Pourquoi la défaite politique de Merkel ne change (presque) rien pour Hollande

Par Romaric Godin  |   |  1082  mots
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Défaite en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Angela Merkel va devoir redéfinir sa stratégie. Mais elle n'en n'ira sans doute pas pour autant dans la direction souhaitée par le nouveau président français.

Voici donc soudain que le ciel s'éclaircirait pour François Hollande. En allant dîner à Berlin mardi soir avec la chancelière Angela Merkel, le nouveau président français pourra non seulement se prévaloir de « la volonté du peuple français », mais également de celle d'une partie du peuple allemand. La gifle reçue ce dimanche par la CDU de la chancelière en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé de la République fédérale, devrait, si l'on croit les observateurs, l'affaiblir considérablement.

Gifle violente

Aucun doute sur ce point. La défaite de la CDU est lourde. A 26,3 % des suffrages exprimés, les Chrétiens-démocrates atteignent leur plus bas historique depuis la guerre dans cette région. C'est une défaite qui rappelle celles qu'avaient essuyées en 2005 Gerhard Schröder. Quant au SPD, il renaît de ses cendres avec 39,1 % des voix. Selon les instituts de sondages (qui se sont lourdement trompés sur l'issue de ce scrutin), 200.000 électeurs conservateurs sont passés dans le camp social-démocrate. Sans appel.

Pas de vraies raisons de se réjouir

On peut certes trouver des raisons d'adoucir cette défaite de la chancelière. La bonne surprise du score des Libéraux en est une, tout comme le score décevant des Verts et de Die Linke, affaiblis par les Pirates. La disparition annoncée du candidat CDU à ce scrutin, Norbert Röttgen, qui était un rival potentiel au sein du parti à Angela Merkel au niveau national en est une autre. Mais il est évident que c'est une chancelière affaiblie qui va rencontrer mardi soir François Hollande. Est-ce pour cela qu'elle va plier le genou devant la puissance de la volonté populaire incarnée par le président français ? Rien n'est moins sûr.

Angela Merkel a recentré la CDU

Pour rebondir, Angela Merkel va devoir rapidement répondre à cette question : comment rebondir ? Elle peut faire le choix d'adoucir son discours européen, pour « coller » à l'exigence de ces électeurs qui la quitte pour rejoindre le SPD. Elle pourrait alors reconnaître que son entêtement sur le refus de la négociation du traité budgétaire européen était une erreur et céder aux demandes de François Hollande. Mais ce serait un choix étrange pour une chancelière aux abois de changer aussi brusquement de cheval. Elle s'exposerait en réalité alors à un solide retour de bâton de la part du camp conservateur. On ne doit jamais oublier qu'Angela Merkel est considérée en Allemagne comme l'auteure du « recentrage » de la CDU et que les plus conservateurs dénoncent sans cesse la « social-démocratisation » du parti sous son règne, notamment par ses positions européennes. Une grande partie des Chrétiens-démocrates et des Libéraux rejettent en effet la politique de soutien à la zone euro menée par la chancelière.

Attaques conservatrices

Si donc la chancelière allait plus loin en donnant l'impression de céder au président « socialiste » français, elle déchaînerait une vague de critiques sans précédent de son aile droite. Cette critique de l'aile droite a, du reste, déjà commencé. La CSU bavaroise, qui est traditionnellement plus conservatrice que la CDU, a haussé le ton par la voix de son président Horst Seehofer ce lundi. De son côté Josef Schlarmann, le président de la fédération des petits entrepreneurs au sein de la CDU a amèrement critiqué « le fait que la politique menée se fonde plus sur l'intervention de l'Etat que sur les mécanismes de marché ». « Il faut que la CDU durcisse son profil économique et n'oublie pas pourquoi elle existe », a-t-il ajouté. C'est la renaissance du courant de Friedrich Merz, l'adversaire conservateur historique d'Angela Merkel, qui menace.

Séduire les éléments traditionnels

Comme le remarque l'éditorialiste du quotidien Westfälischer Anzeiger de Hamm, où l'on a voté dimanche, « Angela Merkel a mené si loin la socialdémocratisation de la CDU que la différence avec le reste des partis centristes est difficile à établir ». La stratégie de la chancelière ne pourra donc certainement pas consister à recentrer encore son discours et à le « rosir », mais bien à reconquérir son identité conservatrice et ordolibérale, celle d'Adenauer, de Ludwig Erhard et d'Helmut Kohl. Du reste, elle n'a guère le choix. Si les électeurs de Rhénanie du Nord Westphalie délaissent la CDU, elle va devoir renforcer ses positions dans les trois grands Länder du sud, le Bade-Wurtemberg, la Bavière et la Hesse, là où le conservatisme et le libéralisme sont les plus implantés au sein de la droite allemande.

Le SPD piégé, malgré sa victoire

Enfin, on mesure mal en France combien les exigences de François Hollande sur la BCE et sur la relance sont jugées peu crédibles outre-Rhin, y compris au sein du SPD. Les Sociaux-démocrates n'ont pas encore décidé de leur position sur l'Europe. Ils sont très divisés sur les questions de la relance, du pacte budgétaire et des Eurobonds. L'indépendance stricte de la BCE ne fait, elle, aucun réel débat au sein du SPD. Un des principaux candidats sociaux-démocrates à la chancellerie, Peer Steinbrück, récemment adoubé par Gerhard Schröder (soutien affirmé de Nicolas Sarkozy) n'a que peu de différence de fond avec Angela Merkel. La ratification du pacte fiscal le 25 mai prochain pose un vrai problème interne au SPD, pas à la CDU. Les Sociaux-démocrates exigent certes aussi un volet de croissance, mais ils n'ont pas décidé ce que seraient leurs votes si la chancelière refusait de se soumettre à leurs exigences. Du coup, si la chancelière se soumettait à la force démocratique de François Hollande, non seulement elle perdrait ce qui lui reste d'électeurs conservateurs en adoptant les vues de l'aile gauche du SPD, mais elle rendrait un fier service au SPD. A l'inverse, la fermeté piège les Sociaux-démocrates, obligés de choisir entre leurs v?ux affichés de relance et leur crédibilité vis-à-vis de l'électorat centriste.

Autant de raisons qui font penser que l'affaiblissement d'Angela Merkel va la conduire à durcir son discours économique sur l'Europe. Et donc à se montrer encore plus ferme avec le nouveau locataire de l'Elysée. La victoire n'est pas toujours un gage de succès...