Pourquoi l'Irlande, l'Espagne et le Portugal sont-ils si durs avec la Grèce ?

Par Romaric Godin  |   |  1079  mots
Irlande et Portugal veulent que la Grèce "suivent leur exemple"
Les pays jadis "sous programme" montrent beaucoup de fermeté à l'égard de la Grèce. Seulement au nom de la morale ?

Dans les négociations entre la Grèce et la zone euro, Athènes compte bien peu d'alliés. Le nord de l'Europe fait pour le moment bloc avec Berlin, certains comme le premier ministre finlandais Alexander Stubb étant particulièrement en pointe dans le discours du « respect des règles et des engagements. » L'Italie et la France ne se montrent guère empressées de soutenir le nouveau gouvernement grec par peur de s'aliéner l'Allemagne. Restaient les pays qui ont été « sous programme européen » et qui subissent encore le coût du poids important (plus important même que la Grèce) de leur dette : Irlande, Portugal, Espagne, Chypre...

Dureté irlando-portugaise

Intuitivement, on aurait pu croire qu'Alexis Tsipras trouverait là des appuis dans la négociation. Mais cette intuition était fausse. Les gouvernements irlandais et portugais se montrent fort durs face à la Grèce. En Irlande, on ne cesse de répéter que le pays a fait « son devoir » et que la Grèce « doit en faire autant. » Au Portugal, dès le 6 février, le ministre de l'Economie, Antonio Pires de Lima, avait exclu toute renégociation sur la dette avec la Grèce. « Le Portugal a fait le choix de la voie la moins facile », a-t-il rappelé en ajoutant que la Grèce devait suivre cet exemple... L'Espagne ne se montre pas moins dure, dans la lignée de son étroite alliance avec Berlin inaugurée à la fin de l'été 2014. Reste Chypre, qui peine à trouver réellement une position, prise entre la solidarité hellénique et sa volonté d'être un modèle. Mais, de toute façon, Chypre pèse peu dans le débat.

L'austérité efficace ?

Quelle sont les raisons de cette dureté des pays victimes de l'austérité ? Deux réponses sont généralement avancées. D'abord, celle de l'efficacité économique. L'Espagne, l'Irlande et le Portugal ont fait des réformes et en récoltent les fruits. Ils invitent donc les Grecs à en faire autant. Cette logique est absurde : les Grecs ont également fait des réformes et ont aussi retrouvé en 2014 la croissance. Mais l'ampleur du coût payé par les Portugais et les Irlandais en termes de richesse perdue n'a rien à voir avec ceux des Grecs. Pour une raison simple que les idéologues ne veulent accepter : les situations de départ étaient fort différentes. L'Irlande était un pays riche et industrialisé ; le Portugal dépend fortement de l'Espagne et a abaissé un coût du travail déjà faible ; l'Espagne avait surtout un problème bancaire qui a été contenu... Partout, rien de comparable avec la situation grecque. Par ailleurs, aucun de ces pays n'a retrouvé son niveau de richesse d'avant la crise. Le « succès » de l'austérité demeure donc encore à prouver, surtout au regard de ses conséquences économiques plus vastes. A moins de considérer que l'on ne doive mesurer le succès que sur les améliorations de déficits publics et de retour sur les marchés financiers...

L'exemple moral ?

Le deuxième argument est moral et est avancé par les ministres portugais et irlandais, mais aussi par les Baltes, par exemple : nous avons souffert, souffrez, vous aussi. Là aussi, c'est absurde. Aucun pays en Europe n'a subi un « ajustement » aussi violent que les Grecs. Comment des pays qui ont vu leur PIB reculer de 10 % au maximum peuvent estimer qu'un recul de 25 % n'est pas encore suffisant et qu'il faut faire plus ? Comment affirmer que les Grecs n'ont pas assez "souffert" ? Par ailleurs, rappelons que le gouvernement de Dublin, qui a bénéficié d'une restructuration de la dette détenue par la BCE en 2013 semble moralement assez mal placé pour donner des leçons sur ce sujet...

La pression des marchés

Quelles sont donc les vraies raisons de cette dureté ? Elles sont deux. La première est financière. Irlande et Portugal sont revenus récemment sur les marchés. Leur retour est lié à la garantie implicite donnée par la BCE aux obligations d'Etat de la zone euro par le programme OMT, mais aussi à l'impression que leur dette est soutenable. Or, cette dette est très lourde dans les deux cas : 123,3 % du PIB pour l'Irlande, 128 % pour le Portugal. Soutenir la Grèce dans sa volonté de renégocier sa dette serait compris immédiatement par les marchés comme un signe que ces deux pays souhaitent à leur tour entrer dans une phase de restructuration. Immédiatement, les investisseurs privés qui, grâce à la gestion de la crise grecque par l'UE (la restructuration grecque de 2012 ne touchait que les investisseurs privés), savent qu'ils sont en première ligne, seraient plus prudents et réclameraient des primes plus élevés. La charge de la dette - déjà très lourde pour ces pays - en serait immédiatement augmentée et ce serait un problème pour les budgets nationaux.

La politique intérieure

Deuxième raison : elle est politique. On vote au Portugal en septembre prochain, en Espagne en novembre et en Irlande au printemps 2016. Or, les gouvernements qui ont mené l'austérité, malgré leurs « brillants » bilans économiques sont en grande difficulté et devraient perdre ces élections. En Irlande comme au Portugal, malgré la croissance, le chômage reste beaucoup plus élevé qu'avant la crise, les revenus sont plus faibles, la précarité a progressé. Les coalitions au pouvoir sont donc sanctionnées.

Au Portugal, le baromètre Eurosondagem du 8 février accorde 33,6 % à la coalition au pouvoir, contre 38,1 % au Parti socialiste (PS) d'opposition. L'équivalent portugais du Podemos espagnol n'est pas pris en compte, mais on remarque une forte hausse des « autres »... En Irlande, le gouvernement Fine Gael-Labour est actuellement fortement sanctionné dans les sondages, tandis que la gauche anti-austéritaire du Sinn Fein continue à progresser. En Espagne, le parti de Mariano Rajoy doit faire face à la montée de Podemos et pourrait perdre les élections de novembre.

Les gouvernements qui s'expriment sur la Grèce sont donc des gouvernements sur la défensive. Toute concession faite à Syriza serait un message politique négatif envoyé avant le scrutin. Ce serait le signe que cette politique menée a été une forme d'échec et que, partant, l'opposition a raison de demander une politique plus équilibrée. Ce serait un suicide politique. Et c'est bien plutôt ces considérations que les postures morales qui expliquent la fermeté de ces pays face à la Grèce.