Merkel, la forteresse allemande assiégée entre BCE, Ukraine et... Internet

Par Philippe Mabille  |   |  1298  mots
A propos de la Grèce, qui vote ce dimanche, Angela Merkel a adressé un message de soutien, sans rééditer les menaces d'abandon de son ministre des Finances Wolfgang Schauble. (Crédits : Reuters)
Sous le choc de l'annonce des 1.000 milliards d'euros d'assouplissement quantitatif de la BCE, la chancelière a tenté de faire bonne figure au Forum économique mondial. Et prévenu que ce soutien de la banque centrale ne devait pas dissuader les pays de la zone euro d'achever leurs réformes structurelles...

Pauvre Angela. Habituée du Forum économique mondial où sa parole d'une orthodoxie raisonnable séduit une audience acquise à la culture de stabilité allemande, la chancelière a subi le supplice du pal de jeudi à Davos, intervenant exactement un quart d'heure avant Mario Draghi, invité habituel lui-aussi, mais retenu à Francfort pour la réunion de la BCE. Et, évidemment, pendant toute l'intervention d'Angela Merkel, la nombreuse assistance venue en masse dans la grande salle du Congress Hall n'avaient d'yeux que pour leurs smartphone, attendant avec impatience la décision de l'oracle de Francfort sur le montant des rachats de dettes de la BCE.

La banque centrale avait bien préparé le terrain et ménagé le suspense en faisant "fuiter" la veille auprès du Wall Street Journal et de l'agence Bloomberg un chiffre de 50 milliards d'euros par mois sur 2015. Du coup, en plein discours de la chancelière, vêtue de jaune, le montant réel de 60 milliards par mois de mars à septembre 2016 a fait frissonner le public qui a sans doute passé plus de temps à regarder s'envoler le dollar et le cours de leurs actions qu'à entendre les avertissements d'Angela Merkel à l'égard de ce ralliement de la banque centrale européenne à la politique de la "planche à billets" destinée à faire remonter l'inflation...

Certes, dans le détail, les annonces de Mario Draghi sont bien encadrées : les achats de dettes publiques et privées ne concernent que des titres "investment grade", ce qui exclu d'emblée la Grèce, du moins à ce stade, et ne pourront dépasser certains seuils par émission et par émetteurs. En outre, les Bunds allemands en seront en volume, les principaux bénéficiaires.

Réformes : "ne pas dévier du chemin"

Touchée dans ses principes, Angela ne s'est pas laissée émouvoir pour autant et elle a resservi au public l'antienne traditionnelle de l'ordo-libéralisme allemand : les décisions de la Banque centrale européenne (BCE) ne doivent pas "faire dévier du chemin des réformes" les pays européens, a-t-elle prévenu. Et rappelant à l'ordre les gouvernements qui, comme Matteo Renzi la veille avait appelé la BCE à un geste fort (et au passage la France qui a aussi poussé en ce sens allant jusqu'à annoncer le QE européen avant l'heure), Merkel a souligné, surtout à l'intention de l'opinion publique allemande, que la décision prise par la BCE "sera une décision prise en toute indépendance".

Une précaution qui ne trompe personne, la plupart des experts estimant que la BCE n'a jamais que deux ans de retard sur la Fed dans ce type d'action trop longtemps reportée. Dans une autre session, Christine Lagarde, la directrice générale française du FMI a tenté de réconcilier tout le monde en soulignant que l'assouplissement quantitatif ("QE") de la Banque centrale européenne (BCE "fonctionne déjà, dans la mesure où les anticipations de son annonce ont commencé à agir sur le niveau de l'euro", tombé même sous les 1,15 face au dollar quelques minutes après le discours de Mario Draghi.

L'ancien secrétaire américain au Trésor Lawrence Summers a pour sa part mis en garde contre "l'erreur de croire que le QE est une panacée ou sera suffisant" pour relancer l'économie européenne. Selon lui, il y a "toutes les raisons de croire" que l'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne "aura moins d'impact" que celui mené par les Etats-Unis ces dernières années.

Avec ces 1.000 milliards d'euros mis sur la table par la BCE, les taux d'intérêt en Europe pour les États et, c'est toute la question, pour les entreprises, devraient quand même continuer à chuter, ce qui est propice à un redémarrage de l'investissement privé.

Dans ce contexte, Angela Merkel a défendu la position de l'Allemagne qui "assume ses responsabilités" comme ancre de stabilité pour toute l'eurozone et tout en acquiesçant à la solidarité pour protéger l'euro, à aussi ses intérêts propres.

Ainsi, si en 2014, "pour la première fois depuis 40 ans, l'Allemagne n'a pas créé de nouvelle dette", c'est parce que son pays doit se préparer à une transition démographique qui va lui faire perdre 6 millions de travailleurs dans les prochaines années. Angela Merkel a donc appelé chaque pays à ses propres responsabilités pour préparer l'avenir en investissant dans la R&D (l'Allemagne a porté son effort à 3% du PIB) et en protégeant sa compétitivité.

Elle a décerné un satisfecit aux pays qui ont mené des réformes structurelles comme l'Irlande, l'Espagne, le Portugal "et même la Grèce" et encouragé la France et l'Italie à ne pas différer leurs efforts au prétexte du soutien apporté par la BCE qui n'aura qu'un temps. "Il faut agir maintenant pour ne pas être pris au d'époux quand les taux d'intérêt remonteront à leur niveau normal de 4 à 5%", car alors ce sera beaucoup plus coûteux et "désagréable" de porter des endettements publics de près de 100% de sa richesse nationale.

A propos de la Grèce, qui vote ce dimanche, Angela Merkel a adressé un message de soutien, sans rééditer les menaces d'abandon de son ministre des finances Wolfgang Schauble : " la majorité de la population en Grèce est contente de se trouver dans l'Union européenne et dans l'euro. "L'Allemagne est prête à continuer de faire preuve de solidarité", à condition bien sûr que le gouvernement grec issu du scrutin se montre de son côté "responsable". Un message d'apaisement en direction de la gauche radicale qui pourrait emporter les élections avec Qlexis Tsipras (Syrisa)

Ukraine: comment sortir de la crise ?

Mais pour un discours sur le nouveau contexte global, Angela Merkel ne pouvait passer sous silence la question de l'Ukraine. Elle a appelé à une solution pacifique négociée avec la Russie dans laquelle l'Europe ne précipiterait pas la négociation sur l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, mais maintiendrait les sanctions contre la politique de Poutine tant que les causes n'auront pas disparu.

Pour sortir de cette crise, "il faut deux parties autour de la table", il faut "que les armes se taisent" et "que l'intégrité territoriale de l Ukraine garantie par le traité de désarmement nucléaire du pays soit respectée". Pour retrouver la stabilité dans la région, il faut aussi definir une "coopération de Vladivostok à Lisbonne comme dit Poutine", a-t-elle défendu, sans pour autant considérer comme acquise l'annexion de la Crimée.

Numerique : l'Europe doit se réveiller

Enfin, sur le thème principal de son intervention, l'économie numérique, Angela Merkel a exhorté l'Europe a prendre en main son destin face aux géants américains du net. "La numérisation va prendre toute son importance dans la nouvelle commission", a-t-elle avancé, se félicitant du fait que le Commissaire au numerique soit allemand. C'est la confirmation que l'Allemagne, grande puissance industrielle, veut aussi s'affirmer comme une des grandes puissances technologiques du monde futur.

Alors que l'Allemagne est parmi les pays les plus virulents contre la position de plus en plus dominante des GAFA (Google, Facebook, Apple, Amazon), Angela Merkel a réclamé que l'Europe fixe les conditions-cadre de l'économie digitale en promouvant "un bon mix entre la protection des données individuelles et la liberté du net". "Le monde est de plus en plus petit, on le mesure à Davos. À nous de trouver des solutions en Europe sinon nous serons marginalisés car notre environnement actuel n'est pas suffisamment attractif pour devenir des champions du numerique", a-t-elle conclu. "L'Europe doit avancer plus vite, réduire la bureaucratie et se fixer un agenda stratégique pour ressortir de cette crise plus compétitive".