BCE : il est urgent d'attendre

Par Romaric Godin  |   |  1750  mots
Mario Draghi ne devrait rien annoncer ce jeudi.
Mario Draghi n'a pas fait ce jeudi de grandes annonces sur l'assouplissement quantitatif élargi aux dettes souveraines : les taux directeurs demeurent inchangés. Plus que jamais, la Buba freine, et il lui faut attendre le moment propice.

Après avoir beaucoup fait espérer des annonces dès ce mois de décembre, Mario Draghi devrait ce jeudi refroidir les attentes des marchés. L'annonce d'un assouplissement quantitatif complet (« full QE » en anglais) incluant notamment l'achat massif de titres obligataires souverains attendra. A l'exception de ceux de Credit Suisse, aucun observateur n'attendait d'annonce ferme à ce sujet lors de la conférence de presse de jeudi. Beaucoup, comme Gilles Moec, de Bank of America Merrill Lynch, s'attendent plutôt à une telle décision pour la réunion de mars prochain.  A raison, puisque Mario Draghi n'a pas décidé de surprendre en cette fin d'année.

Les colombes à la manœuvre

Pourtant, Mario Draghi, ainsi que deux autres membres du directoire, le Français Benoît Cœuré et Vitor Constancio, le vice-président portugais, avaient, la semaine dernière, préparé le terrain. Le 26 novembre, ce dernier s'était même montré explicite sur la possibilité non pas simplement - comme le voulait jusqu'ici la terminologie officielle - de « nouvelles mesures non conventionnelles », mais sur l'achat de dettes souveraines. Mais cette offensive des « colombes » a immédiatement donné lieu à une contre-attaque des faucons.

Contre-offensive des faucons

Sans surprise, cette contre-offensive est venue d'Allemagne et d'abord de Jens Weidmann, le président de la Buba. Dès le 24 novembre, ce dernier soulignait que les « entraves légales » à un « full QE » seraient importantes, menaçant implicitement Mario Draghi d'un recours devant la Cour de Karlsruhe. Laquelle, lors de sa décision sur le programme de rachat illimité de dettes OMT, a prévenu qu'elle n'excluait pas la possibilité d'interdire à la Buba de participer à une telle opération... Le 28 novembre, ce même Jens Weidmann enfonçait le clou en insistant sur une marotte allemande : seules les « réformes structurelles » pourront faire revenir la croissance en zone euro, non la politique monétaire. Enfin, ce week-end, Sabine Lautenschläger, membre allemande du directoire de la BCE, a également refroidi les ardeurs de ses collègues. « Aujourd'hui, il me semble que les obstacles pour de nouvelles mesures sont très élevés », a-t-elle expliqué avant de conclure : « l'appréciation des coûts et de l'utilité d'un grand programme d'achat massif ne me semble pas pour le moment positive. » Fermez le ban.

Les « faucons » peuvent s'appuyer sur quelques données positives

Les dernières statistiques semblent plutôt jouer en faveur des « faucons. » Les données en provenance d'Allemagne ont été plutôt supérieures aux attentes et semblent plaider sinon pour un bon quatrième trimestre, du moins pour un retour de la confiance. Les indices ZEW et IFO de la confiance des investisseurs et des chefs d'entreprise outre-Rhin se sont ainsi nettement redressés. Voilà qui ne va pas encourager les banquiers centraux allemands à défendre une politique inflationniste. Certes, l'inflation a encore ralenti en novembre en Allemagne (0,6 % contre 0,8 %) comme en zone euro (0,3 % contre 0,4 %), mais dans les deux cas, l'inflation sous-jacente demeure stable et les « faucons » pointent l'effet déformant de la baisse du prix du pétrole qu'ils invitent à ignorer.

Urgent d'attendre

Cette contre-attaque a le mérite de montrer que, malgré leur défaite du mois dernier - où Mario Draghi avait rétabli fermement son autorité face aux rumeurs de soulèvement du camp des faucons - et l'affirmation répété par le président de la BCE que le conseil des gouverneurs est « unanime » dans sa volonté de faire plus contre l'inflation basse prolongée, les opposants à un assouplissement quantitatif élargi à la dette souveraine n'ont pas désarmé. Or, Mario Draghi ne peut prendre aucun risque dans ce domaine. Il doit s'appuyer sur une unanimité qu'il pourra opposer en cas de bataille judiciaire et d'opposition en Allemagne. Il faudra donc attendre.

Gonfler le bilan

Qu'attendre ? D'abord, la preuve de l'inefficacité des mesures prises par la BCE. Plus que les anticipations d'inflation ou la reprise, les marchés vont en effet désormais attendre la BCE sur sa capacité à gonfler son bilan. Et ils vont attendre Mario Draghi sur sa promesse désormais explicite de le faire revenir à 3.000 milliards d'euros, soit environ 1.000 milliards de plus qu'aujourd'hui. Or, pour le moment, les armes utilisées par la BCE ne sont guère convaincantes. Celle des taux est épuisée : le taux directeur est à 0,05 %, le taux de dépôt est négatif à - 0,2 % sans que la facilité de dépôt ne se soit entièrement vidée...

On a vu en septembre que la première opération de TLTRO, qui permet aux banques de disposer de prêts à 4 ans, a été un échec avec seulement 83 milliards d'euros distribués. Le TLTRO de décembre s'annonce plus demandé, avec peut-être 250 milliards d'euros, selon Bloomberg, de crédits acceptés. Mais une grande partie de cette somme ira couvrir le remboursement de l'opération de prêt à long terme (LTRO) lancé par Mario Draghi voici trois ans et qui arrive à échéance. Dans le bilan de la BCE, les sommes à rembourser au titre du LTRO s'élèvent encore à 396 milliards d'euros. Bref, l'effet net sur le bilan du TLTRO risque de ne pas être important dans l'immédiat. Enfin, les rachats de prêts titrisés (ABS) ou d'obligations sécurisées sont des hochets négligeables. Les rachats de premiers ont commencé la semaine dernière pour un montant de 368 millions d'euros et ceux des seconds ne dépassent pas, après un mois, 18 milliards d'euros. Le bilan de la BCE reste donc désespérément aux alentours de 2.000 milliards d'euros.

Comme le résume Gilles Moec dans sa note : « le QE complet est la meilleure façon de remplir l'objectif de bilan de la BCE. » Mario Draghi a donc joué habilement en réussissant à imposer un tel objectif. Il va en effet ainsi mettre les faucons face au mur : s'ils s'entêtent à refuser un « full QE » malgré l'incapacité de l'arsenal existant à gonfler le bilan de la BCE, ils s'exposeront à une violente correction boursière, puisque le marché a déjà intégré cette mesure. La dette allemande dont le titre à 10 ans est, lundi, passé sous les 0,7 %, serait sans doute la première victime d'une telle correction tant elle a fait l'objet d'achats spéculatifs dans l'optique d'un « QE souverain. » La Buba devra alors juger si elle est prête à prendre un tel risque ou si elle accepte un assouplissement quantitatif complet.

Une reprise poussive

Un autre élément pourrait contraindre les faucons à desserrer leurs serres sur la politique de la BCE. Malgré quelques signes positifs, rien ne permet réellement encore de penser que la zone euro va reprendre un rythme de croissance soutenu. L'apaisement des politiques d'austérité joue favorablement actuellement. Mais l'épée de Damoclès reste menaçante, notamment sur la France et l'Italie, mais aussi sur la Grèce, par exemple. Les agents économiques ne peuvent qu'être encore des plus prudents. La reprise espagnole est encore très fragile, basée sur la demande intérieure et particulièrement la consommation. Et elle est menacée par une déflation qui se poursuit et s'intensifie (les prix ont baissé de 0,5 % en novembre). Il n'y a rien à attendre rapidement (et peut-être même à terme) du plan d'investissement Juncker, sorte de poker financier. Surtout, le dynamisme extérieur n'est toujours pas au rendez-vous. Le changement de modèle économique de la Chine continue à faire ralentir la demande mondiale en biens intermédiaires et le feu ne s'est pas encore éloigné de la poudrière ukrainienne. Quant aux baisses de l'euro et du pétrole, ce sont des éléments positifs, mais il ne faut pas oublier que l'une détruit en grande partie les effets de l'autre...

Une inflation encore durablement faible

Enfin, l'inflation demeure dans une situation des plus préoccupantes et elle le restera. L'effet de la baisse du pétrole est peut-être déformant, mais l'inflation sous-jacente est à un niveau historiquement bas dans la zone euro : 0,7 %. Nul ne peut nier qu'un tel niveau ne risque de finir par peser sur les marges d'entreprises européennes qui n'ont guère de moyen d'imposer leurs prix au marché. Et, dans ce cadre, une baisse du prix du pétrole supérieure à celle de l'euro joue un effet d'entraînement à la baisse. Rappelons que, ce mardi 2 décembre, Eurostat a révélé que les prix industriels à la production ont reculé de 0,4 % sur un an. Chacun peut alors légitimement attendre que l'effet de la baisse des prix de l'énergie se répercute sur les prix finaux. L'inflation sous-jacente n'est pas totalement immunisée contre les prix de l'énergie. Il y a donc fort à parier que jeudi, les dernières prévisions d'inflation des équipes de la BCE qui seront aussi dévoilées vendredi seront encore revues à la baisse. Comme il y a fort à parier que les anticipations d'inflation des marchés demeurent bien en dessous de l'objectif à moyen terme de la BCE.

Aucun analyste n'espère vraiment qu'un assouplissement quantitatif n'ait une influence déterminante et directe sur l'inflation en zone euro. Mais Mario Draghi pourra toujours répondre aux « faucons » que la porte de sortie de la stagnation passait par une action énergique des États qui s'y sont refusés. La BCE se doit donc d'épuiser l'ensemble de son arsenal pour tout tenter : du moins le QE aura nécessairement un impact sur le cours de l'euro et, peut-être aussi, sur la confiance...

Le QE : Un dosage difficile à réussir

Reste enfin à construire ce QE. Ce sera loin d'être simple et cela explique peut-être aussi le temps que met la BCE à préparer cette opération. D'abord, les « faucons », s'ils cèdent sur le principe demanderont des garanties, ce qui ne sera pas simple. Ces derniers plaideront pour que l'on ne s'engage ni sur la quantité, ni sur la qualité de la dette à racheter. Mais sans ces éléments, l'efficacité du QE sera moindre. Les Allemands plaideront notamment pour des achats proportionnels à la répartition du capital de la BCE. Mais dans ce cas, la BCE achètera beaucoup trop de dette allemande, qui a une offre de dettes moins forte que l'Italie, par exemple, dont l'offre est plus importante. Là encore se posera un problème d'efficacité. Mario Draghi doit trouver des consensus satisfaisant sur tous ces points et rien n'est moins simple. Aussi devra-t-il prendre le temps qu'il faudra pour négocier en position de force.