Chypre se rapproche ouvertement de la Russie

Par Romaric Godin  |   |  1100  mots
Le président chypriote, Nikos Anastasiades, et son homologue russe, Vladimir Poutine.
Nicosie veut renforcer ses liens diplomatiques, économiques et militaires avec Moscou. Les navires de guerre russes pourront mouiller dans les ports chypriotes. Le prix à payer de plusieurs erreurs des Européens.

Chypre veut se rapprocher de la Russie. En voyage officiel à Moscou, le président chypriote Nikos Anastasiades, a signé un certain nombre d'accord important avec le président Vladimir Poutine. L'essentiel prévoit d'accorder aux navires de guerre russes l'accès aux ports chypriotes de Limassol et de Larnaca. Certes, cet accès est limité sur le papier aux flottes russes « participant à un effort international » de lutte contre le terrorisme, le trafic d'armes de destruction massive ou le piratage. Mais c'est néanmoins une pierre dans le jardin des Occidentaux qui sont actuellement à couteaux tirés avec Moscou sur le dossier ukrainien.

Déclaration de souveraineté

Encore mieux, le porte-parole du gouvernement de Nicosie, Nikos Christodoulides, a indiqué que Chypre « pourrait considérer » une demande russe d'utiliser la base aérienne de Paphos pour des « raisons humanitaires. » La rumeur de l'ouverture de bases militaires russes à Chypre s'était répandue la semaine dernière dans l'île. En réalité, cette ouverture sera conditionnelle. Il n'empêche, Nicosie envoie clairement à ses partenaires européens l'image d'un rapprochement avec Moscou. Interrogé pour savoir si d'autres pays avaient réagi à ces accords, Nikos Christodoulides a répondu sèchement : « la République de Chypre est un Etat qui décide de ses propres affaires, comme tous les autres pays. » Une vraie déclaration de souveraineté...

Chypre, alliée de Moscou au sein de l'UE ?

Désormais, l'Union européenne va devoir compter, dans sa politique russe, avec un gouvernement chypriote moins coopératif. Vladimir Poutine s'est à peine caché qu'il espérait obtenir un soutien de Nicosie pour infléchir la politique de l'UE. « Chypre est un petit pays, mais c'est un membre à part entière de l'Union européenne et, à ce titre, sa voix à la même importance que ceux des autres membres », a précisé dans la conférence de presse le président de la Fédération de Russie. Chypre est aussi militairement importante pour la Russie afin de s'implanter en Méditerranée orientale, entre sa base navale syrienne de Tartus et la Crimée annexée l'an passé. D'autant que les Britanniques ont conservé, depuis l'indépendance de l'île en 1960, deux bases militaires importantes dans l'île.

L'humiliation de 2013

Les Européens se plaindront-ils de ce rapprochement entre Nicosie et Moscou ? Pour le moment, aucune réaction officielle n'est connue, mais c'est une nouvelle épine dans le pied de  la politique de l'UE vis-à-vis de l'Ukraine et du Moyen-Orient. Mais les dirigeants européens ne recueillent ici que les fruits de leurs erreurs passées, notamment sur le plan économique.

Lors de la crise bancaire qui a secoué le pays en mars et en avril 2013, ils ne s'étaient guère privés d'humilier les Chypriotes. Le refus du parlement concernant le plan de « sauvetage » du pays avait entraîné un chantage de la BCE menaçant de couper les liquidités aux banques chypriotes et de précipiter le pays hors de la zone euro. Les fonds des déposants dans les banques chypriotes de plus de 100.000 euros avaient été mis à contribution pour renflouer les banques. Les Chypriotes et les Russes, premiers étrangers à déposer leurs fonds dans le système bancaire de l'île, avaient été les premiers touchés.

L'échec de l'austérité à Chypre

Surtout, l'austérité imposée à Chypre depuis cette date n'a toujours pas porté ses fruits, alors même que le pays a joué un rôle d'« élève modèle » dans la réalisation des recommandations de la troïka. Au quatrième trimestre 2014, l'île a connu son quatorzième trimestre de contraction de son PIB. Le retour à la croissance cette année semble compromis, d'autant que la contraction du quatrième trimestre a été de 0,7 % contre 0,3 % au trimestre précédent. Le chômage reste à 17 % de la population active et l'on voit mal comment l'île pourrait retrouver des moteurs de croissance. L'austérité n'a guère attiré, comme l'avait rêvé la troïka, les investissements étrangers, particulièrement européens. Il est vrai qu'il n'y a guère de raisons d'investir à Chypre d'autant que le contrôle des capitaux reste en vigueur... Bref, comme en Grèce, l'austérité a lamentablement échoué à Chypre.

Bienveillance russe

Or, la Russie est le premier partenaire économique et financier du pays. Le gouvernement de Nicosie a plus que jamais besoin que l'argent russe revienne dans l'île et, en cas de levée du contrôle des capitaux, y reste. Lors de la visite de Nikos Anastasiades, des accords économiques dont on ne connaît pas les détails ont été conclus, sans doute pour favoriser les investissements russes. Moscou avait déjà montré sa bienveillance en acceptant une renégociation très généreuse de la dette de 2,5 milliards d'euros accordées en 2011 à Chypre. Là encore, le contraste avec la rigidité européenne qui refuse toute restructuration de dette est frappant... Evidemment, la bienveillance russe a des conditions, dont on a vu qu'elles étaient surtout politiques.

Pourquoi maintenant ?

Pourquoi Chypre décide-t-elle maintenant de ce tournant politique ? Les raisons ne manquent pas. D'abord, évidemment, le conflit ukrainien fait que Moscou est sans doute demandeur d'un appui au sein de l'UE et sa bienveillance concernant le prêt de 2011 le confirme. Mais on sait aussi que le gouvernement chypriote a perdu sa majorité au parlement et peine à y imposer la politique de la troïka. Or, cette dernière exige la mise en place d'une loi facilitant les expulsions, alors que les parlementaires veulent réduire son impact pour protéger les plus fragiles. Ce blocage menace de dégénérer et de conduire la troïka à cesser les versements au budget chypriote. L'alliance russe est un bon moyen de faire pression sur les Européens déjà englués dans le problème grec.

Enfin, le seul espoir économique de Nicosie, ce sont les champs de gaz au large de l'île. Or, depuis quelques mois, des navires turcs croisent dans la zone économique exclusive définie par Nicosie (mais non reconnue - tout comme l'Etat chypriote - par Ankara). Jeudi 26 février, Russes et Chypriotes se sont mis d'accord pour examiner la possibilité d'une participation des sociétés russes à l'exploration et à l'exploitation. Là encore, ce que l'Europe n'a pas su faire en défendant Nicosie sur cette question, Moscou se propose de le faire... Bref, les Européens ont - encore une fois - fait preuve d'une mauvaise estimation de la situation géopolitique. Ils pourraient en payer un prix élevé...