Grèce : que fera Syriza une fois au pouvoir ?

Par Romaric Godin  |   |  1771  mots
Alexis Tsipras, leader de Syriza, pourrait être le futur premier ministre grec.
Les marchés grecs se sont encore effondrés jeudi 11 décembre. La crainte des investisseurs, c'est l’arrivée au pouvoir de Syriza. Mais à quoi pourrait ressembler une négociation entre la troïka et Alexis Tsipras ?

L'heure est, sans doute venue, de s'interroger sur ce que signifierait pour la Grèce et pour l'Europe l'arrivée au pouvoir à Athènes d'Alexis Tsipras. Pour le moment, le leader de Syriza est surtout un épouvantail qui effraie les gouvernements européens et les marchés. La chute de 12,8 % de la Bourse d'Athènes mardi n'avait d'autre cause que la perspective prochaine d'une prochaine arrivée au pouvoir de la coalition de la gauche radicale, actuellement largement en tête dans les sondages. Ce jeudi, la Bourse d'Athènes s'est une nouvelle fois effondrée, cédant plus de 7 %, après un discours du premier ministre Antonis Samaras prévoyant en cas de victoire d'Alexis Tsipras la sortie de la Grèce de la zone euro et « l'annulation des succès du pays. »

La frayeur des marchés

Cette frayeur pourrait s'expliquer par la très mauvaise impression faite par Alexis Tsipras à la City de Londres la semaine dernière lorsqu'il a rencontré les grands de la finance internationale. Révélé par le quotidien britannique The Telegraph, une note du gérant de Capital Group, John Sporter, révèle l'ampleur de la frayeur : « c'est pire que le communisme, ce sera le chaos total ! » Alexis Tsipras aurait, il est vrai, promis tout ce qui peut causer des cauchemars à un gérant de fonds britannique : hausse du salaire minimum, moratoire sur les dettes privées aux banques, annulation de près des deux tiers de la dette publique et augmentation des dépenses de l'Etat.

Une victoire de Syriza n'est pas acquise

Mais la question est désormais de savoir quelle partie de ce programme Alexis Tsipras voudra et pourra effectivement réaliser s'il parvient à devenir premier ministre grec. Première précaution : rien n'est moins sûr. Antonis Samaras peut encore espérer faire élire son candidat, l'ancien commissaire européen Stavros Dimas, à la présidence en jouant sur la crainte de certains députés de perdre leur siège en cas de scrutin anticipé. Mais même en cas de scrutin anticipé, l'actuel premier ministre va - comme il vient de le prouver - mener une campagne très agressive sur le thème de « moi ou le chaos », sur le modèle de ce qui s'est passé en 2012. Ceci pourrait inciter les indécis à rejoindre son camp plutôt que celui de Syriza.

Négociations délicates avec l'Europe

Dans l'hypothèse d'un gouvernement Syriza, la tâche essentielle et la plus risquée sera la négociation avec l'Union européenne. Le délai de deux mois accordé à la Grèce va permettre de clarifier la situation politique du pays. Dès les premiers jours de son mandat de premier ministre, Alexis Tsipras devra donc engager des discussions autour de la poursuite de l'aide européenne. Son engagement principal est celui de « sortir du mémorandum », autrement dit de remettre en cause les principes qui régissent les relations entre la Grèce et l'UE : mises en place d'excédents primaires considérables et permanents, « réformes », programme de privatisation contre un financement du pays par le Mécanisme européen de Stabilité.

Rejet du mémorandum

A priori, un gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras ne peut se financer sur les marchés de façon autonome. Même un gouvernement dirigé par Antonis Samaras ne le peut. Or, le leader de Syriza, on l'a vu, dispose d'un capital de confiance encore plus faible. Athènes a donc besoin de l'argent du MES. Mais comment changer les conditions d'attribution de cet argent ? Comme l'indique sur son blog Yannis Varoufakis, un économiste de l'Université d'Athènes proche de Syriza, la force du nouveau gouvernement sera sa légitimité démocratique. Néanmoins, l'économiste indique que Syriza est en capacité d'accepter des compromis, sauf sur un point : « lever le voile de la dépression sur son économie sociale, sur les gens innocents qui souffrent sans raison. »

Le nouveau gouvernement grec réclamera donc sans doute plus de moyens pour traiter ce que Syriza appelle « l'urgence humanitaire » grecque. Yannis Varoufakis estime également que « la Grèce ne doit plus accepter de prêts avant d'avoir rendu à nouveau solvable les secteurs privés et publics. » Autrement dit, avant d'avoir restructuré les dettes. Tout ceci est évidemment inacceptable actuellement pour la troïka et l'Eurogroupe. On se dirige donc vers un dialogue de sourds et un blocage entre les deux partis.

Le coup de poker de Syriza

Syriza peut espérer faire céder l'Europe en agitant la menace de la sortie de la banqueroute. Si aucun accord n'est trouvé, la Grèce sera de facto en faillite. Elle suspendra ses paiements et, si la BCE refuse l'accès de son secteur bancaire à la liquidité d'urgence (en cas de non remboursement des avances déjà accordées), elle n'aura d'autre choix que de sortir de l'euro. Les conséquences seraient alors désastreuses pour l'Europe : non seulement les contribuables des Etats de la zone euro devraient accuser des pertes considérables (219,2 milliards d'euros ont déjà été déboursés), mais encore, les vannes seraient ouvertes. Les investisseurs prendraient conscience qu'il est possible de quitter la zone euro. L'Italie - où les opposants à l'euro pèsent près de 35 % des intentions de vote -, l'Espagne - où Podemos, l'allié de Syriza, est en tête des sondages et même la France seraient dans la ligne de mire des marchés. Une nouvelle crise, encore plus redoutable que la précédente pourrait s'ouvrir. Le pari d'Alexis Tsipras sera que jamais les dirigeants de la zone euro ne prendront un tel risque. « La sortie de la zone euro serait un désastre pour la Grèce et l'Europe. Nul n'en a besoin », rappelle Yannis Varoufakis, laissant entendre que les dirigeants européens ne peuvent pas prendre ce risque.

Le coup de poker des Européens

Mais est-ce sûr ? La zone euro se sent plus forte. Des « pare-feux » ont été mis en place. La BCE pourrait en janvier lancer un assouplissement quantitatif capable de soutenir les taux souverains de la zone euro. Si on ajoute à cela le programme OMT et la possibilité pour le MES d'acheter de la dette souveraine sur le marché secondaire, les dirigeants de la zone euro peuvent espérer briser dans l'œuf une attaque des marchés. L'idée sera de s'appuyer sur le « cas particulier de la Grèce. » La Grèce étant ingérable et incapable d'être remise dans le droit chemin, il est plus simple de la laisser partir pour renforcer l'existant. Pas sûr que cela soit suffisant pour endiguer la contagion, mais la BCE et l'Eurogroupe essaieront de s'appuyer sur cette thèse pour tenter de faire croire à Alexis Tsipras que la zone euro peut survivre à une sortie de la Grèce. Ce discours s'appuiera d'une autre arme : le chantage. Comme dans les cas irlandais et chypriotes, Mario Draghi pourrait menacer de couper l'oxygène au secteur bancaire grec pour forcer Athènes à accepter les conditions de l'Eurogroupe.

Quel allié pour Syriza ? Et pour quelle influence ?

Un autre facteur pourrait jouer sur l'issue de ces discussions : le comportement de l'éventuel allié de Syriza. Certes, le système électoral grec, qui place une limite de 3 % des suffrages exprimés pour entrer à la Vouli et donne au premier arrivée en tête une prime de 50 députés, laisse une possibilité à ce parti d'avoir une majorité absolue avec moins de 35 % des voix. Mais cette option semble difficile néanmoins à envisager ici puisqu'il y aura au moins six partis représentés à la Vouli. Si Syriza arrive en tête sans avoir de majorité absolue, Alexis Tsipras devra trouver un allié. Or, les candidats ne sont pas légion. Le Pasok est discrédité par son alignement sur la Nouvelle Démocratie d'Antonis Samaras et le Parti communiste (KKE) refuse de discuter avec Syriza.

Restent Dimar, la Gauche démocratique qui s'est beaucoup rapprochée de Syriza ces derniers temps, mais qui n'est pas sûre de pouvoir entrer à la prochaine Vouli, et, peut-être, Potami, parti centriste à l'idéologie assez floue, constitué d'ancien du Pasok et siégeant avec les Libéraux au parlement européen, mais qui, nouveau venu dans la politique grecque pourrait être tentée d'entrer au gouvernement.

Dans ces deux derniers cas, l'allié de Syriza sera plutôt une force de modération. Mais Alexis Tsipras peut aussi tenter de constituer un gouvernement minoritaire comptant sur un soutien de tous les Eurosceptiques dans son bras de fer avec la troïka. Dans ce cas, le gouvernement sera sans doute tenté d'adopter une ligne dure pour assurer sa majorité sur les sujets européens. Bref, il y a là encore beaucoup d'incertitudes.

Tout le monde perd

Une chose semble acquise : l'Europe devra assumer, en cas de victoire de Syriza, les conséquences politiques de sa désastreuse gestion de la crise grecque. Si le scénario d'un face-à-face entre Athènes et la zone euro se confirme, tout le monde pourrait en sortir perdant. Une sortie de la Grèce de l'euro serait une expérience délicate pour la Grèce (mais les conséquences de la dépréciation de la monnaie grecque serait freinée par l'ajustement déjà réalisé de l'économie du pays), mais elle serait encore plus difficile pour l'Europe. Mais faire céder un gouvernement choisi par les Grecs à force de chantage ne serait guère une victoire. Ceci ne laisserait aux Grecs déçus que le choix de se reporter sur les partis partisans d'une sortie unilatérale de l'euro, à commencer par les néo-nazis d'Aube Dorée qui se frotteraient les mains dans un tel scénario. En réalité, dans ce face-à-face, le compromis est l'issue la moins crédible. Sur quoi négocier en effet ? Si Syriza accepte des conditions de l'Eurogroupe et de la BCE, elle aura trahi l'espoir de ses électeurs, car sans restructuration d'envergure de la dette, il n'y aura que la poursuite de la politique précédente, une politique à l'échec assuré puisque les remboursements continueront de peser sur le budget. Si, en revanche, l'Eurogroupe accepte d'annuler la dette grecque en tout ou partie, le jeu sera politiquement risqué, notamment en Allemagne. Il y a fort à parier que Berlin se refusera à faire payer ses contribuables. Le jeu est donc bloqué d'avance. A force de ne pas vouloir voir le problème grec, ce dernier risque de se rappeler douloureusement au bon souvenir de nos dirigeants.