Pourquoi François Hollande sera l'homme de Davos 2015

Par Philippe Mabille  |   |  1280  mots
Participation record avec plus de 2500 personnes en provenance de 140 pays, dont 40 chefs d'Etat et de gouvernement, 1500 représentants du monde de l'entreprise : la 45ème édition du forum économique mondial qui ouvre ce mercredi jusqu'à samedi à Davos, va se pencher sur les grandes tendances d'un monde qui change. François Hollande y intervient vendredi matin sur les défis du climat, dans un contexte bouleversé par les récents attentats terroristes en France, ce qui fera du président français, une fois n'est pas coutume, la vedette d'un Davos 2015 marqué par une forte hausse de la présence tricolore.

Chaque année, dans la petite station huppée des Grisons suisses, à 2h30 de Zurich, c'est le grand rush... Un long et parfois fatiguant voyage, pour ceux qui viennent de très loin, d'Asie ou d'Amérique, ramène à Davos plusieurs centaines d'hommes et de femmes (plus de 2500 cette année, un record), pour assister au World Economic Forum organisé depuis 1971 sous la houlette du maître de cérémonie, Klaus Schwab. Aujourd'hui âgé de presque 77 ans, l'ancien professeur de management et d'économie, genevois d'adoption, en est à son 45ème « forum », en anglais de Davos, la langue en usage ici, WEF pour « World Economic Forum ».

Le thème générique de cette année 2015 ne déroge pas à la règle du « globish » en usage chez les « Davos Men » : « The New Global Context », traduire : le nouvel environnement mondial, voilà donc tout un programme pour quatre jours de conférences qui iront de l'économie à la géopolitique en passant par les nouvelles technologies et le basculement dans l'ère digitale. On parlera cybersécurité, vie privée, robotique du futur et intelligence artificielle, avec la présence des principales stars du secteur tech, dont Jack Ma, le patron d'Alibaba récemment introduit à la bourse de New York, et côté Silicon Valley, les patrons de Facebook, Sheryl Sandberg, de Google, Eric Schmidt, de Yahoo, Marissa Mayer ou comme chaque année, mais pour parler de leur fondation, Bill Gates... et Mélinda bien sûr.

Mais cette année, la star du 45e forum économique de Davos (WEF), ce ne sera pas eux. Ce ne sera pas la chancelière allemande Angela Merkel, qui prononcera jeudi un discours sur la responsabilité à l'âge du numérique. Ni même le Premier ministre chinois, Li Keqiang, qui ouvrira le forum ce mercredi. Ce ne sera pas non plus Shimon Peres, l'ancien président d'Israël, qui intervient jeudi dans le contexte que l'on sait au Proche-Orient. Ce ne sera même pas John Kerry, le secrétaire d'Etat américain, lui-aussi présent, à la tête d'une délégation de près de 800 participants venant des Etats-Unis, soit la plus importante, parmi les 2500 personnes de 140 pays ayant fait le voyage, une audience record autant due au succès désormais mondial du forum de Davos qu'à l'extension de la capacité hôtelière.

Non, la vedette à Davos, cette année, ce sera bien le président de la République française, François Hollande qui y passera une journée vendredi pour non seulement défendre les enjeux d'un accord à la conférence de Paris sur le Climat, en décembre prochain, mais aussi pour porter les couleurs de la France meurtrie en début d'année par deux attentats terroristes qui ont bouleversé et sidéré le monde entier. Un président français, socialiste de surcroît, en vedette à Davos... C'est une vraie nouveauté: la France est généralement peu et mal représentée à Davos, en comparaison des autres grands pays. Le forum, considéré comme un club de riches et de puissants, décrié au début du siècle par les altermondialistes qui avaient même créé un sommet concurrent, à Porto Allegre au Brésil, a mauvaise presse dans la gauche française. Et à part les ministres de l'économie, la plupart des dirigeants politiques s'en tenaient éloignés pour que leurs électeurs ne leur reproche pas d'y être allé. Cette année, c'est différent : la présence de François Hollande, décidée bien avant les tragiques attentats de janvier, entouré de 3 ministres de premier plan (Michel Sapin pour l'Economie, Laurent Fabius pour les Affaires étrangères, qui présidera un diner officiel jeudi soir avec les représentants des entreprises françaises, et Ségolène Royal pour l'Environnement) a convaincu nombre de Français qui boudaient Davos et ses tarifs hors de prix, (surtout au cours actuel du franc suisse) de venir : ils sont 91 soit 30% de plus que l'an dernier, sans compter les représentants des médias.

François Hollande s'exprimera en français, tout comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy l'avait fait lors de sa venue en 2010 et 2011.Il profitera de l'occasion pour défendre aussi ses réformes alors que les 5 millions de Français qui ont défilé le 11 janvier dernier lui ont apporté une nouvelle légitimité qui déborde le cadre national et impressionne même l'homme de Davos. 2015 ne sera pas une année propice au traditionnel "French Bashing".

A l'occasion de la conférence de presse de présentation de l'édition 2015, mercredi 14 janvier au siège du World Economic Forum à Cologny, Klaus Schwab a évoqué les attaques terroristes en France. Ces attaques, mais aussi les conflits en cours à travers le monde doivent plus que jamais être pris en compte par les participants au sommet. «Ce que j'attends de ce meeting annuel ? Que nous comprenions le nouveau contexte, que nous vivons dans un monde nouveau, que nous comprenions les zones de conflit dans le monde pour reconsidérer les efforts, que nous réalisions des progrès pour relever les nouveaux challenges qui requièrent une forte coopération entre public et privé», a souligné le fondateur du Forum Economique mondial, qu'il a créé en 1971 avec le soutien de Raymond Barre, alors commissaire européen, pour créer une plateforme de dialogue sur les changements tectoniques du monde.

C'est l'intérêt majeur du forum de Davos. Dans cette station de ski perdue aux fins fonds des Grisons, facile à défendre par l'armée suisse, qui n'était connue que par les lecteurs de La montagne magique de l'écrivain allemand Thomas Mann, publié en 1924, les puissants de la planète se retrouvent chaque année en janvier en toute tranquillité. «Il nous faut plus que jamais prendre conscience que ce monde est en mouvement et que les mobilisations de Paris et du monde entier doivent être entendues par tous, a souligné Klaus Schwab. «les participants du Forum de Davos doivent comprendre que le monde change». Car l'année 2015 qui débute avec des tueries (en France, mais aussi en au Nigeria, au Moyen-Orient,...), s'annonce lourde d'enjeux : «2015 porte un nouveau contexte: comment le définir ? Nous vivons définitivement aujourd'hui dans un monde multipolaire, nous vivons une nouvelle révolution technologique, avec la révolution internet, de la robotique", explique Klaus Schwab. « 2015 est à la croisée des chemins : deux voies s'ouvrent à nous, celle de la désintégration, de la haine et du fondamentalisme, et celle de la solidarité » a-t-il souligné, rappelant que la vocation du Forum était de servir la communauté internationale en tant que « plateforme de coopération » entre représentants politiques et de la société civile.

La société connaît une période de bouleversements, explique aussi Klaus Schwab, dans une interview au magazine alémanique "Bilanz". "Le monde demeure troublé, les populations cherchent de nouvelles identités et de nouvelles forces sont libérées." Klaus Schwab y explique le choix du thème de l'édition 2015 à Davos. A ses yeux, les récents référendums d'autodétermination en Ecosse ou en Catalogne (à titre consultatif) en expriment le commencement. "Ces nouveaux développements politiques cohabitent avec la révolution technologique", relève Klaus Schwab. Selon lui, "le bouleversement actuel, au contraire de la machine à vapeur ou de l'automobile, ne modifie pas seulement ce que nous faisons, mais aussi ce que nous sommes. La jeune génération affiche déjà une autre compréhension de la sphère privée. L'identité individuelle et sociétale changera via la technologie", dit-il.