Allemagne : l'énigmatique Sigmar Gabriel dévoile enfin sa vraie pensée économique

Par Romaric Godin  |   |  904  mots
Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre de l'Economie et de l'Environnement allemand
Le vice-chancelier social-démocrate allemand a pu apparaître - à tort - comme un allié de Paris au sein de l'exécutif allemand. Décryptage d'une personnalité complexe.

Sigmar Gabriel est l'objet de bien des fantasmes en France. Le patron des Sociaux-démocrates allemands est aussi vice-chancelier et ministre de l'Economie et de l'Environnement. Les dirigeants français ont pris l'habitude d'y voir un allié au sein du gouvernement fédéral allemand. De son côté, Sigmar Gabriel a pris l'habitude de les laisser le croire, tout en se gardant bien de maintenir l'équilibre au sein de la coalition.

Maître de l'équilibre

Or, les dix derniers jours viennent de mettre à jour la vraie pensée économiste de Sigmar Gabriel. Et de briser ce subtil jeu qu'il tentait de mener depuis son entrée en fonction, voici un an. En septembre, le débat autour des investissements commence à monter en Europe. Le vice-chancelier s'empare du sujet et en fait un cheval de bataille. Sur toutes les chaînes de télévision, dans tous les journaux, il réclame « plus d'investissement », y compris « publics. » Comme à son habitude, cependant, il ne dit rien lorsque son collègue aux Finances Wolfgang Schäuble présente au Bundestag au même moment un budget serré qui ne prévoit aucun effort d'investissement notable.

Calmer la SPD

A la mi-octobre, avec la confirmation du ralentissement économique allemand, le sujet revient sur le devant de la scène. Au sein de la SPD, le parti social-démocrate allemand, plusieurs députés commencent à s'interroger. Le ministre des Finances SPD de Rhénanie du Nord Westphalie Norbert Walter-Borjans démonte alors le discours sur la dette « charge pour les générations futures » en déclarant que « lorsque les voies de transport se dégradent et qu'il n'y a plus d'argent pour l'éducation et la sécurité, c'est aussi une charge pour les générations futures. » Entre le 10 et le 14 octobre, la SPD s'agite beaucoup et demande l'utilisation de « l'avance » du gouvernement sur sa trajectoire budgétaire prévue par la règle d'or, soit 1 % du PIB ou 30 milliards d'euros pour dynamiser la conjoncture.

C'est alors qu'intervient Sigmar Gabriel pour calmer et recadrer son parti. Alors que le 13 octobre, la direction de la SPD n'exclut pas un plan de relance. Sigmar Gabriel s'emporte. « Vous ne pigez rien ! », lance-t-il à ses camarades. Le lendemain, Sigmar Gabriel envoie son fidèle chef du groupe parlementaire Thomas Oppermann affirmer qu'il n'y aura pas de « plan d'investissement financé par la dette. » Dès lors, fermez le ban ! Sigmar Gabriel se montre le plus déterminé défenseur du « schwarze Null », « le zéro noir », symbole d'un équilibre budgétaire des finances fédérales qui n'a jamais été atteint depuis 1969.

La leçon à la France

Sur ce, la France est venue redonner une nouvelle occasion à Sigmar Gabriel de prouver sa fidélité au couple Angela Merkel- Wolfgang Schäuble. Lundi dernier, Emmanuel Macron lance un pavé dans la mare avec sa fameuse proposition « 50/50 », consistant à monnayer 50 milliards d'euros d'économies en France contre 50 milliards d'investissement en Allemagne.

Cette « nouvelle donne » fait grand bruit outre-Rhin. Bercy compte-t-il sur un appui de Sigmar Gabriel en se souvenant de ses appels du mois de septembre ? Peut-être, mais la déception va être de taille. Lors de la conférence de presse qui suit la rencontre des quatre ministres de l'économie et des finances, Sigmar Gabriel estime que le problème de l'Allemagne est la faiblesse « non pas de l'investissement public, mais de l'investissement privé. » Pas un mot sur un plan de relance. Mais jeudi 23 octobre à Washington, le ministre allemand confirme sa position en affirmant que « nous pourrions doubler notre déficit, ceci n'aidera pas la France et l'Italie à être plus compétitives. »

Encore une fois, l'allié rêvé de Bercy s'est révélé un excellent gardien du temple budgétaire de Wolfgang Schäuble. Au point que Sigmar Gabriel reçoit les félicitations de Gabor Steingart, le très orthodoxe chef de la rédaction du Handelsblatt, le quotidien économique, pourtant souvent sévère à son égard.

Que cherche-t-il ?

Que cherche Sigmar Gabriel ? Evidemment une victoire en 2017. Si Angela Merkel dit vrai et qu'elle ne se représente pas alors, il estime avoir ses chances puisque la CDU-CSU tient surtout à la figure tutélaire de « Mutti. » Or, pour cela, il a besoin de se constituer une figure d'homme d'Etat, ce qui en Allemagne passe évidemment par une gestion budgétaire sérieuse. En faisant ainsi rempart pour sauver le grand-œuvre d'un Wolfgang Schäuble dont la carrière politique cessera aussi sans doute en 2017, il espère profiter lui aussi de la gloire du « Schwarze Null. » Son alliance avec Angela Merkel a cette même fonction, celle de lui donner une figure de possible chancelier, sérieux et fiable, puisque « Mutti » a su se fier à lui. Quant à la gauche de la SPD, il sait encore qu'il a les moyens de se l'attacher, contrairement aux deux derniers candidats sociaux-démocrates, Frank-Walter Steinmeier en 2009 et Peer Steinbrück en 2013. C'est lui qui a su imposer à la droite le salaire minimum unique et la possibilité pour ceux qui ont le plus travailler de partir en retraite dès 1963. C'est lui qui est l'auteur de l'alliance en Thuringe avec Die Linke, le parti de Gauche, option qui pourrait ouvrir de nouvelles possibilités den 2017. Bref, Sigmar Gabriel a des ambitions et ses positions économiques se calent sur elles. Pas l'inverse. Il serait bon que Bercy et l'Elysée s'en souviennent à l'avenir.