Dépenses publiques : une drogue dure depuis 1974

Par Pierre-François Gouiffès*  |   |  904  mots
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Notre contributeur, Pierre-François Gouiffès, revient sur 40 ans de politiques toujours moins regardantes vis à vis de la dépense publique...

Le gouvernement finalise la préparation du budget 2014 en indiquant que l?essentiel des efforts portera désormais sur les dépenses publiques, ceci après les fortes hausses des prélèvements obligatoires opérés par les gouvernements Fillon et Ayrault pour les budgets 2012 et 2013 (le taux des prélèvements obligatoires est passé de 43,9% à 46,3% entre 2013 et 2013, soit +2,4 points de PIB).

Comme en outre, de nombreuses institutions indépendantes (Cour des Comptes, OCDE?) ainsi que de nombreux commentateurs des finances publiques conseillent également vivement au gouvernement de se centrer sur la réduction des dépenses, il est intéressant de regarder leurs évolutions depuis 1974.

Une tendance fortement haussière des dépenses publiques depuis 1974
Il faut avoir à l?esprit qu?il y a une longue tradition française de dépenses publiques plus importantes que celles des pays comparables, trait que l?on peut par exemple constater tout au long du XXème siècle : seuls l?Italie et le Japon avant la Seconde Guerre mondiale, puis le Royaume-Uni entre 1945 et 1980 connaissent ? provisoirement ? des dépenses supérieures aux dépenses françaises.

Cette tendance s?est nettement renforcée depuis 1974. Comme indiqué sur le schéma ci-dessous (exploitation de données INSEE), la dépense publique consolidée est passée de moins de 40% du PIB en 1973 à 56,6% du PIB en 2012 : la production de services publics ou les transferts ont augmenté d?un sixième du PIB en 40 ans, +42% sur la période.

 

La France est désormais aux tous premiers rangs du monde OCDE (2ème en 2011, a priori 1er en 2013 et 2014), désormais devant la quasi-totalité des pays scandinaves ayant pourtant des ratios historiquement élevés.

Articulation des séquences de hausse et de baisse des dépenses

La croissance totale des dépenses publiques correspond à une augmentation annuelle moyenne de 0,9%. Mais cette hausse s?est faite par à-coups, avec un lien fort avec la conjoncture économique.

Il y a en effet :

- Alternance des périodes de hausse et de baisse des dépenses publiques en proportion du PIB ;

- Mais une tendance structurelle à la hausse.


Ceci apparaît clairement sur le « diagramme waterfall » ci-après :

 


Phase de hausse

Chaque période de récession économique (1975, 1993,2009) est marquée par une augmentation extrêmement forte du ratio dépenses publiques/PIB : la rigidité de ces dépenses, les stabilisateurs automatiques et la réduction du PIB expliquent bien l?augmentation de ce ratio.

En analyse annuelle, le record de hausse est détenu par l?exercice budgétaire 1975 qui couple récession économique et plan de relance Chirac (passage de 40,2% à 45,1%, soit +12% !) mais on trouve des +2,5% ou delà en 1981 (+2,6%, application du programme de François Mitterrand et second choc pétrolier), 1993 (+2,8%, impact de la récession) et 2009 (+3,5%, impact de la récession).

Si l?on regarde maintenant les phases de hausse pluriannuelle reprises sur le diagramme waterfall, on voit bien que la hausse des dépenses publiques s?est concentrée sur quatre périodes :

- 1974-1976 (+5,8%) : premier choc pétrolier et relance de Chirac ;

- 1979-1985 (+7,2%) : second choc pétrolier et relance de  Mitterrand-Mauroy ;

- 1990-1993 (+5,8%) : maintien de politiques budgétaires généreuses et récession de 1993 ;

- 2008-2009 (+4,2%) : accompagnement de la récession de 2009.


Les séquences de baisse des dépenses publiques


Il y a en regard des phases de baisse du ratio dépenses publiques sur PIB. Ces périodes ont une double caractéristique :

- Elles « surfent » sur l?amélioration de la conjoncture économique et le renforcement de la croissance (périodes 1986-1989, 1997-2001 et dans une moindre mesure 2006-2007) ;

- Elles sont d?une ampleur beaucoup plus faible que les périodes de hausse des dépenses : le -3% de 1986-1989 suit le +7,2% de 1979-1985, le -2,8% de 1997-2001 suit le +5,8% de 1990-1993 (après une période de stabilisation entre 1994 et 1996), le -1% de 2006-2007 suit le +1,7% de 2002-2003.

Il semble donc que les phases récessives ont « cranté » la dépense publique française à un niveau jusque-là inédit :

- 1975 cale à 45% le niveau de dépenses publiques de la fin des années 1970 (5 points au-dessus des 40%, seuil de bascule dans la « société socialiste » pourtant condamné par le Valéry Giscard d?Estaing de 1970 alors ministre de l?Economie et des Finances) ;

- Les fortes augmentations de dépenses publiques de 1981-1982 cristallisent le nouveau standard de dépenses publiques au-delà de 50%, standard qui fonctionnent jusqu?en 1991

- Le reflux conjoncturel de 1992-1993 fait de nouveau crever ce seuil et place la dépense publique pendant une quinzaine d?année dans un tunnel 52%-54% ;

- La forte récession de 2009 a créé un nouveau standard au-delà de 56% du PIB, standard qui est celui de la France de 2013.

Il semble donc que le cycle conjoncturel (autour d?une croissance qui a systématiquement baissé depuis 1970) soit l?axe autour duquel a tournoyé pendant 40 ans une dépense publique structurellement haussière du fait du déploiement de politiques publiques à fort impact budgétaire.

Qu?en retenir pour aujourd?hui et demain ?


Il n?y a eu depuis 2009 aucun reflux du ratio de 56-57% du PIB devenu le nouveau standard. La question est donc la suivante : sera-t-il possible de baisser ce ratio sans aide de la croissance et en revenant au « cran » antérieur de 52-54% ? Cela serait inédit au regard de l?histoire budgétaire récente du pays.