Le retour des cygnes noirs

Par Philippe Mabille  |   |  787  mots
Comment investir dans un monde si imprévisible... À Davos, où François Hollande devait intervenir pour mobiliser les chefs de file politiques et économiques du monde entier autour de l'urgence d'un accord à la conférence de Paris sur le climat, le sentiment d'agir dans un environnement de risques et d'incertitudes permanents était tel que les organisateurs avaient même prévu une session sur « le contexte... galactique », avec deux stars de l'astrophysique et du cosmos !

Quand on sait que Elon Musk, le visionnaire patron de Tesla et de Space X, ne rêve que de poser le pied sur Mars et que c'est pour cela qu'il investit dans des fusées réutilisables, on comprend bien la tentation, dans une actualité morose - le FMI vient de nouveau de réviser en baisse ses prévisions pour la croissance mondiale, de 3,8 % à 3,5 % -, des dirigeants mondiaux de sortir des frontières, de dépasser les limites, de rêver du futur. La robotique extrême, l'intelligence artificielle, la conquête spatiale étaient ainsi très présentes dans le menu de ce 45e Forum économique mondial, dans un monde en perte de repères et en quête de sens.

C'est que les événements de ce début d'année nous rappellent la théorie des « cygnes noirs » du financier Nicholas Taleb, qui en avait fait un livre très remarqué. Un cygne noir, c'est un événement rare et imprévisible et qui, s'il se réalise, a des conséquences d'une portée considérable. Taleb a surtout appliqué sa théorie aux marchés financiers, où l'on a mesuré lors de la crise de 2008 à quel point les événements rares y sont souvent sous-évalués, en termes de prix. Mais les cygnes noirs ont aussi une dimension politique, et peuvent parfois servir d'avertissement salutaire.

Le premier cygne noir qu'ont perçu les participants du Forum de Davos, c'est la décision surprise de la Banque nationale suisse de cesser de défendre le cours plancher de 1,20 face à l'euro, qui a pris de court les marchés, ruiné quelques spéculateurs et ramené les deux devises à la parité, soit un franc suisse réévalué brutalement de 20 %. Le coût de la participation à Davos en est renchéri d'autant... Si même les banques centrales se mettent à devenir imprévisibles, où va-t-on ? Le sujet est d'autant plus sensible que 2015 sera marqué par un découplage entre les politiques monétaires européenne et américaine, l'assouplissement quantitatif de la BCE prenant le relais de celui de la Fed. Pour l'instant, cela se passe plutôt bien : l'euro reflue, et les Bourses européennes rattrapent leurs deux années de retard sur les marchés américains. Et si était enfin venu le temps de jouer l'Europe ?

Pourquoi pas, mais dans un contexte toujours incertain, le pari reste hasardeux. L'économie se redresse, mais lentement et en ordre dispersé, sous la menace de l'hydre déflationniste contre laquelle même Mario Draghi ne parvient pas à agir. La probable victoire de Syriza en Grèce, même sans majorité absolue, inquiète aussi sur l'avenir de l'eurozone. L'état de guerre civile en Ukraine fait craindre une nouvelle agression de la Russie et une intervention de l'Otan. Ce serait alors la guerre au coeur de l'Europe. Invité à Davos pour dialoguer avec le président ukrainien, Vladimir Poutine a cette année refusé de venir.

Le risque terroriste vient s'ajouter à ces mauvais cygnes et va s'installer, durablement, dans le paysage européen. En France, un sentiment de gravité et d'urgence du changement a saisi toute la classe politique, marginalisant le Front national et donnant une seconde chance à François Hollande. Le président de la République, dont la gestion de la crise a été unanimement saluée, bénéficie d'un nouvel état de grâce avec une hausse de 20 points de sa cote de popularité et d'une crédibilité retrouvée, à l'intérieur comme à l'international. De quoi inverser la tendance ? Ce n'est pas gagné, mais cette « réélection », liée à des circonstances dramatiques, permet à François Hollande, avec Manuel Valls, d'agir vite et fort.

Les Français l'attendent au tournant sur la sécurité, mais aussi sur la bataille économique et sociale.

Signe que les esprits ont évolué, la loi Macron, à laquelle les frondeurs promettaient le pire, va être votée presque sans coup férir avant le printemps. Martial, François Hollande a exigé un accord sur le dialogue social aux partenaires sociaux dès cette semaine, faute de quoi l'État prendra la main. Assez tergiversé, il faut agir, sur tous les fronts : la sécurité, l'école, la justice, les prisons, le vivre-ensemble, l'idéal républicain, la relance de l'économie, le marché du travail... 2015 sera, par la force du destin, une année de réformes, peut-être même une année de refondation pour le modèle français. Pour certains au sein de l'exécutif, François Hollande a devant lui, de nouveau, « 100 jours » pour relancer son quinquennat. Espérons donc que 2015 ne s'achève pas comme 1815 pour Napoléon, sur un Waterloo...