L'erreur (calculée) Dijsselbloem

Par Romaric Godin  |   |  1036  mots
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La « bourde » du nouveau chef de l'Eurogroupe n'est pas le fruit du hasard. C'est celui de la nouvelle architecture de la zone euro, politiquement coupée entre un « nord » et un « sud. »

Quelle mouche a donc piqué Jeroen Dijsselbloem lundi ? En assurant que le cas chypriote n'était pas le « cas spécial » que les Européens avaient jusqu'ici décrit, il a mis fin à la relative euphorie qui régnait alors sur les marchés dans la foulée de l'accord trouvé dans la nuit de dimanche à lundi. Rapidement, le tout jeune président de l'Eurogoupe a dû faire entièrement marche arrière et se contredire en publiant une déclaration brève revenant à la doctrine du « cas spécial. »

Préférer un Néerlandais à un Espagnol

Ce cafouillage n'est cependant pas le fruit du hasard. Il traduit une véritable évolution institutionnelle de la zone euro. Il est la conséquence directe de la nomination de Jeroen Dijsselbloem à la présidence de l'Eurogroupe. Cette nomination a été imposée par l'Allemagne contre un candidat espagnol sur le seul critère de la nationalité. Le ministre des Finances néerlandais, diplômé d'agronomie, jusqu'ici obscur second couteau du parti travailliste néerlandais, n'avait pour lui qu'un seul atout : être le représentant d'un pays noté AAA et un des alliés les plus fidèles et inconditionnels de l'Allemagne. Les Allemands n'avaient pu occuper ce siège autant en raison de la résistance de la France et d'autres pays du sud que du couperet des élections fédérales. Ils ont donc placé un homme de confiance. Sans se soucier de ses compétences réelles.

Finalement, en période « normale », tout ceci n'aurait pas été un drame. Un jeune homme de 46 ans aurait mis un peu de fraîcheur dans l'austère Eurogroupe et, avec le temps, aurait appris les ficelles de Bruxelles. L'ennui, c'est qu'en période « normale », le conseil européen aurait sans doute choisi un Espagnol plus expérimenté pour succéder à Jean-Claude Juncker. L'ennui, c'est que l'Europe ne traverse pas une période normale. Elle traverse une crise qui met en jeu l'existence de l'euro. Et qu'elle ne peut guère s'offrir le luxe d'essuyer les plâtres d'un spécialiste de l'agriculture débutant dans les affaires financières européennes.

Berlin verrouille

Jusqu'en 2012, Berlin avait laissé aux pays du sud des postes importants : le président et le vice-président de la BCE sont ainsi respectivement un Portugais nommé en 2010 et un Italien nommé en 2011. Mais cette époque est terminée : les Allemands supportent de moins en moins que la Bundesbank soit mise en minorité au sein du conseil des gouverneurs de la BCE. Certains économistes allemands, comme le président de l'IFO Hans-Werner Sinn, y voient un scandale dans la mesure où l'on sait que la confiance dans la zone euro repose entièrement sur le bon vouloir de l'Allemagne. Lorsqu'Angela Merkel a accepté l'OMT, le programme illimité de rachat d'obligations souveraines de la BCE, à l'été 2012, elle a décidé d'accompagner ce mouvement par une reprise en main des institutions. Cette reprise en main s'est concrétisée par les nominations du Luxembourgeois Yves Mersch au directoire de la BCE et de Jeroen Dijsselbloem à la tête de l'Eurogroupe. Dans les deux cas, ceci s'est fait au détriment des Espagnols. Désormais, la quatrième économie de la zone euro n'est plus représentée au sein du directoire de la BCE. Et il en sera ainsi au moins jusqu'en 2018.

L'a priori sur lequel est fondée la nouvelle zone euro : le nord est vertueux

Au fond de cette vision, il y a un a priori : un citoyen d'un pays du « nord », d'un pays allié de l'Allemagne, même peu compétent, sera toujours plus « responsable », plus favorable à la « stabilité » qu'un Méditerranéen irrémédiablement indolent, fût-il le plus diplômé. C'est une position dangereuse qui traduit ce qu'est sur le point de devenir la zone euro : une zone à deux vitesses, avec deux classes de citoyens. L'accord chypriote a parfaitement traduit cet état de fait en instaurant dans l'Union économique et monétaire deux classes de déposants et deux catégories d'euros fiduciaires. Et c'est ce que, dans sa candeur, Jeroen Dijsselbloem a voulu dire en parlant du « modèle chypriote. » Il fallait comprendre que, désormais, les contribuables du nord, qui sont irréprochables comme leurs gouvernements, ne paieraient plus les factures des cigales inconséquentes du sud. Et qu'on les ferait payer, quoi qu'il leur en coûte. L'erreur de Jeroen Dijsselbloem ce lundi a peut-être été d'être trop franc, d'être allé trop loin dans le personnage qu'on lui a demandé de jouer. C'est l'erreur classique du débutant de ne pas savoir dissimuler.

Le nord est-il si vertueux ?

Evidemment, la réalité est un peu différente de cette vision simpliste. Rappelons que les contribuables du « sud » participent aussi au financement de l'aide européenne. Que la France et l'Italie sont, ensemble, près de deux fois plus exposées que l'Allemagne au risque de défaut d'un pays aidé. Rappelons aussi que les banques chypriotes, grecques ou espagnoles n'ont pas le monopole des erreurs. Le système bancaire allemand est loin d'être un modèle : les Landesbanken avaient investi des milliards d'euros dans les subprimes.

Or le gouvernement allemand a tout fait pour limiter le risque lié à cette mauvaise gestion sur les déposants et les épargnants des caisses d'épargne allemandes, n'hésitant pas à en nationaliser plusieurs de ces banques régionales. Hypo Real Estate, également nationalisée, a été près d'être un Lehman Brothers européen, elle qui s'était laissée aller à faire de la cavalerie financière derrière le peu de transparence de sa filiale irlandaise.

Jeroen Dijsselbloem le sait bien, lui qui est le ministre des Finances d'un pays malade d'une bulle immobilière qui, comme en Espagne, a éclaté et qui, en février, a dû nationaliser également une banque immobilière en faillite SNS Reaal. Autrement dit, il est faux d'opposer une vertu nordique à une indolence sudiste. Ce qui se passe, c'est que l'Allemagne consolide son pouvoir dans la zone euro en nommant des personnes qui défendront ses intérêts. Et tant pis s'ils doivent parfois déraper un peu...