La loi Alur, dernier avatar d'un siècle d'échecs de blocage des loyers

Par Pierre Pommellet  |   |  1264  mots
Ministre de la Ville, Jean -Louis Borloo a mis en oeuvre un vigoureux effort sur le social, avec le chantier de la rénovation urbaine, l'accession à la propriété, l'investissement locatif privé, ce qui a relancé la machine et d'atteindre 420.000 mises en chantier, dont près de 100.000 logements sociaux en 2011.
Laissée pour morte, la loi Alur (loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) s'inscrit dans l'histoire riche des initiatives législatives ratées en matière de logement. Coup d'oeil dans le rétroviseur.

"Ceux qui ignorent l'histoire se condamnent à la revivre" ce célèbre aphorisme de George  Santayana peut s'appliquer aussi à l'histoire de l'habitat  en France ou les gouvernements répètent à intervalle régulier, avec la même bonne foi, les mêmes erreurs qui entraînent avec une récurrence désespérantes les mêmes effets désastreux qu'on met des années ensuite à corriger avec difficulté.

Balayons rapidement le siècle qui vient de s'écouler depuis 1915, date du premier moratoire des loyers, le seul parfaitement justifié dans le contexte de l' immense effort collectif consenti à cette époque ; mais de 1920 à 1938,aucun gouvernement n'eut le courage d'y revenir sauf de façon partielle à la veille de la guerre ; parenthèse vite refermée par Vichy et qui conduira avec les destructions de la guerre à une crise du logement sans précèdent en 1945 :il manquait plus de 2 millions de logements et le parc, non entretenu depuis 30 ans était dans un état de vétusté déplorable avec seulement 7% de logements pourvus des 3 éléments de confort ; les propriétaires qui touchaient des loyers dérisoires étant bien incapables d'effectuer les travaux nécessaires.

Relancer l'offre sociale

La loi de 1948 eut le mérite de remettre un peu d'ordre avec la définition d'une évaluation rationnelle des loyers par la surface corrigée qui s'appliquait partout, même à la catégorie dite "exceptionnelle" de l'avenue Foch ! Ce dirigisme intégral était sans doute indispensable dans cette période de reconstruction mais à une condition : réévaluer la valeur de la surface corrigée en fonction de la forte inflation de l'époque, ce que se gardèrent bien de faire les gouvernements successifs et il fallut attendre 40 ans pour que Pierre Méhaignerie mette en extinction lente cette loi qui générait des grandes inégalités ; elle mettra encore 20 ans pour s'éteindre définitivement.

Entre temps, des Ministres novateurs, Claudius Petit et Pierre Courant, avaient entrepris de relancer vigoureusement à la fois l'offre sociale en mobilisant la Caisse des dépôts, malheureusement souvent sous forme de grands ensembles "fonctionnalistes" dont certains devinrent des quartiers sensibles, mais aussi en rendant la liberté aux loyers pour l'immobilier privé locatif. Il en résulta une dynamique ininterrompue jusqu'au choc pétrolier de 1974, date à laquelle on mettait en chantier plus de 500.000 logements par an ! Dont 120.000 en région parisienne contre 40.000 actuellement, pour une population un tiers plus nombreuse : inutile de chercher les raisons de la pénurie actuelle !

Le sursaut Borloo

Hélas, dès 1982 la loi Quillot "donnait un cadre à l'évolution des loyers", autrement dit imposait leur quasi blocage par décret. La construction plongea à nouveau jusqu'à la loi Méhaignerie de 1986, qui laissa les parties libres de fixer les loyers des logements neufs et instaura un système miroir à l'allemande pour les renouvellements des baux. L'immobilier connut une vive renaissance jusqu'à la surchauffe de 1991, suivie d'une crise qui dura plus de 10 ans jusqu'à l'arrivée de Jean -Louis Borloo qui mis en oeuvre un vigoureux effort sur le  social, avec le chantier de la rénovation urbaine, l'accession à la propriété, l'investissement locatif privé, ce qui a relancé la machine et d'atteindre 420.000 mises en chantier, dont près de 100.000 logements sociaux en 2011.

Cette dynamique fut brisée net par le blocage des loyers de l'été 2012 et la simple annonce de la loi ALUR qui rompait le délicat équilibre locataires-propriétaires. Il est vrai, soyons honnête, que la crise de 2008 y ajoutait ses effets fortement dépressifs. Cette loi faisait référence dans son exposé des motifs à des expériences internationales. Il est vrai que certains pays européens pratiquent la régulation des loyers dans les zones tendues mais cela concerne des métropoles de taille moyenne difficilement comparables à la région capitale française qui compte 12 millions d'habitants ; Londres, la seule autre grande métropole comparable en Europe, ne connaît aucune réglementation.

Les effets pervers de la loi Alur

En revanche les Pays-Bas réglementent le parc privé, il est vrai très marginal (10%) de même que la Suède mais un processus de libéralisation est en cours. Citons aussi le Portugal ou une loi analogue à celle de 1948 est responsable du piètre état de l'immobilier locatif, en particulier à Lisbonne. Enfin il faut ajouter que l'Allemagne, souvent citée comme modèle de modération des loyers perd 100 000 ménages par an alors que la France doit en loger 300 000 de plus.

C'est pourtant un dispositif analogue de convergence vers un loyer médian qui constitua la pièce maîtresse de la loi ALUR avec un projet de création de coûteux observatoires des loyers dans toutes les nombreuses grandes villes concernées ( Monaco y figurait initialement !)

Bien entendu le dispositif aurait engendré de multiples effets pervers: si les 25% de locataires payant nettement plus que la médiane étaient en droit de demander une baisse de leur loyer, inversement les 25% d'appartement les moins chers en général occupés par les moins aisés pouvaient connaître une hausse symétrique.

Il sera long le retour de la confiance

La loi Duflot fut majoritairement bien accueillie dans la mesure ou la ministre laissait entendre que les loyers allaient baisser de 20% !  Mais en fait, il ne se serait vraisemblablement rien passé car c'étaient les tribunaux qui devaient arbitrer "in fine" après plusieurs années de procédure ce qui aurait découragé la plupart des locataires  qui changent de résidence locative privée en moyenne tous les 5 ans.

Manuel Valls a donc eu tout à fait raison de cantonner cette mesure à Paris où d'ailleurs les loyers ont tendance à la stabilisation mais le traumatisme des propriétaires et des investisseurs perdure avec une récession du marché locatif : 120.000 locations en moins en 2013 et une chute du tiers des mises en chantier qui n'atteindra pas 300.000 unités en 2014 ce qui coûte plus de 100.000  emplois à la filière BTP.

Le retour de la confiance sera long, d'autant plus que la loi comportait aussi d'autres mesures malthusiennes : restriction du foncier constructible alors le coût des terrains est la principale cause du prix élevé de l'immobilier dans les zones tendues ; paperasse avec d'innombrables pièces supplémentaires à fournir dans les actes notariés ; mesures impossibles à financer comme la garantie universelle des loyers (GUL) ou pittoresques comme le développement de l'habitat léger : yourte, tipi, roulotte etc.

Déjà enterrée ?

Une mesure positive est cependant à mettre à l'actif de la loi Duflot : la suppression des COS dans les documents d'urbanisme et leur remplacement par des règles volumétriques. Immédiatement exécutoire elle va cependant poser quelques problèmes aux municipalités en particulier Paris qui utilisaient des COS différentiels pour favoriser le logement par rapport aux bureaux.

En définitive, 18 mois après sa promulgation, la loi ALUR dont les décrets d'application vont sans doute se faire attendre longtemps , va sans doute être très sérieusement amendée dans l'avenir. Elle risque même de prendre place dans la belle bibliothèque du Conseil d'Etat "sous le linceul pourpre où dorment les lois mortes" faute d'avoir pu apporter la moindre solution au seul vrai défi qui est de maintenir pendant au moins 10 ans une cadence de production de plus de 400000 logements annuels dont 100.000 logements sociaux , en priorité dans les zones tendues  Il est vrai que cette politique de l'offre, pourtant seule susceptible de réduire la tension, ne semble pas figurer  dans le corpus idéologique des écologistes.