L'Allemagne se prépare avec nervosité au salaire minimum unique

Par Romaric Godin  |   |  959  mots
La ministre fédérale allemande du Travail, Andrea Nahles, a préparé la loi qui entrera en vigueur au 1er janvier
Il ne sera théoriquement pas possible de payer un salarié outre-Rhin moins de 8,50 euros de l'heure à partir du 1er janvier. A l'approche de l'échéance, les employeurs et les syndicats deviennent fébriles .

Dans moins d'un mois, le 1er janvier 2015, le salaire minimum unique au niveau fédéral de 8,50 euros par heure entrera en vigueur. C'est une date symbolique, mais dont la portée est souvent exagérée en France comme en Allemagne. Rappelons que le salaire minimum n'est pas une chose inconnue outre-Rhin.

Depuis une dizaine d'années, il en existe dans de nombreuses branches et ils sont majoritairement au-dessus du niveau fédéral fixé par le gouvernement. Mais il est vrai que certains secteurs de l'économie n'y étaient pas encore soumis et qu'ils étaient souvent différents entre l'ex-RDA et les « anciens Länder » de la République fédérale. Pour les Sociaux-démocrates, ce salaire minimum fédéral est un grand succès.

C'était un point essentiel de la campagne de la SPD en 2013 qui a été imposé aux Conservateurs d'Angela Merkel. Lesquels plaidaient cependant pour une « limite basse de salaire » qui ressemblait beaucoup à ce salaire minimum. Mais il existe encore de nombreuses exceptions.

De nombreuses exceptions

Ainsi ni les jeunes de moins de 18 ans, ni davantage les chômeurs de longue durée (qui devront toujours accepter les fameux jobs à 1 euro de l'heure) ou les travailleurs saisonniers, ne seront soumis à ce salaire minimum.

Par ailleurs, les branches qui avaient des salaires minimums inférieurs à 8,50 euros de l'heure disposeront de deux ans pour s'adapter. Certaines ont décidé de prendre les devants : les bouchers auront 8,60 euros minimum dès octobre 2015, les blanchisseurs 8,75 euros à partir de juillet 2016. Mais la plupart attendront évidemment le dernier moment possible avant de se soumettre à la nouvelle loi, autrement dit le 1er janvier 2017.

Wolfgang Schäuble tente de contourner la mesure

A ces exceptions prévues par la loi, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble semble vouloir en rajouter quelques-unes. Ainsi, il a rédigé un décret qui fait polémique et a ému plus d'un syndicaliste outre-Rhin. Ce décret permet aux employeurs, dans les secteurs soumis à mobilité, comme les facteurs ou les routiers, de ne prendre en compte comme temps de travail rémunéré que la durée théorique du travail et non la durée effective.

Dans ces secteurs, il s'agit donc de contourner le salaire minimum en réduisant le temps de travail payé. Les syndicats et les partis d'opposition au parlement, Verts et parti de gauche, ont dénoncé cette manœuvre, mais le gouvernement affirme que les contrôles seront effectués pour éviter les abus.

Problème : les effectifs des contrôleurs, qui dépendent en Allemagne, des douanes, seront réduits de 1.600 personnes l'an prochain. Wolfgang Schäuble applique parfaitement dans son administration l'austérité qu'il préconise comme une doctrine partout ailleurs. Du coup, ils ne seront que 6.500 contrôleurs pour vérifier l'application du salaire minimum dans la première économie d'Europe... Les syndicats ont promis le dépôt d'une plainte contre le décret Schäuble.

Les employeurs inquiets

Il est vrai que les employeurs allemands ne cessent de se montrer nerveux à l'approche de cette date fatidique. Un sondage publié par le très conservateur institut IFO de Munich et réalisé sur 6.300 entreprises révélait voici peu que 57 % de ces entreprises envisageait des « contre-mesures » au salaire minimum.

Ces mesures sont différentes, selon les secteurs. Dans la restauration, 31 % des entreprises veulent augmenter les prix. Dans le commerce de détail, on préfère une baisse du temps travaillé (33 %) et des licenciements (29 %). Dans l'industrie, les licenciements (26 %) sont envisagés, ainsi que des hausses de prix et des baisses de primes (23 % dans les deux cas). Ces résultats dénotent une certaine panique démesurée : selon l'institut DIW, l'impact sur la masse salariale sera en moyenne une hausse de 3 % et elle ne dépassera pas 9 %, selon les secteurs.

Certains secteurs veulent encore des exceptions

Certains secteurs sont très en pointe dans le combat pour des exceptions. C'est le cas de la distribution de presse et des boulangers. Selon Der Spiegel, les chefs des groupes CDU et SPD au Bundestag auraient accepté d'ouvrir des négociations avec ces branches pour discuter de nouvelles exceptions.

En revanche, les compagnies de taxis, très inquiètes, ne peuvent guère compter sur la bienveillance du gouvernement fédéral. Ils ont beau menacer d'une vague de licenciements, voire de passer aux actes, comme cet entrepreneur de Hanovre qui a licencié ses 65 chauffeurs pour ne pas les augmenter, rien n'y fait.

Effet limité sur le plan macroéconomique

Reste à mesurer les conséquences de cette tension. Elles devraient être fort limitées. Les études publiées sont assez contradictoires. Si les « sages économiques » - les cinq économistes qui conseillent le gouvernement fédéral - ont mis en garde sur ses effets, d'autres comme l'institut DIW, ont jugé qu'il serait relativement neutre sur la conjoncture.

Quant aux grands instituts économiques, ils ont alerté en octobre sur la possibilité d'une suppression d'un million d'emplois à cause du salaire minimum. Mais, pour 2015, ils ont prévu une augmentation de près d'un million du nombre d'actifs en Allemagne. Certains secteurs outre-Rhin souffrent en effet de sous-emploi et ne pourront pas, même avec un salaire minimum, se permettre de licencier... Si, en effet, certains emplois seront sans doute perdus ; si certains investissements seront momentanément gelés, la hausse de la consommation et la nécessité d'augmenter une productivité qui avait beaucoup baissé dans les services après les réformes Schröder compenseront, au niveau macroéconomique, les effets négatifs.

Par ailleurs, l'ampleur de cette mesure reste très limitée, comme on l'a vu. Il s'agit donc plus d'un « baroud d'honneur » du patronat allemand, très opposés sur le principe à cette mesure.