"Le maire et les normes... ou comment briser les élans" (Gérard Larcher)

Par Gérard Larcher  |   |  817  mots
Gérard Larcher, Maire sortant (UMP) de Rambouillet, tient son "journal de campagne" des élections municipales.
Gérard Larcher (UMP), sénateur des Yvelines et maire sortant de Rambouillet, livre le cinquième volet de son "journal de campagne" pour la Tribune.

Comment peut réagir un maire quand une nouvelle exigence réglementaire lui impose de modifier en quelques mois l'ensemble des tracés des terrains de basket de sa commune ? Il n'a pas pu anticiper budgétairement cette nouvelle dépense demandée par une fédération sportive.

Comment comprendre que la réalisation d'une zone d'aménagement concerté dure des semestres alors qu'il est urgent de créer des emplois dans un bassin d'emploi lourdement touché par la crise ? Et pourtant lui, le maire, se bat pour accueillir sur son territoire des entreprises créatrices d'emplois.

Comment réagit un maire d'une commune rurale à la lecture du décret relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire précisant la composition des repas, la fréquence de service des plats en fonction de leur teneur en lipides, en glucides simples totaux, en vitamines, en fibres, en calcium et en fer, ainsi que les tailles des portions d'aliments selon l'âge des convives ?! Des normes de « tous poils »…

On en recenserait 400.000

Mais est-on au bout du décompte ?

Contraignantes, longues, coûteuses, certaines sont nécessaires, quelques-unes ubuesques. Dans une République centralisée, attachée à l'égalité et qui a inscrit le principe de précaution dans une charte adossée à sa Constitution, il existe toujours une bonne raison de légiférer ou de réglementer : pour apporter la sécurité maximale à nos concitoyens, pour s'assurer de l'égalité de traitement ou de l'absence de discrimination sur l'ensemble du territoire, pour mieux apprendre et favoriser la réussite scolaire de tous les enfants, pour protéger l'environnement...

Alors, on produit de la norme « au mètre » malgré les engagements successifs de tous les gouvernements.

La France est placée à la 130ème place sur 148 au classement de la complexité administrative par le World Economic Forum

Voilà donc la conséquence chiffrée de cette surabondance. Par ricochet, les investissements directs étrangers diminuent, les investisseurs se détournant de notre pays pour éviter d'être pris dans « un étau » entre normes et fiscalité débordante.

Peut-être plus fondamentalement, la société française dans son ensemble décroche petit à petit, se recroqueville sur elle-même, plus préoccupée de se protéger que d'agir. Une société qui raisonne ainsi est inexorablement vouée au déclin, et cette perspective n'est pas celle que je souhaite pour mon pays.

Le Président de la République en a peut-être pris conscience lorsqu'il a rendu visite à nos compatriotes qui investissent et développent des entreprises dans la Silicon Valley... plutôt qu'en France !

 A quand donc le choc de simplification ?

Le constat n'est pas nouveau. Mes collègues sénateurs Claude Belot et Eric Doligé avaient formulé plusieurs propositions de réforme en 2011, dont certaines sont en cours d'examen au Parlement. Le gouvernement a depuis commandé un nouveau rapport à Alain Lambert, président du conseil général de l'Orne, et Jean-Claude Boulard, maire du Mans, lesquels ont également formulé de nombreuses propositions visant à alléger les normes.

Et le Président de la République a promis un « choc de simplification », le gouvernement mettant en place un « Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique ». Pourtant chaque semaine, nous continuons à voter ou à produire des normes supplémentaires.

En attendant, ce sont les élus locaux qui eux sont « sous le choc » : « sous le choc » de ne pouvoir mener à bien des projets structurants pour leur commune ou leur communauté en raison de l'application tatillonne de telle ou telle règle, « sous le choc » de voir une commune de 500 habitants traitée de la même manière qu'une ville de 100.000 habitants ; les petites collectivités ou intercommunalités n'ont ni les moyens humains ni les moyens financiers de mettre en œuvre certaines règles alors que parallèlement les services de l'Etat se désengagent du terrain concret.

Dans son roman « L'Art français de la guerre » (Prix Goncourt 2011), Alexis Jenni observe que « Le génie français construit ses lois comme il construit ses villes: les avenues du code Napoléon en constituent le centre, admirable, et autour s'étendent des bâtisses au hasard, mal faites et provisoires, reliées d'un labyrinthe de ronds-points et de contre-sens inextricables. On improvise. On suit plus le rapport de forces que la règle, le désordre croît par accumulation des cas particuliers. On garde tout ; car ce serait provocant que d'appliquer, et perdre la face que de retirer. Alors on garde. »

Aujourd'hui, il n'est plus temps de « garder », il est temps d'alléger l'édifice afin de retrouver le souffle dont notre pays a tant besoin pour se sortir du déclin. Une des grandes voiles de la France pour avancer demain sur l'océan de la mondialisation, ce sont ses communes. C'est aussi l'enjeu du 23 mars !