allemand: la perte du triple A français signe l'échec personnel du tandem Merkozy. L'encouragement, samedi, du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, pour qui «la France reste sur la bonne voie», pèse peu. La réalité est que la locomotive Merkel, à la tête d'une Europe austère sur le plan budgétaire, mais sans perspective de reprise, est en panne. L'image de patronne incontestée de la zone euro de la chancelière promet donc d'en souffrir avant le sommet du 30 janvier. D'autant que ses partenaires restés AAA (Finlande, Pays-Bas, Luxembourg) l'agacent. Les gouvernements finlandais et néerlandais sont fragilisés par le poids des populistes eurosceptiques dans leurs parlements. Tandis que le premier ministre du Grand-Duché, Jean-Claude Juncker, reproche à la dame de fer de Berlin de refuser l'émission d'euro-obligations destinée, justement, à redonner des perspectives économiques au continent.
 

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