Cour des Comptes 2014 : vigie, Cassandre ou lanceur d’alerte ?

Par Pierre-François Gouiffès  |   |  1101  mots
Une fois n'est pas coutume, la Cour des Comptes dresse un bilan alarmant de la situation des finances publiques en France. Sans doute un nouveau coup d'épée dans l'eau, qui donne le droit de s'interroger sur la légitimité de l'institution...

Comme chaque année au mois de juin, la Cour des Comptes, « vigie indépendante » des comptes publics, publie son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, une composante importante du calendrier budgétaire français et européen dans lequel la France est engagée : entre les deux lois de finances, après la transmission par la France de son programme de stabilité à la Commission européenne et avoir reçu ses recommandations.

Comme le présent blog avait décortiqué dans son premier billet il y a un an le rapport 2013, il est proposé de regarder la livraison 2014, en séparant le diagnostic du Dr Cour des Comptes de ses recommandations quand il ne s'agit pas de quasi critiques par rapport au gouvernement et au Parlement.

 

Un diagnostic alarmant de plus

Concernant le « post mortem » de l'année budgétaire 2013, la juridiction financière rappelle que l'année s'est finie avec un déficit de 4,3% à comparer avec un objectif initial de 3% - un dérapage de 43% - et constate que cette baisse du déficit (-0,6% de moins qu'en 2012) tient beaucoup plus à l'augmentation des recettes que de la maîtrise des dépenses. La France, épargnée par les crises des pays du Sud de l'Europe et de l'Irlande, retrouve d'ailleurs son rang médiocre et dégradé dans l'Union Européen (1 point de PIB de déficit en plus pour la France) et dans la zone euro (1,3 point de plus). La Cour note enfin une contribution quasiment nulle depuis 2011 des collectivités locales et de la Sécurité sociale à la réduction du déficit, tout ayant reposé sur l'Etat.

La Cour rappelle ensuite que la France a choisi la voie d'une augmentation très forte des prélèvements obligatoires (18mds€ en 2011, 22 en 2012, 29 en 2013) mais constate une tendance des exécutifs politiques à surestimer les prévisions de recettes, surestimation qu'elle évalue à 4mds€ par an en moyenne sur la dernière décennie. A 57,4% du PIB, les dépenses publiques demeurent parmi les plus élevées d'Europe et de l'OCDE.

Tout cela aboutit à 84 milliards d'euros de dette publique supplémentaire, et pour la première fois la dette publique française se situe aux dessus des moyennes européennes (Union et zone euro) alors qu'elle a profité pendant des décennies d'un stock initial de dette plus faible, stock à plus de 94% fin 2013 alors qu'il était à 15% au milieu des années 1970.

La Cour pose ensuite son regard sur l'exercice budgétaire en cours. Concernant les fameux 50 milliards d'euros énoncés par le Président de la République en début d'année, elle exprime des doutes sur la solidité des explications du gouvernement pour 30 des 50 milliards. En particulier, elle s'interroge sur la capacité à transformer la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités locales en baisse des dépenses locales compte-tenu de l'autonomie fiscale dont elles disposent et donc de leur capacité à augmenter leurs recettes.

L'objectif initial de 3,6% de déficit a déjà été révisé par le gouvernement à 3,8% mais la Cour indique la possibilité d'un nouveau dépassement à 4% (+11% par rapport à la cible initiale) compte-tenu des risques sur le taux de croissance français et d'incertitudes croissantes sur le rendement de l'impôt. Bref il y a selon la Cour un risque de dérapage du déficit tant des dépenses que recettes, ce qui rendrait encore plus incertain et hypothétique la trajectoire française de retour à 3% voire à l'équilibre.

 

Une nouvelle giclée de recommandations plus ou moins décapantes

Comme il apparaît de plus en plus clairement à la Cour que le rétablissement des comptes publics passe désormais exclusivement par un effort sur les dépenses, elle présenté la version 2014 des économies de sa livraison 2013, propositions plus ou moins explosives mais dont force est de constater que certaines ont été reprises par le gouvernement Valls au moins dans le discours : poursuite du gel du point pour les traitements des fonctionnaires, sous-indexation ou désindexation des prestations sociales.

En 2014 la Cour enfonce le clou sur trois domaines : les frais de personnel (baisse des effectifs, hausse du temps de travail), la dépense locale (dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités, dépenses d'intervention des régions, sélectivité des investissements locaux) et la santé (chirurgie ambulatoire, médicaments génériques, frein sur le transport des patients, les analyses médicales, les indemnités journalières ou les dépenses de gestion des caisses d'assurance maladie). Bref une nouvelle liste à la Prévert dans laquelle le gouvernement peut éventuellement piocher si la France veut réellement mettre en œuvre un plan de réduction des dépenses dont la Cour indique qu'il a été fait de façon beaucoup plus rigoureuse partout ailleurs en Europe.

 

A quoi sert la Cour des Comptes ?

La posture de « vigie indépendante » de la Cour, posture réaffirmée année après années dans un contexte budgétaire de plus en plus difficile, l'amène naturellement à porter un jugement sur l'exécutif politique et le législateur. Cette année, elle met ainsi en lumière la qualité voire même la sincérité des prévisions de recettes du gouvernement : cette forte objection est à mettre en relations avec une année budgétaire 2013 où 30mds€ de prélèvements obligatoires supplémentaires n'auront conduit qu'à une réduction du déficit d'une dizaine de milliards.

Conscient du procès on légitimité dont son institution peut faire l'objet, le Premier président Didier Migaud a d'ailleurs conclu son discours sur le rapport 2014 par la justification de la mission de la Cour :

« On ne reproche pas à la lampe d'éclairer la pièce, même si elle révèle que la pièce est en désordre. Les constats, les diagnostics sont là. Nos concitoyens savent que la situation appelle des décisions difficiles et courageuses de la part des responsables politiques. Derrière chaque dépense publique, il y a un bénéficiaire ou un intérêt particulier. Mais leur addition ne fait pas l'intérêt général. La maîtrise de son destin par la France passe par sa capacité à restaurer ses marges de manœuvre, grâce au désendettement et à la réduction des déficits. »

Nous verrons si un tel appel à la responsabilité du personnel politique conduira à faire progresser le pays dans un débat budgétaire devenu permanent voire obsessionnel, sous le regard des citoyens, des pays partenaires de la France et des organisations européennes et internationales.