Grèce : la fonction publique, première victime de l'austérité

Par Romaric Godin  |   |  1052  mots
La Grèce a réduit d'un tiers le nombre de ses fonctionnaires.
Le nombre de fonctionnaires a reculé d'un tiers en 5 ans. La fonction publique grecque n'est pas davantage efficace, la plupart des services publics s'étant détériorés.

La scène est rapportée par le site euractiv.fr. Face à la persistance des sondages donnant Syriza en tête des sondages en Grèce, un « haut responsable de la Commission européenne » affirme que « si un peuple a envie de se fourvoyer, c'est son choix. » Mais qui se fourvoie ? C'est sans doute la question que ne saurait se poser ce fonctionnaire européen, mais que se pose sans doute la plupart des électeurs grecs avant le scrutin du 25 janvier. Car les « réformes » qui ont été imposées aux Grecs ont clairement montré leurs limites. L'exemple le plus flagrant est celui de la fonction publique.

Baisse massive d'effectifs

Présentée au début de la crise comme le cœur du problème grec, parce que, inefficace et corrompue, la fonction publique grecque a payé un lourd tribut à l'austérité et, en particulier, à la politique du gouvernement sortant. Les effectifs, qui s'élevaient à 825.000 personnes en 2009, ont été réduits de 25 %. A la fin de l'an dernier, 15.000 fonctionnaires ont ainsi été licenciés, les salaires ont été coupés. Mais y a-t-il eu pour autant une véritable « réforme » de la fonction publique ? Pas réellement. Stavros Koutsioubelis est membre du comité exécutif du syndicat des fonctionnaires Adedy. Pour lui, « la politique qui a été menée par la troïka et les gouvernements grecs n'a pas consisté à réformer en rendant la fonction publique plus efficace, mais seulement de couper dans les coûts et les effectifs. »

Le cœur de l'État grec affecté

Et de rappeler les conséquences de cette politique : des services publics désorganisés, inefficients dans l'éducation et la santé notamment. « Cette politique a affecté le cœur du fonctionnement de l'État et les Grecs ont souffert directement de cette dégradation de l'accès aux services publics », ajoute Stavros Koutsioubelis. Les preuves de cette réalité se voient partout à Athènes, dans les hôpitaux, mais aussi dans les rues. Dans une interview à la Tribune, la nouvelle préfète de l'Attique, la région capitale, reconnaissait ainsi que les services de collectes des déchets étaient « moyenâgeux. » Il y a donc eu pour les Grecs une double peine : celle de subir les effets directs de la « dévaluation interne », autrement dit le chômage (qui est à 25,8 % de la population active) et la pauvreté (qui touche près du quart de la population), mais aussi un accès dégradé aux services publics. Souvent, la disparition de l'État n'a été remplacée qu'en partie par des associations ou l'Église dont on réclame moins en Grèce la suppression des avantages fiscaux compte tenu de son rôle « d'amortisseur social. »

Justifier les coupes sociales

Pour Stavros Koutsioubelis, l'image qui a été construite d'une fonction publique paresseuse, inefficiente et corrompue est une « façon de justifier les coupes sociales et de créer un ressentiment entre les Grecs. » Et il est vrai que les gouvernements, et particulièrement celui d'Antonis Samaras, n'ont cessé de gloser sur les tares de l'administration. Mais, souvent, leurs discours ont été démentis par les faits. Ainsi, en août 2013, le ministre des Réformes Kyriakos Mitsotakis - fils de l'ancien Premier ministre - avait prétendu que 10 % des 85.000 fonctionnaires employés entre 2004 et 2009 avaient des fausses qualifications. En réalité, une enquête a prouvé que seuls 2.000 fonctionnaires pouvaient être accusés d'une telle faute, soit quatre fois moins qu'annoncé par le ministre ! Et pour ceux qui trouveraient que ces 2.000 sont de trop, il convient de se rappeler que le gouvernement était alors dirigé par Nouvelle Démocratie, autrement dit par le parti de... Kyriakos Mitsotakis !

Syriza pour des réformes

Certes, Stavros Koutsioubelis reconnaît qu'il faut changer la fonction publique hellénique : « nous ne sommes pas contre des réformes dans le secteur public, mais il faut que ces réformes offrent de meilleurs services publics, pas moins de services publics. » Du reste, même Syriza a fait de la réforme du service public un argument de campagne. Pour la coalition de la gauche radicale, les « réformes » n'ont pas mis fin au système de « cleptocratie » mis en place par les deux grands partis, le Pasok et Nouvelle Démocratie, depuis 1974. Syriza entend aussi réduire l'appareil d'État, notamment par la réduction à 10 du nombre de ministères...

Scepticisme

Syriza et Alexis Tsipras sont-ils des espoirs pour les fonctionnaires ? En grande partie. « Syriza a repris une grande partie de nos revendications dans son programme », relève ainsi Stavros Koutsioubelis. Le parti a ainsi promis de réintégrer une grande partie des fonctionnaires licenciés et de revaloriser les salaires et les retraites. « Une grande partie de nos membres vont sans doute se tourner vers Syriza, principalement pour briser la logique de l'austérité », ajoute-t-il. Mais quant à lui, ancien du Pasok fort déçu par l'attitude des Sociaux-démocrates, il doute des promesses du parti d'Alexis Tsipras. « Pour le moment, il ne dit rien sur le financement de ce programme, il est obsédé par la recherche de la majorité absolue », indique-t-il avant d'ajouter : « nous avons entendu tant de promesses avant les élections jadis que beaucoup n'y croient plus. » Quant à lui, il se dit ouvertement « sceptique » sur la capacité de financement du programme d'Alexis Tsipras.

Vigilance syndicale

L'Adedy promet cependant d'être vigilante et de se mobiliser après les élections pour défendre la fonction publique. « Pour nous, il n'est pas question de toucher à nouveau à la fonction publique en termes d'effectifs. En Grèce, la masse salariale n'est plus un problème et c'est une ligne rouge qu'aucun gouvernement ne devra franchir, même si aucun ne veut le franchir officiellement, il faudra résister aux demandes de la troïka !», menace Stavros Koutsioubelis. Mais l'Adedy pourra-t-elle mobiliser ? « Au début de la crise, nous avons eu une bonne mobilisation, puis avec les premières vagues de licenciements, les fonctionnaires ont pris peur, d'autant que le choix des licenciés était assez arbitraire, alors la mobilisation s'est tarie », reconnaît-il.

Reste que, face à la brutalité et à l'inefficacité de la politique de la troïka, beaucoup de fonctionnaires grecs pourraient préférer se « fourvoyer » avec Syriza que d'avoir « raison » avec la Commission européenne.