La BCE prête à rouvrir en grand ses guichets aux banques

Par Christèle Fradin  |   |  1305  mots
Quelques milliards d'euros pour éviter un "credit crunch" des banques européennes / Photo Reuters
La Banque centrale européenne (BCE) pourrait à nouveau octroyer l'équivalent de 470 milliards d'euros de prêts à trois ans aux banques de la zone euro, selon les derniers sondages. Un montant très proche des 489 milliards injectés en décembre dernier.

Confrontée à une crise sans précédent, craignant un assèchement du crédit, la Banque centrale européenne aura, à n'en pas douter, innové ces dernières années. L'opération de prêts à trois ans proposée aux banques en quantité illimitée en est le dernier exemple. Mercredi 29 février, la BCE renouvellera l'expérience entamée le 21 décembre dernier. Et le montant alloué alimente toutes les spéculations, jusqu'à 1.000 milliards d'euros il y a encore quelques semaines... A la veille du week-end, le sondage réalisé par Bloomberg était beaucoup plus proche des 489 milliards d'euros octroyés à 1% lors de la première opération de refinancement à trois ans : avec une médiane de 470 milliards d'euros pour des prévisions allant de 300 à 750 milliards.

« La première opération de liquidités à trois ans a permis de redonner aux banques la capacité de se procurer de la liquidité en dehors de ce qu'elles pouvaient avoir grâce aux dépôts ou sur le marché interbancaire et de supprimer tout stress à ce sujet. De fait, les besoins de financement des banques ont été considérablement revus à la baisse depuis l'opération du 21 décembre », souligne Patrick Jacq, responsable de la stratégie taux chez BNP Paribas. En outre, les banques, dans ces conditions plus favorables, sont parvenues à émettre de la dette.
 

Un apport net de liquidités probablement en hausse

L'opération de mercredi pourrait tout de même être d'ampleur plus importante que la première, en terme d'apport net de liquidités. « Si le montant alloué est de 400 à 500 milliards d'euros, comme nous l'anticipons, l'addition en terme de liquidités nouvelles sera de 275 à 375 milliards d'euros. Une partie des opérations de refinancement à un mois et trois mois actuellement dans le système arrive à échéance et sera recyclée », explique Jacques Cailloux, chef économiste chez RBS. Lors de l'opération du 21 décembre dernier, l'apport net de liquidités avait été estimé à 190 milliards d'euros.

Soucieuse de l'évolution du marché du crédit, la BCE a fait en sorte qu'un plus grand nombre de banques puissent participer en assouplissant encore les critères d'éligibilité des actifs laissés en garantie de ces prêts (le collatéral), avec des mesures spéciales dans sept banques centrales nationales. Jusqu'alors, les petites banques qui n'avaient pas accès au guichet de la BCE pouvaient se refinancer sur le marché interbancaire. Reste que dans certains pays, celui-ci ne fonctionne pas, comme l'a souligné Mario Draghi le 9 février dernier, à l'issue de la réunion de conseil des gouverneurs.
 

Une psychologie de marché contre-intuitive

Faut-il craindre une surprise à la hausse ? « La psychologie actuelle du marché est contre-intuitive », constate Jacques Cailloux. « Cette nouvelle mesure d'intervention de la BCE est interprétée comme de l'octroi d'argent pas cher. Depuis deux mois, Mario Draghi lutte pour que la participation des banques à cette opération ne soit pas vue comme un mauvais signe quant à leur santé. Et le marché, jusque-là, semble jouer le jeu ». L'euro, à la veille du week-end semblait d'ailleurs prêt à franchir le cap de 1,35 dollar. Et l'appétit pour le risque semble être revenu sur les marchés d'actions.

A quoi serviront ces milliards ? Comment les 489 milliards d'euros injectés en décembre ont-ils été utilisés ? C'est la grande question. Les banques sont peu prolixes lorsqu'il s'agit de dire combien elles ont emprunté et l'utilisation de ces liquidités. Sur le marché obligataire, les taux de obligations d'Etat se sont nettement détendus depuis le 21 décembre. Madrid et Rome n'ont eu aucune difficulté à placer leur dette ces deux derniers mois. Dans certains pays, notamment en Espagne, les banques ont effectivement acheté des titres. « Mais il est aussi probable que, espérant la présence des banques, les investisseurs soient revenus. L'anticipation a créé l'effet d'entraînement », avance l'économiste de RBS.
 

La tentation du rendement

« En faisant ces opérations à long terme, et en raison d'une offre de papiers restreintes, la BCE a contribué à détendre les conditions de financement des entreprises ou des souverains. Il est clair que la liquidité ainsi obtenue a aussi en partie servi des stratégies de carry trade [ou portage, ndlr] »,  indique Patrick Jacq.  Les banques empruntant à 1% sur trois ans pour rechercher des investissements plus rémunérateurs, notamment du côté des emprunts d'Etat.

« Favoriser par ces opérations à trois ans le rachat d'obligations souveraines par les banques, ce n'est pas l'esprit de la BCE. Des politiques, peut-être... », commente Christian Parisot, économiste chez Aurel-BGC. « La BCE ne se préoccupe que de la liquidité interbancaire. Ce n'est qu'à la marge que l'opération a permis de financer des dettes d'Etat italiennes et espagnoles. Depuis le 9 janvier, les banques profitent d'un taux de réserves obligatoires divisé par deux. L'excès de liquidités a pu être placé en titres d'Etat ».
 

Le spectre du risque systémique désormais éloigné

Quoi qu'il en soit, l'opération à trois ans apparaît comme un succès. « Son principal aspect positif aura été de limiter le credit crunch et de restaurer la confiance sur les marchés financiers », assure Christian Parisot. « L'an dernier encore, certains investisseurs anglo-saxons, notamment les sicavs monétaires américaines, ne prêtaient plus aux banques européennes ou françaises. La BCE a permis un véritable revirement de psychologie, effaçant ainsi les craintes de risque systémique ».

« Aux yeux des Anglo-saxons, la BCE devait faire de l'assouplissement quantitatif (QE) à la manière de la Réserve fédérale », poursuit l'économiste. Comme la Fed, la BCE devait injecter les liquidités supplémentaires dans le système via ses rachats de titres. Ici, la BCE fait ses injections dans le marché interbancaire. Celles-ci pourraient être dangereuses en terme d'inflation, ndlr si les banques prêtaient à tout va. Mais ce n'est pas le cas. Et si cela le devenait, la banque centrale pourrait utiliser ses opérations au jour le jour pour reprendre une partie des liquidités.
 

Un assouplissement quantitatif indirect

« L'opération à trois ans ressemble à un QE indirect », observe également le stratégiste de BNP Paribas. Cela a un certain avantage pour la banque centrale. « Contrairement à la Fed ou à la Banque d'Angleterre, la BCE n'a pas à supporter le risque de crédit [des titres qu'elle aurait acquis sur le marché, ndlr]». Quant aux prêts accordés aux banques, ils le sont en contrepartie d'actifs laissés en garantie.

La suite ? « Elle dépendra de l'attitude des banques. Si ces dernières se bornent à faire du carry trade durant trois ans et ne restructurent pas leurs bilans, l'objectif visé par la BCE d'une réduction de la taille des bilans sans impact sur le marché du crédit ne sera pas atteint », rappelle Jacques Cailloux.
 

Le danger de la dépendance

« Il faut espérer que l'opération de mercredi soit la dernière », lance Patrick Jacq. « Sinon, cela montrera une dépendance des banques à la liquidité de la Banque centrale européenne. Ce n'est pas le rôle permanent de celle-ci, même si le risque pour elle est extrêmement limité ». Au sein même de la BCE, la volonté ne semble pas être aux prolongations.

« Nous avons pris des mesures claires et attendrons de voir leurs effets. Personnellement, je ne vois pas de besoin pour des actions supplémentaires », a ainsi confié Ewald Nowotny, l'un des membres du conseil à la veille du week-end. Les divergences semblent s'approfondir au sein de l'institution. Seules sept banques centrales nationales sur les 17 accepteront de prendre en charge le collatéral sur lequel les conditions ont été assouplies et dont le risque sera exclusivement porté au niveau national - autrement dit, non partagé au sein de l'Eurosystème -. Et la Bundesbank ne fait pas partie de ce petit cercle restreint.