Eurosceptiques : beaucoup de bruit pour rien ?

Par Romaric Godin  |   |  874  mots
Le FN refuse de s'allier avec des partis ouvertement racistes comme les Grecs d'Aube dorée ou les Hongrois du Jobbik. / Reuters
Les partis critiques de l’UE devraient doubler leur représentation lors du scrutin européen, pour atteindre un quart des sièges. Mais leurs divisions sont immenses et leur poids n’en sera que plus faible dans l’Hémicycle. Pas de quoi menacer de bloquer l’Europe.

Le prochain Parlement européen qui sera élu du 22 au 25 mai comptera davantage d'opposants au fonctionnement actuel de l'Union européenne. En tout, les élus eurosceptiques de ces différents mouvements pourraient représenter un quart du futur parlement. Un poids encore modeste, mais ce serait le double de celui de la législature élue en 2009. Quels sont les moteurs du succès de ces partis ?

D'abord, bien évidemment, la crise économique et sociale. L'UE et en particulier la zone euro ont connu une récession en 2011-2012, dans la foulée de la crise de la dette. Une crise qui s'est accompagnée d'une forte hausse du chômage ainsi que d'une politique d'austérité dans plusieurs pays.

C'est évidemment vrai des pays « sous programme » (Irlande, Grèce, Portugal, Espagne et Chypre), mais pas seulement et même certains pays du « Nord » ont connu des difficultés (c'est le cas des Pays-Bas ou de la Finlande, par exemple). La reprise est encore faible et bien peu perceptible pour des populations.

La seconde raison principale de cette poussée provient du fonctionnement de l'UE, jugée peu transparente et peu démocratique. La gestion de la crise et la troïka ont mis ces critiques au goût du jour au sud du continent, tandis qu'au nord, on s'indignait d'une « solidarité » contrainte ouvrant la voie à une « union des dettes ».

Dans tous les cas, les discours fondés sur la souveraineté économique, sociale et politique ont donc trouvé un écho favorable des populations.

« Bloquer l'UE », une ambition peu crédible

Reste que cette poussée est protéiforme. L'extrême gauche va profiter de bons scores dans les pays « sous programme », notamment en Grèce où la coalition de la gauche radicale Syriza est en tête des sondages, mais aussi en Irlande avec le Sinn Fein, au Portugal et en Espagne.

Plusieurs partis d'extrême gauche eurocritiques ont également le vent en poupe ailleurs : aux Pays-Bas, au Danemark, en République tchèque ou en Belgique. La droite et l'extrême droite eurosceptique progressent plutôt au nord du continent. Ces partis pourraient arriver en tête ou en deuxième position au Royaume-Uni, en France, en Autriche, aux Pays-Bas ou encore au Danemark.

Reste enfin un ovni politique : le mouvement 5 Étoiles du blogueur et humoriste italien Beppe Grillo, inclassable, mais très europhobe, qui pourrait obtenir jusqu'à 25% et se classer derrière le centre gauche.

Cette division entre droite et gauche rend impossible « tout bloc » eurosceptique au Parlement européen. D'autant que les conceptions de l'Europe au sein même de ces deux familles sont très diverses.

Alexis Tsipras, le leader de l'extrême gauche européenne et de Syriza défend le maintien de l'UE et de l'euro, mais promeut une « nouvelle orientation ». Ce n'est pas le cas de certains partis de gauche eurosceptiques, comme les partis communistes orthodoxes tchèques ou grecs ou encore le Parti du travail belge.

Un FN qui polit son image

À droite, les divisions sont encore plus marquées. Les Britanniques de l'UKIP ont beau utiliser sans complexe le thème de l'immigration dans leur campagne, ils refusent toute collaboration avec le FN français au nom de la tradition libérale dans laquelle ils prétendent s'inscrire.

C'est aussi au nom du libéralisme que le mouvement allemand Alternative für Deutschland (AfD) combat l'euro, ce qui l'amène également à se distinguer d'une extrême droite plus protectionniste et étatiste.

Quant au FN français, il cherche à polir son image et refuse ainsi de s'allier avec des partis ouvertement racistes comme les Grecs d'Aube dorée ou les Hongrois du Jobbik.

Ces divisions rendront sans doute la progression eurosceptique moins frappante au sein du futur Parlement. Même si des votes communs sur certains sujets ponctuels ne sont pas à exclure, il n'y aura pas de « front contre l'UE et l'euro » et l'ambition de Marine Le Pen de « bloquer l'UE » semble peu crédible.

Une des principales questions sera celle des groupes politiques. Disposer d'un groupe permet d'obtenir une visibilité dans l'Hémicycle, un financement et des positions dans les commissions et dans les bureaux.

Mais pour former un groupe, il faut disposer de 25 députés issus d'au moins sept États membres. Une formalité a priori pour la Gauche unitaire européenne, mais à droite, la question reste ouverte. Dans la précédente législature, l'UKIP avait formé un groupe (Liberté et démocratie européenne, EFD), notamment avec la Ligue du Nord italienne. Mais cette dernière est tentée cette fois de s'allier au FN. Y aura-t-il alors une alliance « de raison » avec l'UKIP ?

Le FN se tournera-t-il vers des partis plus extrémistes au risque de ternir son image ? Surtout, dans tous les cas, ces groupes seront-ils viables et suffisamment unis ? Pour le moment, rien n'est certain.

Reste qu'une hypothèse demeure possible : que cette poussée eurosceptique, loin de déstabiliser l'UE, ne renforce la « grande coalition » entre sociaux-démocrates et conservateurs, qui sera désormais la seule possible au Parlement européen, et ne lui donne plus de force et de capacité d'action. Les eurosceptiques auront alors, par leurs succès électoraux, obtenu une étrange défaite dans les faits.