L'avenir de la zone euro passera-t-il par des "subprimes" souverains ?

BCE et Commission européenne envisagent de titriser les obligations souveraines pour créer des obligations communes sans les "défauts" des Eurobonds. Une proposition qui traduit un certain désarroi.
Va-t-on vers des Eurobonds a minima ?

Alors que les candidats français à l'élection présidentielle qui ne souhaitent pas quitter la zone euro se déchirent pour définir une stratégie visant à améliorer le fonctionnement de la zone euro, et notamment la doter d'un budget commun, des réflexions ont lieu, plutôt dans l'ombre, pour relancer des obligations communes de la zone euro, sans réforme des traités. L'idée est portée depuis 2011 par un groupe de neuf économistes européens qui, dans une publication avait proposé des « obligations européennes sûres », en anglais « European safe bonds » ou « ESBies ».

Cette idée a été reprise en septembre 2016 par six de ces économistes dans un document de travail soumis au Conseil européen du risque systémique (ESRB), une entité logée à la BCE et dirigée par Mario Draghi qui est censée surveiller le risque systémique en zone euro. Ce conseil a entamé en novembre des consultations pour la création de « titres couverts par des obligations souveraines » ou en anglais « sovereign bond-backed securities »(« SBS »). Une première mouture a été présentée le 23 mars au ESRB et donnera lieu en mai à un « document de réflexion » de la Commission dans le cadre de l'agenda de Rome.

>>>> Lire : l'étude sur les SBS de l'ESRB (en anglais)

Des « subprimes » souverains

Ces SBS entendent réduire le lien entre le risque souverain et le risque bancaire, un des moteurs de la crise de la zone euro entre 2010 et 2013, mais aussi réduire les déséquilibres internes à la zone euro. Le tout, à la différence des Eurobonds, rejetés catégoriquement par l'Allemagne par deux fois, en 2010 et 2012, sans créer de « socialisation » des dettes souveraines, ni création d'un budget de la zone euro. Comment ? Par la magie de la « titrisation ». Ces « SBS » ne sont en effet rien d'autre que la titrisation d'une partie des obligations souveraines de la zone euro. Ce sont des « subprimes » de dette de la zone euro, des millefeuilles d'obligations souveraines sur lesquelles chaque État conserve sa propre responsabilité. Mais la mise en commun des risques est censée la réduire.

Concrètement, ces SBS seront émis par une institution publique ou des banques privées (la question n'est pas encore tranchée) dans le cadre d'une société ad hoc, un « Special Purpose Vehicle » (SPV). Ce SPV achètera des titres de dettes européens selon une répartition fixe, celle des PIB par exemple. Pour financer cet actif, il émettra des SBS qui seront garantis par ce portefeuille de dettes. Ces SBS disposeront de deux tranches : une « junior » ou « subordonnée » et une « senior » ou « prioritaire ». En cas de défaut d'un ou plusieurs émetteurs, la tranche subordonnée « absorbera » les pertes en priorité, ce n'est qu'une fois cette tranche « épuisée » que la partie prioritaire sera affectée. Pour le moment, cette part junior représenterait 30% du SBS, ce qui selon les auteurs de cette idée permettrait de placer ces bons subordonnés à un niveau de risque proche de celui du Portugal aujourd'hui tout en protégeant intégralement la part « senior » du SBS.

Les avantages des SBS

Il y aura donc « mise en commun » de la dette sans mise en commun des risques. L'ESRB envisage « d'empaqueter » ainsi près du tiers de la dette souveraine européenne, soit 1.500 milliards d'euros. Pour les promoteurs de ce projet, ce système n'a que des avantages. D'abord, les SBS seniors seraient « sans risques » et très liquides, ce qui offrirait aux banques un moyen pratique de disposer d'actifs sûr pour remplir les obligations du régulateur et ainsi créer davantage de crédits, le tout en dépendant moins de son risque souverain propre. L'amélioration du bilan des banques devrait inciter l'Allemagne à accepter le troisième pilier de l'union bancaire, la garantie paneuropéenne des dépôts de moins de 100.000 euros.

Ensuite, la prime de risque baisserait pour tous les États membres, mêmes les plus risqués, puisque, les SBS deviendraient des actifs sans risque et seront adossés en partie à des bons de ces pays. Enfin, elle assurerait un flux de capitaux minimal vers les pays moins sûrs ou moins liquides, y compris en cas de crise, réduisant ainsi la fragmentation de la zone monétaire. Au final, beaucoup d'avantages de feu les Eurobonds sont compris dans ces SBS sans l'inconvénient majeur : la mise en commun des responsabilités, rejeté par l'Allemagne au nom de la souveraineté budgétaire du Bundestag et du refus d'une « union des transferts ».

Une titrisation plus sûre ?

Le salut de l'Europe passerait donc par la titrisation, ce même phénomène qui a créé les conditions de la déflagration financière de 2007. Cette hypothèse n'est pas nouvelle. La BCE de Mario Draghi est en effet persuadée qu'une titrisation « sûre » et « transparence » est un moyen de sortir de la crise pour la zone euro. Elle avait ainsi encouragé le développement de ces produits dès 2014, rachetant elle-même massivement des créances d'entreprises titrisées, les « Asset-backed Securities » (ABS). Sans succès, car la titrisation a, non sans raison, mauvaise presse depuis 2007, et les investisseurs n'y reviennent qu'avec prudence.

Dans leur texte de 2011, les promoteurs des SBS assuraient que ces produits sont différents des subprimes des années 2000. Certes, ces titres sont bel et bien des obligations de dette collatéralisées, ces fameux CDO qu'étaient les subprimes, mais ils seraient différents. En tant que produits adossés à de la dette publique, l'encadrement légal serait en effet plus strict. Les éléments et les proportions du « millefeuille » sont fixés ex ante et ne peuvent être modifiées. De plus, les prix seront plus transparents que ceux des CDO de jadis, souvent traités sur des marchés de gré à gré.

Les défauts du système

Certes, mais le risque reste le même. Il ne faut jamais oublier qu'avant la crise de 2007, l'effondrement de la titrisation était impensable et que les CDO apparaissaient aussi comme des produits sûrs, où les tranches « seniors » étaient capables d'absorber les pertes des tranches « juniors ». Il n'en a rien été et l'assurance des études des promoteurs des SBS doit donc être prise avec des pincettes. Déjà, plusieurs acteurs s'interrogent sur l'évaluation du risque des SBS, juniors et séniors. La crise de 2010-2013 a montré qu'une crise de la dette en série au sein de la zone euro ne peut être exclure. Elle ne peut d'autant moins l'être que la BCE ne dispose plus guère de munitions en cas de nouvelle crise. La présence d'émetteurs « risqués » au bilan de la SPV risque de décourager bien des investisseurs. Et en cas de crise, pourrait provoquer des paniques en série. Surtout si certains des émetteurs de SBS sont privés. Aucune garantie publique n'est en effet prévue. Enfin, comme le souligne un acteur du marché dans L'Agefi du 19 janvier, les Etats peu sûrs ne sortiraient pas forcément gagnants d'une telle démarche. Leur dette exclue des SBS pourrait avoir du mal à trouver preneur...

Un projet pas à la hauteur des enjeux

Surtout, ces SBS ne sont qu'une institution « défensive » : elle ne règle pas les problèmes structurels de la zone euro, notamment l'absence réelle de transferts et de politiques compensatoires communes. Une des règles mise en avant par les promoteurs de cette formule est l'absolue rigidité des règles d'achats de titres souverains. La clé de répartition des achats ne doit pas être changée pour des « raisons politiques », précise le texte de 2011. Dès lors, ces SBS renforce encore le cadre budgétaire actuel en « pénalisant » toute volonté de faire jouer les stabilisateurs budgétaires par un État membre moins bien noté puisqu'alors sa dette ne serait pas dans les SBS et serait donc « surtaxée ». Or, ces pays ont besoin d'investissement public, puisque l'investissement privé ne joue pas son rôle. Les SBS ne semblent pas capables de financer, comme un budget européen, un plan d'investissement ambitieux pour développer certains États ou faire face à certains défis comme la transition climatique.

Un simple paravent ?

Ils ne répondent pas réellement aux enjeux du moment. Il ne s'agit que d'un pis-aller, une invention pour tenter de « créer du commun » sans irriter l'Allemagne, dont il n'est pas certain, du reste, qu'elle accepte une telle méthode. Le marché ne saurait se substituer aux institutions politiques communes, mais comme ces dernières semblent irréalisables, la titrisation fera office de paravent. Incapable d'avancer vers une vraie fédération, la zone euro tente donc de trouver des moyens de contourner la difficulté pour créer une "mise en commun" minimale et, au final, peu efficace. Ce projet de SBS révèle surtout que la situation est critique et que la fondation d'un budget commun de la zone euro sera très difficile à établir.

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Commentaires 9
à écrit le 09/04/2017 à 8:04
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Je croyais que la dette souveraine européenne s'élevait à peu près à 9 000 milliards d'euros, mais à la lumière de l'article elle semble s'élever a 4 500 milliards .. Quel est le bon chiffre ?

à écrit le 01/04/2017 à 13:11
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Les CDOs contenant des subprimes ont été rendus possible par une bulle immobilière aux EUs, la co-opération douteuse des agences de notation et la naïveté des acheteurs étrangers ignorant le marché hypothécaire américain. Supposant que l'ESRB se pass...

à écrit le 31/03/2017 à 15:26
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Chaque fois que je lis, que j'entends, le mot Allemagne, j'ai des boutons ! L'Allemagne veut, l'Allemagne ne veut pas, l'Allemagne a décidé, etc........

à écrit le 31/03/2017 à 10:02
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A la lecture de cet article, il semblerait que l'auteur de l'article ne comprend pas bien la différence entre 1 CDO et les subprimes (notamment le "Certes, ces titres sont bel et bien des obligations de dette collatéralisées, ces fameux CDO qu'étaien...

à écrit le 31/03/2017 à 10:01
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Tout ce que fait l'UE de Bruxelles simple zone administrative, c'est de vouloir cacher la poussière sous le tapis, pour gagner du temps, parce que le dogme économique l'exige!

à écrit le 30/03/2017 à 23:25
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Il est clair que le fmi, organisme destiné à empêcher toute faillite d'état, sera peut-être, comme AIG, le dernier assureur en dernier ressort, AIG qui a EU BESOIN de l'état pour se sauver de la faillite... Donc, la pseudo-Europe ESSAIE de se faire u...

à écrit le 30/03/2017 à 22:11
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Mourir dans la dignité...

à écrit le 30/03/2017 à 19:09
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Merci pour cet article. Un aveu d'impuissance de plus de l'UE donc. Elle souffre trop, débranchons le tuyau.

à écrit le 30/03/2017 à 19:08
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Merci pour cet article. Un aveu d'impuissance de plus de l'UE donc. Elle souffre trop, débranchons le tuyau.

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