Les Espagnols doutent des bienfaits de sauver les banques avec leur argent

Par Gaëlle Lucas, à Madrid  |   |  641  mots
Le siège de Bankia à Madrid/Copyright AFP
Après la nationalisation de Bankia, l'Espagne s'interroge sur l'opportunité de renflouer avec l'argent du contribuable les établissements financiers victimes de leur mauvaise gestion.

« Non à l'escroquerie Bankia ! Exproprier ! Toutes les banques sous contrôle social ! », clamait une banderole au milieu des manifestants madrilènes venus célébrer l'anniversaire du mouvement des Indignés samedi 12 mai.

Un montant équivalent aux économies à faire dans le budget public

La nationalisation quelques jours plus tôt de BFA, la matrice de la quatrième banque d'Espagne Bankia, a ainsi imprégné les cortèges. Les chiffres qui circulent sur un possible renflouement public des caisses de Bankia oscillent entre 5 et 10 milliards d'euros, un montant qui n'a pas été confirmé par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Le chiffre correspond à la somme des économies que le gouvernement compte réaliser en matière d'éducation et de santé, dans le cadre de sa politique d'austérité. Ce montant viendrait s'ajouter aux quelque 16 milliards d'euros déjà versés par l'Etat au système bancaire espagnol. « Ils réduisent les dépenses sociales et ensuite ils donnent de l'argent aux banques ! », entend-on çà et là parmi les manifestants.

Parmi les Indignés, le sentiment d'injustice est d'autant plus fort que les banques sont considérées comme les responsables de la crise qui secoue le pays depuis 2008.

Les banques ont prêté de façon inconséquente

« La bulle a été gonflée par les poumons du secteur financier », abonde Jorge Fabra Utray, membre du groupe de réflexion Economistes Face à la Crise. Il explique que les banques ont prêté de façon inconséquente au-delà des possibilités d'épargne du pays, poussant les ménages et les entreprises à investir dans l'immobilier, et provoquant ainsi une « crise de surendettement ».

Au contraire, pour Borja Mateo, économiste spécialiste de l'immobilier, « les Etats sont les principaux responsables, car ce sont eux qui ont mis en place une régulation favorisant les excès de la bulle. Les banques le sont aussi car elles auraient dû savoir que leur politique de crédits n'était pas soutenable. Enfin, les citoyens le sont également, quoique dans une moindre mesure, parce qu'ils se sont laissés porter par la culture espagnole qui impose d'être propriétaire de son logement ». « Tout le monde a sa part de responsabilité », admet Berta, étudiante qui manifestait samedi. « Mais nous, nous en payons les conséquences, alors que les principaux responsables s'en sortent sans dommage », ajoute-t-elle.

Est-il moral de demander au contribuable de payer

Entre politique d'austérité et taux de chômage de 24,4%, la crise n'a en effet pas épargné les Espagnols qui ont la sensation d'être les seuls à « payer ». Si les banques et l'Etat (la Banque d'Espagne) sont les principaux responsables de cette situation, est-il moral de demander aux contribuables de payer la mauvaise gestion d'entités privées ou les négligences du superviseur ?

« Il n'y a pas de place pour la moralité ici : sauver Bankia, c'est sauver le système financier. C'est éviter d'avoir le double de chômeurs », tranche Jorge Fabra Utray. « L'Etat ne secourt pas la banque mais les épargnants qui y ont déposé leur argent », renchérit Borja Mateo. De fait, Berta rappelle que « personne ne souhaite que sa banque coule ».

Dépôt d'une plainte contre Bankia

Pour Fabra Utray, c'est la gestion qui mène à la chute d'une entité qui relève de la moralité. Or la mauvaise gestion n'est pas punie par la loi ... sauf en cas d'acte délictuel, comme cela a été le cas de la direction de la caisse d'épargne CAM actuellement sous le coup d'une enquête. L'Association des Usagers des Banques (Adicae) compte déposer une plainte contre Bankia pour « escroquerie ». Quant au 15-M, le mouvement indigné a créé un « Tribunal Citoyen de Justice » afin de juger les banques dont il soupçonne qu'elles ont opéré une fraude massive en matière d'estimation de la valeur de biens immobiliers.