"Parler de second sauvetage pour l'Espagne relève de l'irresponsabilité"

Par Propos recueillis par Gaëlle Lucas, à Madrid  |   |  634  mots
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Luis Fernando Utrera est directeur du master en Bourse et Marchés financiers de l'Institut d'Etudes Boursières (IEB).

Pourquoi le sauvetage tant réclamé des banques espagnoles n'a-t-il pas rassuré les investisseurs ?

Le problème de la solution adoptée est qu'elle diffère grandement de celle pour laquelle plaidait le gouvernement de Mariano Rajoy. Celui-ci voulait que le fonds de secours injecte directement des fonds dans le système financier. Mais, finalement, ces aides seront apportées au Fonds de restructuration bancaire (Frob) qui se chargera de les rediriger vers les banques. Or, le Frob étant un organisme public, les aides apportées viendront grossir la dette espagnole... si bien que celle-ci devrait atteindre 90% du PIB fin 2012, au lieu des 80% prévus. Cette perspective a été très mal reçue par les marchés

Le déclassement de l'Espagne par Moody's à seulement un degré de l'obligation pourrie ("junk bond") est-il mérité ?

La décision prise par Moody's est sévère mais logique. Elle repose sur deux éléments : l'énorme augmentation de la dette publique que suppose le sauvetage des banques et les doutes sur la capacité de l'Espagne à générer de la croissance économique dans un tel contexte, et donc à réduire sa dette.

Comment le sauvetage des banques pourrait-il permettre à l'Espagne de retrouver la confiance des marchés ?

En réalité, la question de savoir à quelles conditions seront prêtés les fonds, si les taux d'intérêt seront bien à 3% ou s'il y aura cinq ans de carence, n'est pas essentielle. On parle de sauvetage 'light' en se référant aux conditions d'emprunt mais en réalité le sauvetage espagnol est particulièrement dur. En effet, il va falloir rembourser les 100 milliards d'euros injectés aux banques dans des conditions économiques adverses, tout en maintenant les objectifs de déficit. Or, pour rendre ce prêt, la croissance est indispensable, ce qui est impossible avec la politique d'austérité imposée.

Existe-t-il un réel risque de fermeture totale des marchés à l'Espagne et d'un second sauvetage, de l'économie tout entière cette fois ?

Actuellement, le taux de financement sur dix ans est à 7%, autant dire que l'Espagne est de fait exclue des marchés si ces taux se maintiennent à ce niveau à moyen terme. Mais parler de second sauvetage relève de l'irresponsabilité compte tenu de l'impact de ce genre de pronostic sur les marchés. Si le prochain sommet de l'UE ne prend pas de mesures pour relancer la croissance en Europe, c'est non seulement l'Espagne mais aussi la zone euro dans son ensemble qui courent au désastre. Par ailleurs, la Banque Centrale Européenne (BCE) a un rôle crucial à jouer : elle doit faire comme la Fed et acheter de la dette publique afin que les marchés reprennent confiance en l'Europe et l'Espagne.

Quelle marge de man?uvre l'Espagne possède-t-elle ?

Sa marge de man?uvre est très réduite. Le gouvernement a déjà appliqué un plan d'austérité très dur. Il pourrait le cas échéant augmenter la TVA. Le gouvernement (de José Luis Rodriguez Zapatero, ndr) l'avait déjà majorée de deux points en 2010, de 16% à 18%. Mais cela ne résoudrait pas la situation car les hausses d'impôts ne se traduisent pas toujours par davantage de recettes et ont un impact sur la consommation et donc la croissance, qui est indispensable pour sortir de cette mauvaise passe. En fait, ce sont l'Allemagne et la BCE qui ont les clés de la solution de la crise espagnole et européenne. L'Allemagne doit dépenser plus même si c'est au détriment de son déficit afin de relancer les économies voisines. La BCE doit quant à elle agir afin que les coûts de financement de l'Espagne baissent, ce qui se répercutera sur le financement des entreprises qui pourront relancer leur activité.