L’ex-patron des patrons allemand devient tête de liste des eurosceptiques

Par Romaric Godin  |   |  1094  mots
L'ancien patron des patrons allemand Hans-Olaf Henkel sera tête de liste des eurosceptiques allemands
Hans-Olaf Henkel devrait mener la liste d’Alternative für Deutschland en mai prochain. Un libéral très opposé à la monnaie unique qui pourrait sauver un parti en proie à des dissensions internes. Et gêner Angela Merkel.

Après un mois de tergiversations et d'hésitations, l'ancien patron des patrons allemands, Hans-Olaf Henkel devrait, selon la presse allemande, se présenter comme tête de liste du parti anti-euro Alternative für Deutschland (AfD) aux élections européennes de mai prochain. Avec un objectif qui semble loin d'être inatteignable : passer la barre des 3 % des suffrages exprimés pour entrer au parlement européen. Le 22 septembre dernier, lors des élections fédérales, AfD avait frôlé les 5 % qui lui auraient permis d'entrer au Bundestag en récoltant 4,7 % des voix.

Un parti déchiré

Ceci peut paraître paradoxal, mais le choix de Hans-Olaf Henkel ressemble à une opération de la dernière chance. Le parti est en effet en pleine crise de croissance et de conscience. Les fédérations régionales sont à feu et à sang, deux ailes semblent s'opposer : une aile droite tentée par une rhétorique islamophobe et qui tente de séduire les électeurs du parti néo-nazi NPD menacé par la faillite et une aile « libérale » tentée de se concentrer sur la critique de l'euro. Le chef du parti, Bernd Lucke, est très clairement dans le second camp. Mais il est aussi très contesté.

L'anti-Bernd Lucke

Protestant rigoureux et réservé, économiste sérieux de l'école ordolibérale allemande, exemple de ce que pouvait jadis être le citoyen bourgeois de la ville hanséatique de Hambourg, Bernd Lucke souffre d'un manque cruel de charisme et d'aisance médiatique. Ce n'est pas le cas de Hans-Olaf Henkel. Chroniqueur au vitriol dans le quotidien économique Handelsblatt, l'ancien président de la puissante fédération de l'industrie allemande (BDI) jusqu'en 2000, est un habitué des médias allemands. Et surtout, il est réputé pour son franc-parler.

La « chancelière à la langue fourchue »

Hans-Olaf Henkel n'hésite pas à qualifier Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral des Finances, de « professionnel de la tromperie » et d'Angela Merkel de « chancelière à la langue fourchue. » A chaque sortie médiatique, il part en guerre contre les « fanatiques de l'euro. » Son discours « anti-système » a toute les chances de plaire aux nombreux électeurs d'AfD issus de l'ex-RDA et jadis partisans du parti de gauche Die Linke. Mais Hans-Olaf Henkel pourra aussi satisfaire l'aile droite du parti : il a longtemps été partisan de Thilo Sarrazin, cet ancien élu social-démocrate et membre du directoire de la Bundesbank, auteur d'un pamphlet anti-immigration L'Allemagne se Défait ») et anti-euro (« L'Europe n'a pas besoin de l'euro »).

« Sauvez Notre Argent ! »

Mais celui qui siège encore dans de nombreux conseils de surveillance des grandes entreprises allemandes et qui a longtemps dirigé la filiale allemande d'IBM est aussi un vrai libéral. Il a longtemps été proche du parti libéral, la FDP, aujourd'hui éjecté du Bundestag. C'est au nom du libéralisme qu'il combat l'euro, instrument qui, selon lui, détruit la responsabilité des Etats et conduit à la centralisation bureaucratique bruxelloise. Dans ses nombreux livres, et notamment dans « Sauvez Notre Argent ! », un des best-sellers de ces dernières années outre-Rhin, Hans-Olaf Henkel s'insurge contre la mise en gage de l'épargne des Allemands au profit des autres pays de la zone euro, notamment ceux du sud. Le libéralisme de Hans-Olaf Henkel est un libéralisme à l'allemande, fondé sur un cadre de responsabilité national, un Etat national protecteur mais non intrusif, une banque centrale indépendante et soucieuse de la stabilité monétaire.

Critique libérale de l'euro

Pour lui, la monnaie unique est une remise en cause de ce cadre. C'est un encouragement à l'irresponsabilité, à la mise en commun des dettes, au laxisme monétaire. Un tel discours à un impact non négligeable dans une Allemagne qui est extrêmement mal à l'aise avec la politique de taux bas et les sommes engagées dans les différents « plans de sauvetage. » Il porte notamment chez les électeurs déçus de la FDP, qui voient dans la politique d'Angela Merkel un abandon du socle théorique économique qui a fondé la République fédérale.

Au moment des élections au Bundestag, la presse allemande s'interrogeait sur le devenir du « libéralisme allemand. » Hans-Olaf Henkel, lui, apporte une réponse claire : « AfD est la seule alternative à l'eurocentralisme défendu par la CDU, la CSU, la SPD et la FDP. » Et c'est pourquoi depuis le moment où Angela Merkel a fait du sauvetage « à tous prix » de l'euro sa priorité, Hans-Olaf Henkel pilonne chaque semaine sa politique dans les colonnes du Handelsblatt. Aucune des concessions et garanties que peut arracher le gouvernement fédéral en Europe ne lui semble suffisant. Même la très diluée et peu concentrée union bancaire va, pour lui, trop loin.

Une conversion réussie à la politique ?

Médiatique, anti-système, libéral, Hans-Olaf Henkel a donc tous les atouts pour remettre AfD sur les rails et même faire progresser le parti. Mais sa tâche ne sera pas aisée. La politique est un monde à part et bien des chefs d'entreprise ou des ex-chefs d'entreprise s'y sont cassés les dents. Récemment, le patron austro-canadien Franz Stronach en a fait l'amère expérience avec son parti personnel « Team Stronach », qui n'a guère percé dans les élections fédérales autrichiennes, avec un discours assez proche de celui d'AfD. Hans-Olaf Henkel a beau avoir 74 ans, il est un débutant en politique et il arrive au milieu d'un chaos. Il lui faudra tenir ses troupes, contenter tout le monde sans blesser personne et maintenir une ligne d'équilibre précaire entre le sérieux de ses arguments anti-euro et une certaine forme de démagogie nécessaire pour fédérer les mécontents.

Menace pour Angela Merkel ?

Reste que si l'arrivée de Hans-Olaf Henkel dynamise à nouveau AfD, toujours donnée à environ 5 % des intentions de vote dans les sondages, ce sera une bien mauvaise nouvelle pour Angela Merkel. La chancelière, qui doit en grande partie, rappelons-le, sa nouvelle « grande coalition » au bon score d'AfD et à l'effondrement de la FDP, craint toute poussée eurosceptique. C'est pour cette raison qu'elle a fait abandonner à la SPD l'essentiel de son projet sur l'Europe. Si AfD progresse, Angela Merkel répondra par un durcissement de sa position européenne et sans doute insistera pour imposer avant les élections de mai ses fameux « contrats de compétitivité » qui vise à imposer dans la zone euro le modèle de compétitivité allemand. D'ores et déjà, l'influence des eurosceptiques allemands dépasse largement leur poids électoral.