Singapour, le Google de la politique

Par Charles-Henri Larreur  |   |  742  mots
Singapour est aujourd'hui l'un des rares Etats à encore bénéficier d'une notation AAA de la part des trois principales agences de notation. (Crédits : © )
La condamnation récente, à Singapour, d'un homme à 12.800 euros d'amende pour avoir jeté des mégots dans la rue peut paraître grotesque. Elle ne doit pourtant pas masquer l'extraordinaire réussite du pays.

En France, la ville-Etat de Singapour n'est souvent perçue que comme un petit confetti folklorique, connu pour prohiber la vente de chewing-gums et offrir une discrétion toute helvétique à ceux qui souhaitent optimiser leur patrimoine.

Ce serait pourtant faire injure à ce pays que de s'arrêter là. Singapour est en effet plus que ça. C'est une success story politique et un destin hors du commun, qui rappelle celui de ces start-ups parties de rien et qui, souvent, doivent tout à la vision de leurs dirigeants historiques.

Un extraordinaire succès économique

La réussite économique de Singapour est en tout point extraordinaire. Lors de son indépendance en 1965, le territoire a un PIB équivalent à celui d'une autre ancienne colonie britannique, la Jamaïque (devenue indépendante trois ans plus tôt). Aujourd'hui, cinquante ans plus tard, Singapour a un PIB plus de 20 fois supérieur.

La comparaison avec la Malaisie - dont Singapour faisait partie jusqu'en 1965 - permet également de mesurer le chemin parcouru. Alors que les deux pays avaient un niveau de vie comparable dans les années 60, le PIB par habitant de Singapour est aujourd'hui cinq fois plus important. Le chômage y est en outre extrêmement faible (2,8% de la population active) et des champions nationaux, comme Temasek dans l'investissement ou Singapore Airlines dans le transport aérien, se sont imposés depuis longtemps déjà comme références mondiales dans leurs secteurs respectifs.

Une excellente gestion du pays

Singapour est aujourd'hui l'un des rares Etats à encore bénéficier d'une notation AAA de la part des trois principales agences de notation. Plus étonnant encore, il fait en outre, selon Transparency International, partie des pays les moins corrompus au monde. Il est 7ème du classement, loin par exemple devant la France (21ème) ou les Etats-Unis (18ème) ; un comble lorsqu'on songe aux critiques faites - parfois avec raison - sur le manque de caractère réellement démocratique du régime singapourien.

Les infrastructures du pays sont excellentes, notamment en matière de santé. Le pays est, derrière Monaco et le Japon, le 3ème endroit du monde où l'on vit le plus vieux. Après avoir vu la qualité des hôpitaux locaux, le milliardaire Jim Rogers, ancien complice de Soros, confiait d'ailleurs dans son livre Street Smarts qu'il ne voulait plus jamais se faire soigner dans un autre pays.

Un succès dans la douleur

Le destin de Singapour s'est pourtant affirmé dans la difficulté. Le premier Premier Ministre du pays, Lee Kwan Yew était d'ailleurs à l'origine opposé à la séparation d'avec la Malaisie, pensant qu'un pays si petit et sans ressources naturelles n'aurait aucune chance de survie à long terme. Menacé un temps par ses voisins malaysien et indonésien, le pays a en outre dépensé (et dépense encore) beaucoup d'argent dans son armée.

Malgré les doutes et les difficultés, Lee Kwan Yew s'est engagé avec courage pour son nouveau pays. En ce sens, son parcours ressemble à celui de Steve Jobs ou de ces fabuleux entrepreneurs qui se battent - souvent seuls contre tous - pour imposer leur vision. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que ses seules idoles politiques soient Churchill, de Gaulle et Deng, trois personnages qui, chacun de façon différente, ont su redresser des situations que tous jugeaient perdues.

Il serait compliqué de citer ici de façon exhaustive les ingrédients du succès de Singapour. On pourra néanmoins rappeler que Lee Kwan Yew a souvent préféré l'action au verbe et le pragmatisme à l'idéologie. Qualifié par ses détracteurs, tantôt de gauchiste (lorsqu'il impose à la fin des années 60 un partage des terres au profit des plus démunis, expliquant que la jeune république n'a d'avenir que si tout le monde a le sentiment d'en faire partie), tantôt d'ultralibéral (lorsqu'il se bat pour maintenir des impôts faibles et limiter l'intervention de l'Etat), Lee Kwan Yew a réussi, en insistant sur la stabilité juridique et sur une éducation de qualité, à attirer les investissements extérieurs et à transformer le pays, d'abord en dragon asiatique et aujourd'hui en centre financier.

Et si Singapour doit répondre aujourd'hui à de nouveaux challenges (comme la faible natalité et l'accroissement des inégalités), il serait injuste, à cause d'une amende incroyable, d'oublier la réussite de ce pays et le mérite qui en revient à son dirigeant historique.

Depuis Hong Kong, Charles-Henri Larreur