Restructuration de la dette européenne, mode d'emploi

Par Romaric Godin  |   |  1762  mots
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L'idée d'une restructuration de la dette des pays européens dits périphériques commence à faire son chemin. Mais comment procéder? Revue des méthodes, de leur faisabilité ...et de leurs conséquences.

L'automne sera placé sous le signe de la restructuration des dettes publiques dans les pays périphériques de la zone euro. Même si officiellement, il ne saurait en être question, l'idée fait en effet son chemin. Rajouter de la dette du MES (Mécanisme européen de stabilité) à de la dette pour « sauver temporairement » ces pays comme cela a été le cas depuis 2011 ne saurait être une solution durable. Mais comment restructurer une dette ? L'histoire donne un certain nombre de pistes. Et permet également d'évaluer les conséquences de ces défauts.

  • La répudiation d'une dette « odieuse »

Historiquement, le rejet complet d'une dette souveraine, autrement dit un défaut total sur la dette, est rarissime. Le cas le plus emblématique est celui de l'Union soviétique qui, dès la révolution d'octobre 1918, a rejeté l'héritage de la dette de l'Etat tsariste, ruinant une grande partie des porteurs d'emprunts russes majoritairement français. Le défaut n'a cependant été officiellement que « partiel » puisque l'accord franco-russe de 1997 a prévu le versement de 400 millions de dollars aux porteurs. Une goutte d'eau, cependant.

Cette option doit souvent s'appuyer sur un argumentaire politique considérant l'ensemble de la dette contracté par le passé comme « odieuse. » Pour les Soviétiques, la dette tsariste ayant été utilisée au service de la « tyrannie », il ne revenait donc pas à un gouvernement socialiste de l'honorer. Les Etats-Unis avait, de la même façon, répudier la dette contracté par le Sud après la guerre de sécession. Un tel argumentaire est parfois utilisé pour viser certains créanciers jugé non légitimes. Le gouvernement cubain a ainsi décidé après l'indépendance en 1898 de rejeter toute les dettes contractées par les autorités coloniales espagnoles.

Dans le cas européen, un tel argumentaire semble assez peu tenable. Les gouvernements actuels au Portugal, en Grèce ou à Chypre, reconnaissent en effet tous la légitimité de la dette publique. Certains ont pu prétendre que la dette contractée par exemple par les gouvernements grecs qui avaient organisé le maquillage des comptes publics était « odieuse », mais l'argument n'est guère repris. Soucieux de ménager, malgré tout, les marchés, il est peu probable que ce type de défaut - le plus violent de tous - soit utilisé dans le cas européen.


  • Les défauts partiels par « échanges de titres »


Le cas le plus fréquent reste donc le défaut sur une partie seulement de la dette. Dans ce cas, il arrive souvent que l'on propose aux créanciers un échange de titres. Les anciennes obligations sont échangées contre de nouveaux titres de valeur moindre. C'est ce qui a été proposé aux investisseurs privés détenteurs de dette grecque en mars 2012 : on leur a proposé 46.5 euros de titres nouveaux pour 100 euros de dettes anciennes.

Ceci permet de baisser d'autant le stock de dettes, mais il faut parvenir à convaincre les créanciers que leurs pertes dans l'échange sont compensées par une assurance sur les nouveaux titres. Dans le cas grec, on a ainsi garanti un peu moins d'un tiers des nouveaux bons par une obligation du FESF. C'est sans doute cette option qui sera utilisée par les Européens s'il devait y avoir un nouvel effacement de dette.


  • Les défauts partiels en catimini

Un Etat peut faire défaut en échangeant une partie de sa dette contre un titre ayant la même valeur faciale, mais pas la même valeur réelle. Ainsi, en 1797, la France a décidé d'attribuer à ses créanciers deux nouveaux titres pour un ancien titre de dette. Le premier titre, représentant deux tiers de la valeur de la dette était payé en « bons » qui ne pouvaient être utilisés que pour le paiement de biens nationaux dont la valeur ne cessait de s'effondrer. Ce sont des sortes d'assignats et ces bons ne vaudront finalement plus que 2 % de leur valeur nominale un an plus tard. Le dernier tiers a été « consolidé » et sera repris comme dette publique rapportant 5 % l'an.

La France s'est ainsi débarrassée de deux tiers de sa dette sans officiellement avoir spolié ses créanciers. Ce type de méthode n'est guère applicable aujourd'hui où l'on préfère l'échange d'obligations.

  • Les défauts par l'inflation ou la dévaluation

C'est la manière la plus insidieuse de se débarrasser de sa dette. Elle consiste à rembourser la dette contractée dans une monnaie que l'on a dévaluée ou de laisser l'inflation galopante (parfois aussi après une dévaluation) grignoter cette dette qui devient remboursable à des niveaux bon marché. Cette méthode a l'avantage de ne pas être officiellement un défaut, puisque la dette est intégralement remboursée.

Mais elle présente de grands inconvénients : l'inflation est source d'appauvrissement pour la population locale. En Europe, cette méthode nécessiterait une sortie de la zone euro et devrait donner lieu à de longues négociations pour convertir la dette contractée en euros en nouvelles monnaies locales. Pour le moment, cette option est exclue et le but de la restructuration sera précisément d'éviter une sortie de la zone euro des pays périphériques.

  • Les réaménagements de la dette

Tout en maintenant l'engagement de rembourser l'intégralité du capital de la dette, les Etats peuvent demander à leurs créanciers d'allonger la durée du remboursement ou de renoncer à tout ou une partie de leurs intérêts. Les agences de notation considèrent que ces modifications relèvent du défaut. Fin 2012, le FESF et les Etats de la zone euro ont déjà convenu de baisser les intérêts, de repousser la date du début du remboursement de leurs dettes envers l'Irlande, la Grèce et le Portugal, et de rallonger la durée des remboursements. Un nouvel assouplissement n'est pas à exclure cet automne. Mais si ces mesures offrent un ballon d'oxygène aux comptes publics, elles ne règlent pas réellement le problème du poids du stock de dettes à rembourser.

  • Imposer ses choix

Une fois le défaut décidé, reste à le faire accepter aux créanciers. Comme l'Argentine en 2002, la Grèce en 2012 n'a pas négocié avec ses créanciers : elle leur a imposé son choix (en réalité celui de l'Europe). L'avantage de cette méthode est que l'on maîtrise le montant annulé. L'inconvénient est que l'on s'expose à un rejet de la solution proposée par beaucoup de créanciers. Dans ce cas, on peut recourir soit à la méthode douce, une modification des conditions proposées, soit à une méthode forte comme, par exemple, l'application de clauses d'action collective (CAC) par lesquelles il est possible d'imposer le choix d'une majorité de créanciers à la totalité de ceux-ci. Depuis le 1er janvier 2013, des CAC standardisées sont comprises dans toutes les nouvelles émissions des pays de la zone euro permettant d'imposer à tous les créanciers les décisions acceptées par 75 % des créanciers.

  • Etablir un rapport de force

Parfois, néanmoins, le pays qui fait défaut ne dispose pas des moyens pour imposer sa propre vision de la restructuration de la dette. Son isolement politique, son besoin urgent de fonds en font une proie prête à accepter les conditions de ses créanciers. Souvent, dans ce cas, le défaut se termine par un simple réaménagement des conditions de la dette, comme lors de la banqueroute grecque de 1893. Et, au final, par une perte d'indépendance et le maintien du poids de la dette. En Europe, la question est un peu différente dans la mesure où les conditions proposées aux créanciers ne seront pas définies par les Etats concernés, mais par la zone euro elle-même. Le rapport de force n'est pas en faveur des créanciers

  • Définir les victimes

En 2012, seuls les créanciers privés ont été concernés par la restructuration de la dette grecque. Les créanciers publics européens (Etats de la zone euro, BCE, FESF) n'ont pas été concernés. Cette distinction entre les créanciers est fréquente pour des raisons politiques, mais elle réduit l'efficacité du défaut. D'autant que le poids de ces créanciers est désormais immense dans la dette grecque ou portugaise. Leur implication sera sans doute le principal sujet de cette future restructuration.

  • Les conséquences (1) : l'austérité

Faire défaut est une opération très lourde. Elle provoque une perte de confiance qui induit une exclusion du pays des marchés financiers pendant fort longtemps. L'Argentine a mis dix ans à revenir sur les marchés. De même, les taux demandés seront longtemps élevés. La France a dû attendre 27 ans avant de voir la rente à 5 % revenir au pair (autrement dit, l'Etat français payer 5 % d'intérêt sur sa dette) après son défaut de 1797.

Ceci signifie que si l'Etat en défaut doit s'autofinancer pendant  longtemps, ou bien risque de retomber dans les affres de la spirale d'endettement rapidement. Autrement dit, l'annulation de la dette n'est une vraie solution que pour les pays dégageant un excédent budgétaire primaire : ce sera peut-être le cas de la Grèce fin 2013, mais pas celui du Portugal. En tout cas, une restructuration de la dette n'est pas une solution miracle, et certainement pas une façon d'abandonner l'austérité. La maîtrise des dépenses publiques devient en effet encore plus nécessaire une fois l'accès aux marchés coupés.

  • Les conséquences (2) : la contagion

Le risque d'un défaut est aussi de voir se développer un effet de contagion. Ceci est particulièrement vrai dans le cas européen où les engagements des autres pays de la zone euro vis-à-vis des pays périphériques et du MES sont élevés. Autre risque : l'appauvrissement des créanciers domestiques qui peut peser sur l'activité, l'investissement et les rentrées fiscales. Dans le cas de la zone euro, c'est le risque bancaire qui devra être évalué de près, car beaucoup de banques disposent encore de cette dette périphérique. Il faudra donc éviter que le défaut ne débouche sur une crise bancaire, alors que l'Union bancaire est encore dans les limbes. C'est donc l'appréciation de toutes ces données qui doit permettre de définir le niveau du défaut.